Le ton, à l’évidence, a changé. Dans un entretien à La Gazette des Communes, Alain Juppé dit sa « considération » pour la « la qualité » et « le professionnalisme » des agents territoriaux. Contrairement à ce qu’il sous-entendait voici un an, l’ancien Premier ministre souhaite maintenir le statut de la fonction publique pour les nouveaux entrants dans les collectivités.
Souhaitez-vous revenir sur la nouvelle carte des régions ?
Cette réforme a été improvisée de bout en bout. Nous n’avions pas besoin de régions aussi vastes que la Nouvelle Aquitaine par exemple. Mais avoir d’aussi grands territoires conduit au maintien de l’échelon départemental et cela entrave la simplification du millefeuille territorial. Ce que nous avions envisagé avec la création du conseiller territorial était beaucoup plus efficace.
Cela étant, les élus locaux souhaitent avant tout de la stabilité et je les comprends compte tenu des bouleversements incessants depuis 2010. Les nouvelles régions se mettent en place. Les administrations de l’Etat s’adaptent à la nouvelle géographie. Tout remettre à zéro serait un facteur de désordre. Je n’irai donc pas dans ce sens.
Vous êtes donc favorable au statu quo…
Sûrement pas. La stabilité, ce n’est pas le statu quo. Je suis favorable à l’expérimentation et à la différenciation. Si les régions souhaitent revoir la répartition des compétences avec les départements, il faut qu’elles puissent le faire. Si des départements souhaitent fusionner, il faut le leur permettre. Je suis donc favorable à de la souplesse, mais pas à un nouveau grand soir imposé depuis Paris.
Etes-vous, malgré tout, partisan du retour du conseiller territorial ?
Les conseillers départementaux et régionaux viennent d’être élus. Cette réforme ne serait donc valable que dans quelques années. Elle ne sera sans doute pas la priorité en 2017.
Souhaitez-vous que les régions françaises se rapprochent des länder allemands ?
Je suis favorable à une forte décentralisation. Il faut respecter les diversités et les spécificités. On n’est pas obligé de faire la même chose à Bordeaux, à Strasbourg, à Lille et à Marseille. Créons des marges de manœuvre, mais nous ne sommes pas un Etat fédéral. La France n’est pas l’Allemagne.
Confirmerez-vous le financement des régions par une fraction de TVA à compter de 2018 ?
C’est, une fois encore, une réforme improvisée, sortie du chapeau à la dernière minute et dont on n’a pas mesuré toutes les conséquences. Si, demain, l’assiette de la TVA est réformée, qu’adviendra-t-il ?
Etes-vous favorable à la recentralisation du RSA ?
Je sais que les départements sont divisés sur cette question. Il faut bien distinguer deux choses : le financement d’une part et les procédures d’instruction du RSA d’autre part. Sur le financement, l’Etat doit assurer ses responsabilités, ce qu’il ne fait pas aujourd’hui. Sur l’instruction des dossiers, la proximité qu’apporte le département dans leur gestion, est un atout qu’il ne faut pas abandonner.
Souhaitez-vous supprimer la métropole du Grand Paris ?
Oui. L’architecture qui a été choisie défie le bon sens. On a compliqué à l’envi les choses avec la région, la métropole, le département, le territoire et la commune. On s’y perd. Comment confier les transports à la région et l’urbanisme à la métropole, comme si on pouvait distinguer ces deux activités ? Il faudra simplifier. Je partage la position de Valérie Pécresse.
Souhaitez-vous revenir sur la loi sur le non-cumul ?
Certains envisagent un référendum le jour du second tour des législatives pour rétablir le cumul des mandats. Cela me paraît assez ubuesque. Les Français ont d’autres sujets que de voir les élus se préoccuper de leur propre situation.
Donc, vous êtes favorable à la loi telle qu’elle a été édictée…
Il sera toujours temps d’évaluer ses effets dans la durée et de voir s’il faut la corriger pour tenir compte du niveau de la population des communes. Il n’est pas inconcevable qu’au-dessous d’un certain seuil, des maires puissent être parlementaires. Mais ce n’est absolument pas la priorité de juin 2017.
Poursuivrez-vous la baisse des dotations ?
