« Thatchérien », « libéral »: les adjectifs ne manquent pas pour qualifier le programme de François Fillon, grand favori du second tour de la primaire de droite. Baisse de 500 000 fonctionnaires, augmentation du temps de travail, les collectivités territoriales sérieusement impactées : la Gazette a décidé de passer au crible ses propositions sur la fonction publique. La sérieuse cure d’austérité que promet l’ancien premier ministre est-elle techniquement faisable? Eléments de réponse.
L’augmentation du temps de travail des fonctionnaires : une mesure qui coûterait plus 22 milliards sur cinq ans.
Dans son programme, François Fillon souhaite « porter à 39 heures le temps de travail dans les 3 fonctions publiques avec une compensation financière partielle et des meilleures perspectives de carrière ».
Peu prolixe jusqu’à présent sur les modalités de cette hausse de salaire, c’est Florence Portelli, maire de Taverny et proche du candidat qui a éclairé les termes du débat. « Cela sera 39 heures payées 37 heures » a -t-elle indiqué au micro de France Inter lundi 21 novembre. Une augmentation du temps de travail qui pourrait coûter très chère aux finances publiques.
Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE, chiffre ainsi cette augmentation du temps de travail à 4,5 milliards d’euros par an, soit 22,5 milliards sur la durée d’un quinquennat.
Et encore, n’est pas évoqué dans cette estimation le stock colossal des heures supplémentaires dans la fonction publique hospitalière.
Financer la hausse du temps de travail par la baisse du nombre de fonctionnaires : une proposition inexacte
Serge Grouard, le responsable du projet de François Fillon et député du Loiret, explique sur le sujet que « si les 39 heures étaient payées 39, cela ne générerait aucune économie ».
Pour Henri Sterdyniak, l’opération serait carrément déficitaire. Il chiffre en effet à 15 milliards sur 5 ans les économies permises par le non-remplacement des fonctionnaires partis à la retraite et le non-renouvellement des contractuels, dont il faut déduire 5 milliards qui correspondraient à la hausse des dépenses d’indemnisation chômage supportées par l’Unedic.
En contrepoint, la hausse des traitements des fonctionnaires coûtera, elle, donc, 4,5 milliards par an. L’Etat économiserait donc 9 milliards au bout de cinq ans en ne remplaçant pas 500 000 fonctionnaires et contractuels, mais devrait en parallèle verser chaque année 4,5 milliards par an pour financer le passage aux 39 heures payées 37 heures.
Autrement dit, le coût de la hausse du temps de travail ne serait aucunement compensé par les départs non remplacés. Au contraire, un tel phénomène aurait un poids financier non négligeable pour les finances publiques : 2,7 milliards par an et 13,5 milliards sur 5 ans. Loin, très loin du gel des dépenses publiques promis par François Fillon.
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La suppression de 500 000 postes dans les trois fonctions publiques sera compensée par la hausse du temps de travail : une mesure en pratique infaisable.
Là encore, le programme de François Fillon entretient le flou. « J’ai évoqué l’objectif de réduire de 500 000 les effectifs de la fonction publique en 5 ans. Ce chiffre correspond à l’augmentation du temps de travail. »
Pour comprendre la validité du raisonnement, il faut procéder en deux temps. Si François Fillon n’a jamais précisé la répartition de ces départs, son lieutenant Florence Portelli a avancé les chiffres suivants : le non-remplacement des départs en retraite de 100 000 fonctionnaires par an et le non-renouvellement des contractuels au fur et à mesure de la fin de leurs contrats, à hauteur de 120 000 par an.
Une telle estimation chiffre à 1,1 millions les postes de fonctionnaires non remplacés dans les trois fonctions publiques.
Conscient que ces chiffres sont imposants, comparés à la suppression des 150 000 postes entre 2007 et 2012, lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy, François Fillon a donc souligné à plusieurs reprises qu’il se limiterait à 500 000 départs nets.
En effet, l’augmentation du temps de travail doit compenser ces départs en créant l’équivalent de 600 000 postes. Une assertion pour le moins approximative alors que les métiers ne sont pas substituables les uns aux autres. Les administrations se heurtent en effet à des contraintes organisationnelles qui ne permettent pas de supprimer un poste à chaque fois que 10 agents augmentent leur temps de travail de 10% comme le rappelle la Cour des comptes.
Les départs en retraite peuvent donc s’avérer insuffisants pour permettre cette réduction des effectifs, sauf à réaliser des réorganisations de très forte ampleur.
Surtout, si l’on simule la hausse du temps de travail de 4 heures par semaine comme François Fillon le prévoit, ce qui correspondrait approximativement à la suppression de 6 jours de congés par an d’après la rue Cambon, cela conduirait à l’économie d’un recrutement pour 200 agents. En ne tenant pas compte du fait qu’en réalité, en raison de la part des temps partiels dans la fonction publique (27 % des agents), un agent public représente 0,93 ETP.
