L’analyse des intentions de vote des fonctionnaires en décembre 2016 montre une vraie droitisation de la fonction publique au profit de François Fillon. Son programme libéral en matière de secteur public ne mobilise pas les fonctionnaires en faveur de la gauche. Une évolution qui s’explique par une demande d’autorité et le malaise profond des agents.
Vous venez de publier le troisième volet d’un suivi régulier mené par le Cevipof sur les intentions de vote des agents publics pour l’élection présidentielle en 2017. Quels enseignements doit-on en tirer ?
Le premier fait marquant de notre étude est la position de force de François Fillon qui obtient de très bons résultats dans les trois fonctions publiques, et ce malgré ses propositions de réforme concernant le statut ou la sécurité sociale. Plus précisément, les intentions de vote pour François Fillon sont de 18,5% dans la fonction publique territoriale. On remarque également une droitisation plus générale de la fonction publique en faveur de Marine Le Pen qui récolte 20,8% auprès des fonctionnaires territoriaux. Peu importe le candidat que la primaire de gauche désigne à la fin du mois de janvier, Marine Le Pen et François Fillon sont systématiquement en tête.
Peu importe le candidat que la primaire de gauche désigne à la fin du mois de janvier, Marine Le Pen et François Fillon sont systématiquement en tête.
Le second enseignement de notre travail montre la situation très confuse des fonctionnaires vis-à-vis du parti socialiste. L’absence d’un candidat qui parvient à s’imposer crée un vrai espace pour le centre, malgré l’incertitude de la présence de François Bayrou sur la ligne de départ. Emmanuel Macron attire déjà de nombreux fonctionnaires et le phénomène s’amplifiera si François Bayrou renonce à sa candidature.
Par ailleurs, on note qu’Arnaud Montebourg fait figure de repoussoir pour de nombreux fonctionnaires qui peuvent l’estimer comme trop marqué à gauche. Les intentions de vote des fonctionnaires territoriaux pour le PS passent de 13% avec l’hypothèse Montebourg au premier tour à 21% avec Valls.
Enfin, notre étude montre que, si on assimile Emmanuel Macron à une candidature centriste et qu’on ajoute la droite parlementaire et le Front national, beaucoup plus de fonctionnaires vont voter pour la droite que pour la gauche. La fonction publique n’est plus un bastion de la gauche, à l’exception du monde enseignant. 55,3% des fonctionnaires de catégorie A dans les trois fonctions publiques ont ainsi l’intention de voter pour François Fillon, Marine Le Pen ou Emmanuel Macron.
La fonction publique n’est plus un bastion de la gauche, à l’exception du monde enseignant. 55,3% des fonctionnaires de catégorie A dans les trois fonctions publiques ont ainsi l’intention de voter pour François Fillon, Marine Le Pen ou Emmanuel Macron.
Comment expliquez-vous cet intérêt des fonctionnaires pour Manuel Valls plutôt que pour Arnaud Montebourg ?
L’ancien Premier ministre a pour lui d’avoir tenu la barre pendant les attentats de 2015. Il symbolise également une certaine autorité attendue par les fonctionnaires. Il faut toutefois souligner qu’il attire moins les fonctionnaires que la candidature de François Hollande, qui se situait entre 2 et 3% au-dessus dans les intentions de vote.
Pourquoi un tel désamour de la gauche de la part des fonctionnaires qui ont pourtant voté massivement pour François Hollande en 2012 ?
Ceux qui étaient de gauche attendaient une vraie différence avec la politique de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux mise en place sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Ils ont peiné à observer de véritables changements. Par ailleurs, il a fallu attendre le printemps 2016 pour avoir une revalorisation du point d’indice, ce qui a entraîné une rupture profonde avec les syndicats. Quant à ceux qui étaient plus attirés par la droite, ils souhaitent désormais renouer avec des valeurs d’autorité et un certain modèle gaulliste.
A lire aussi
On pourrait s’étonner que les fonctionnaires soient autant mobilisés en faveur de la candidature de François Fillon qui prône la réduction du poids du secteur public. Comment l’expliquez-vous ?
A première vue, ce choix des fonctionnaires est en effet pour le moins paradoxal. Mais l’élection ne se jouera pas sur les questions économiques, mais sur des valeurs identitaires. La place de l’islam en France sera un enjeu majeur du débat électoral, qu’on soit salarié du privé ou fonctionnaire.
Autre élément explicatif, le sentiment d’un métier en déclin partagé par de nombreux agents. Ils sont confrontés chaque jour au malaise profond qui traverse notre société et ne se sentent plus en mesure de satisfaire les besoins des usagers. Cela explique en partie l’attirance pour Emmanuel Macron et son image de bon gestionnaire capables d’orienter favorablement les problématiques des fonctionnaires. Il remporte en effet 15,4% des intentions de vote parmi les territoriaux. Surtout, beaucoup de fonctionnaires font le pari que François Fillon ne sera pas en mesure de tenir sa promesse de supprimer 500 000 postes de fonctionnaires. Ils sont convaincus que les syndicats et les élus locaux s’y opposeront trop fortement et qu’il sera contraint de reculer.