Non. La réforme qui a été faite a été d’une grande brutalité. Nous avons tous dénoncé son caractère excessif, d’autant qu’elle s’accompagnait de transferts de charges supplémentaires. Aucun maire n’a oublié la réforme des rythmes scolaires… C’est donc tout le contraire de ce qu’il faut faire. Moi, je proposerai aux collectivités un contrat d’engagements réciproques de trois à quatre ans que nous nous donnerons le temps de négocier en 2017, et pour 2018, les concours de l’Etat resteront au niveau de 2017.
En quoi ce contrat consistera-t-il ?
D’un côté, les collectivités s’engageront à réduire leurs dépenses de fonctionnement. Le mouvement des communes nouvelles est, de ce point de vue, très positif, tout comme la fusion de départements à laquelle sont en train de penser, par exemple, les Hauts-de-Seine et les Yvelines. De l’autre, l’Etat confiera aux collectivités de nouveaux outils de gestion, notamment pour qu’elles maîtrisent leur masse salariale. Il s’engagera aussi à supprimer ou à alléger des normes qui sont autant de causes de dépenses pour les collectivités locales. Pour les collectivités qui réaliseront des économies de fonctionnement l’Etat maintiendra ses dotations. Pour celles qui ne le feront pas, c’est l’Etat qui les réalisera en réduisant les dotations.
Quels autres engagements l’Etat prendra-t-il à l’égard des collectivités ?
Il s’engagera à ne transférer aucune charge qui ne soit immédiatement et durablement compensée. L’Etat donnera aussi aux collectivités des instruments de maîtrise en leur laissant la liberté de choix sur un certain nombre de politiques publiques, par exemple les rythmes scolaires.
Je souhaite aussi établir deux jours de carence en cas d’absence (NDLR : pour arrêt-maladie). Enfin, J’ai proposé que les nouveaux entrants dans la fonction publique soient assujettis au régime général.
Est-ce que cela signifie que les nouveaux entrants dans les collectivités ne bénéficieraient plus du statut de la fonction publique territoriale ?
Pas du tout. Ils restent sous statut de la fonction publique territoriale, aussi longtemps qu’ils restent en activité, mais pour leur régime de retraite, ils sont assujettis au régime général. Je suis aussi favorable à ce qu’on assouplisse les possibilités de recrutement par contrat. Le statut a ses raisons d’être. Il comporte des droits mais aussi des devoirs. Il offre une garantie d’emploi, mais il donne aussi des pouvoirs à l’autorité gestionnaire pour l’organisation des services et le licenciement en cas d’insuffisance professionnelle. Le statut, ce n’est donc pas l’emploi à vie.
Dans quelle mesure les agents partant à la retraite doivent-ils être remplacés ?
Il faut réduire la taille de la fonction publique territoriale, ce n’est pas douteux. Mais quand la population d’une ville augmente, comme c’est le cas à Bordeaux, on crée, par exemple, des écoles supplémentaires, donc de nouveaux emplois. On ne peut donc pas appliquer cette réduction de manière aveugle.
Il faut dégager des emplois, par exemple en fusionnant les services. Quand, à Bordeaux métropole, on fusionne les services juridiques, RH et finances d’une quinzaine de communes, il est évident qu’à terme, cela doit générer des économies de personnel.
Le temps de travail des fonctionnaires doit-il évoluer ?
Parallèlement au privé, il faudra effectivement engager des discussions. Il faudra d’abord atteindre la durée légale de 35 heures qui n’est pas respectée partout et s’acheminer vers une augmentation progressive de la durée du travail. Cela se fera par étapes successes sur la base de discussions dans chaque partie de l’administration et en fonction des métiers. Cela fournira des possibilités de non-renouvellement intégral des départs à la retraite puisque nous aurons des fonctionnaires qui travailleront plus longtemps et qui seront un peu moins nombreux.
Quel est votre objectif quantitatif ?
Sur les trois fonctions publiques, mon objectif est de réduire le nombre de 250 000 sur un total de 5 700 000. Je rappelle qu’il y aura dans les prochaines années 570 000 départs à la retraite, mais, je le répète, cela ne s’appliquera pas de manière uniforme. Il faudra donc une démarche par fonction et par métier à l’intérieur de l’administration qui permettra de transformer les organisations et de modifier le périmètre de leurs missions. Je voudrais aussi dire aux fonctionnaires publics territoriaux que cela doit s’organiser avec eux et non pas sans eux, encore moins contre eux. Je leur porte beaucoup de considération et je connais leur professionnalisme. La fonction publique territoriale est de qualité. C’est un atout pour conduire les transformations dont nous avons besoin.
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