Si l’on évacue cette nuance, pour l’ensemble de la fonction publique, « l’économie en emplois » peut être estimée à 27 000 par an, soit une économie de 700 millions d’euros. Sur un mandat de 5 ans, cela entraînerait la suppression de 135 000 postes de fonctionnaires et une « économie » de 3,5 milliards. On est donc très loin des 600 000 postes « gagnés » annoncés par le grand favori des primaires de droite.
« Il faut faire baisser la dotation aux collectivités de 20 milliards d’euros pour encourager la diminution du nombre d’agents territoriaux » : un objectif abandonné ?
Lors d’un discours de campagne au printemps dernier, François Fillon affirmait : « Il faut faire baisser la dotation aux collectivités de 20 milliards d’euros pour encourager la diminution du nombre d’agents territoriaux ». L’objectif ne semble plus à l’ordre du jour. Dans nos colonnes, il propose de faire porter les efforts de bonne gestion sur les départements et les régions puisque « les communes seront épargnées par la baisse des dotations ». Objectif visé ? La réduction du nombre d’agents territoriaux dont le chiffre a augmenté de 16 000 en seulement 3 ans, une conséquence indirecte du transfert de compétences.
Il est en revanche peu prolixe sur la méthode pour y parvenir. Un silence qui s’explique probablement par l’impossibilité constitutionnelle, pour les gouvernements, d’imposer la réduction des effectifs en raison du principe de libre administration des collectivités territoriales (article 72 de la Constitution). L’annonce de l’abolition de ce principe n’a pas été faite à ce jour.
Seconde option pour parvenir à diminuer le nombre d’agents dans les collectivités : une loi de finances des collectivités devant le Parlement qui fixerait les dotations de l’Etat en fonction des critères de bonne gestion. mais François Fillon, dans l’entretien qu’il a accordé à la Gazette, ne semble pas vouloir assez aussi loin : « La réforme de la dotation globale de fonctionnement pourrait comprendre des critères qui soient des signaux d’une bonne gestion. Il est toutefois important de rester au plus près des réalités locales et des besoins de chaque collectivité ».
Une cure d’amaigrissement qui s’annonce acrobatique
En tout état de cause, la réduction de la sphère publique pourrait avoir d’autres conséquences non évoquées dans le programme de l’ancien Premier ministre. Ainsi, Emmanuel Aubin, professeur de droit public à l’université de Poitiers, rappelle qu’il « y a 2,4 millions d’étudiants aujourd’hui, il y a en aura 3 millions en 2022. Comment fait-on ? L’hôpital public manque de personnels et la demande va augmenter car la France est un pays qui vieillit. Comment fait-on ? »
Un son de cloche confirmé par Henri Sterdyniak, pour qui « on ne peut bloquer ni même fortement ralentir les flux d’embauche pendant 5 ans qu’en fermant les écoles du service public et en mettant en difficulté les jeunes qui se préparent à ces métiers. »
Autre motif d’inquiétude pour cet économiste, la suppression des postes de contractuels et le gel des embauches de fonctionnaires risquent de grossir les rangs des chômeurs. « La France souffre d’un manque d’emplois disponibles de l’ordre de 4 millions. Dans cette situation, en détruire 500 000 de plus n’est peut-être la priorité. Et rien ne dit que le secteur privé offrira des postes à tous ceux » qui auraient pu devenir fonctionnaires.
La question du sens du service public est également posée : « les emplois publics dans la culture, la santé, l’éducation ne sont-ils pas plus utiles que beaucoup d’emplois privés ?», se demande Henri Sterdyniak.
Les restrictions d’effectifs dans le secteur régalien (justice, police, armée) et dans le domaine de la santé posent tout autant question. « Ces baisses seront réparties de manière à peu près homogène », assure Serge Grouard, reconnaissant ainsi qu’il n’y aura pas de traitement de faveur pour certains pans de la fonction publique.
Par ailleurs, le recours aux contractuels permet aujourd’hui d’assurer des postes non pourvus comme, par exemple, ceux de professeurs dans des académies réputées difficiles. Que deviendront ces postes et comment assurer la continuité du service public en l’absence de contractuels ? L’interrogation reste entière.
Enfin, la mobilisation des fonctionnaires face à ce grand chambardement est un scénario plus que probable en cas de victoire aux présidentielles du grand favori des primaires. Difficile de ne pas envisager un conflit social de grande ampleur pour des fonctionnaires qui ont « l’impression de travailler toujours plus pour gagner moins » pour reprendre les propos d’un cadre de l’UNSA sous couvert d’anonymat. La centrale rappelle d’ailleurs que François Fillon, quand il était président de la Région Pays-de-la-Loire avait attribué deux jours de congés supplémentaires aux agents.
Contactée à plusieurs reprises, l’équipe de François Fillon n’a pas donné suite à nos demandes de précision.
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