Surtout, beaucoup de fonctionnaires font le pari que François Fillon ne sera pas en mesure de tenir sa promesse de supprimer 500 000 postes de fonctionnaires. Ils sont convaincus que les syndicats et les élus locaux s’y opposeront trop fortement et qu’il sera contraint de reculer.
Plus largement, les fonctionnaires sentent bien que son programme sur la fonction publique nécessite de reprendre la décentralisation telle qu’elle se fait depuis 1983. C’est un dossier à la fois très compliqué et explosif qui a peu de chance d’aboutir.
Cet article est en relation avec le dossier
Cet article fait partie du Dossier
Présidentielle 2017 : les enjeux-clés pour les collectivités territoriales
Sommaire du dossier
- Le Pen versus Macron : des visions parcellaires des politiques culturelles
- La fonction publique pilotée par les Comptes publics – Le casting du premier gouvernement Macron
- Collectivités : les sept travaux d’Emmanuel Macron
- Le sacre d’Emmanuel Macron
- Présidentielle 2017 : les enjeux-clés pour les collectivités territoriales
- L’avenir de la fonction publique territoriale après l’élection présidentielle
- Réforme territoriale : le clash Macron-Le Pen
- Hervé Le Bras : « La nouveauté de cette élection, ce sont les clivages politiques à l’intérieur des régions »
- Présidentielle : faut-il supprimer le Sénat ?
- Ce qu’attendent les acteurs locaux des candidats à la présidentielle
- Présidentielle : faut-il réduire la part du nucléaire et accélérer la transition énergétique ?
- Présidentielle, législatives : quel coût pour les communes ?
- Le réseau Rn2a demande aux candidats de s’engager pour des archives « citoyennes »
- La lutte contre la fracture territoriale, le passage obligé des candidats ?
- Présidentielle : faut-il instaurer un revenu universel ?
- Présidentielle : le logement social doit-il être réservé aux plus pauvres ?
- Présidentielle : doit-on abroger la réforme territoriale ?
- Présidentielle : faut-il faire jouer la «Clause Molière» ?
- Les bibliothécaires demandent un équipement accessible en 15 min
- Les banlieues : grandes oubliées de la présidentielle ?
- Les propositions institutionnelles de Jean-Luc Mélenchon : en route pour une VIè République
- Présidentielle : faut-il nationaliser l’accès au numérique ?
- Primaire à gauche : ce que l’on sait des programmes des candidats
- Transition énergétique : ce que prévoient les candidats sur le volet financier
- Vieillissement : les candidats ne proposent rien de vraiment jeune
- Primaire de la droite et du centre : les fonctionnaires aux enchères ?
- Présidentielle : doit-on aller vers une laïcité de combat ?
- Logement : les programmes des candidats ne « cassent pas des briques »
- Présidentielle : faut-il supprimer des postes de fonctionnaires ?
- Nicolas Dupont-Aignan : « La France est en train de crever »
- Déserts médicaux : ce que proposent les candidats à la présidentielle
- « Les fonctionnaires en faveur de François Fillon parient qu’il ne tiendra pas ses promesses »
- Le comparatif des programmes des candidats à la primaire de droite
- Présidentielle : ce que propose Benoît Hamon pour rénover la démocratie
- Emmanuel Macron prescrit une cure de rigueur aux collectivités territoriales
- Revenu universel, réforme du RSA… Que proposent les candidats en matière de minima sociaux ?
- Comment relancer les investissements : les candidats répondent à la FNTP
- Le credo jacobin de Marine Le Pen
- Les candidats pas assez ambitieux pour la lutte contre la pauvreté selon les associations
- Alain Juppé, le Girondin
- François Fillon : les paradoxes d’un notable jacobin
- Jean-François Copé : « Fusionnons les départements et les régions »
- Présidentielles : l’environnement, ça commence à se défaire ?
- François Fillon : « Il faut réduire les effectifs dans la fonction publique »
- Alain Juppé : « Le statut de la fonction publique a ses raisons d’être »
- Nicolas Sarkozy : « Les fonctionnaires devront travailler plus »
- Nathalie Kosciusko-Morizet : « Le statut du fonctionnaire n’a plus lieu d’être dans de nombreux domaines »
- Jean-Frédéric Poisson : « Mettons fin à la logique du déracinement en renforcant les départements »
- Bruno Le Maire : « Le statut de la fonction publique ne doit plus être la règle, mais l’exception »
- Jean-Luc Bennahmias : « l’accueil des migrants permettrait de repeupler les villages français »
- Pourquoi les élus à la culture demandent une reconfiguration de la Rue de Valois
- François de Rugy : « la décentralisation est le rendez-vous manqué de François Hollande »