Le constat fait mal à voir pour la CCEN : entre 2009, première année d’exercice plein, et 2012, le nombre de textes qu’elle a examiné a augmenté de 93,25%. Rien qu’en 2012, elle a étudié 315 textes ayant un impact pour les collectivités territoriales, soit 10% de plus que l’année précédente et 79% de plus qu’il y a deux ans. En moyenne, cela fait 16 textes examinés par séance.
Pour les coĂ»ts, le bilan est encore plus lourd, avec une croissance de + 172,27% sur les quatre annĂ©es ! Les charges induites par les mesures examinĂ©es en 2012 s’élèvent Ă 1,58 milliards d’euros (contre 728 millions d’euros en 2011). Les textes 2012 gĂ©nèrent 80% de dĂ©penses, 13% d’économies (249,7 millions d’euros) et 7% de recettes potentielles (139 millions d’euros). Dans son rapport, la CCEN le dit sans dĂ©tour : elle « n’a pas permis d’inflĂ©chir l’inflation normative ».
Fonction publique – Près des trois-quarts des textes Ă©tudiĂ©s en 2012 portent sur des mesures relatives Ă la fonction publique (72,5%) pour une charge Ă©valuĂ©e en annĂ©e pleine Ă 1,15 milliard d’euros.
Parmi les plus couteux, on relève le décret portant modification du taux de la contribution CNRACL (n° 2012-1525 du 28 décembre 2012) dont le coût est chiffré à 380 millions d’euros. Puis ceux sur le relèvement du minimum de traitement et d’attribution du point d’indice (n°2012-853 du 5 juillet 2012 et 2012-37 du 11 janvier 2012) : 625 millions d’euros.
Tous ont obtenu un avis favorable de la CCEN. Mais celle-ci juge « crucial » à l’avenir que les collectivités territoriales puissent participer en amont aux négociations avec les partenaires sociaux eu égard au grand nombre d’agents de catégorie C qu’elles emploient.
Textes d’application des lois – Les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes, les textes d’applications des lois pesaient lourdement dans le bilan, notamment en raison du Grenelle de l’environnement (122 textes d’application examinĂ©s par la CCEN pour un coĂ»t global annuel estimĂ© Ă 581,1 millions d’euros, soit 2,79 milliards sur la pĂ©riode 2011-2022). Cette proportion s’est amenuisĂ©e en 2012.
Les mesures d’application des lois ne représentent plus que 26,1% des textes pour un impact financier sur les collectivités de l’ordre de 413 millions d’euros. Parmi les plus significatifs : le décret relatif à la réglementation thermique 2012 pour les bâtiments tertiaires neufs génère une charge de 96 millions d’euros, celui sur la revalorisation du RSA qui engendre un coût de 158 millions d’euros.
Sans surprise, le ministère en charge de la fonction publique est celui qui porte le plus de textes coûteux, devant l’écologie et le logement et les affaires sociales/santé.
Le moratoire de juillet 2010 a été selon la CCEN un « échec ». Entre septembre 2010 et décembre 2012, 291 textes relevaient de ce moratoire. En 2012, leur nombre est reparti à la hausse (143 textes sur les 315 étudiés dans l’année). La CCEN espère davantage de résultats du principe « 1 norme créée = 1 norme supprimée ».
Doctrine – Au-delĂ des chiffres et des coĂ»ts, la CCEN estime son bilan positif sur les cinq annĂ©es de son existence, car elle a su insuffler une doctrine fondĂ©e sur le « dialogue », sur « l’évaluation », et sur une « approche proportionnĂ©e des rĂ©glementations » qui a conduit à « amĂ©liorer un certain nombre de textes ».
Cela a permis de « diffuser les prémices d’une nouvelle culture dans l’élaboration de la norme », peut-on lire dans le rapport. Mais « il appartiendra au Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) (1) de poursuivre et de développer le travail accompli par la CCEN ».
Position durcie – En 2012, sa position s’est toutefois durcie puisqu’elle a rendu 18 avis dĂ©favorables et dĂ©jĂ 4 en 2013. Leur nombre « a plus que doublĂ© », relève le rapport. En rĂ©ponse, l’administration gĂ©nĂ©ralement passe outre ou n’informe pas la CCEN sur les suites donnĂ©es Ă ses recommandations lorsqu’elle a Ă©mis un avis favorable avec recommandations ou rĂ©serves.
A l’avenir, l’instance d’évaluation des normes pourrait utiliser davantage les avis défavorables, sachant que la nouvelle législation a accordé un avis conforme au CNEN…
La CCEN se montre en effet pessimiste pour le futur si aucune révolution culturelle autour de la production des normes ne devait réellement s’opérer : « Il n’y a pas de raisons objectives de penser que la création du Haut conseil des territoires et du Conseil national d’évaluation des normes permettra à elle seule d’enregistrer des succès sur le terrain de la réduction de l’inflation normative. (…) Au gouvernement et au Parlement de prendre leurs responsabilités ».
Sans quoi, les collectivitĂ©s risquent fort de se rebeller, au nom du principe d’autonomie que les textes lui accordent et que les administrations bafouent. Dans sa conclusion, le prĂ©sident de la CCEN, Alain Lambert, prĂ©vient le gouvernement : « Certaines collectivitĂ©s locales envisagent dĂ©jĂ de saisir les juridictions europĂ©ennes compĂ©tentes pour dire le droit en la matière »…
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Inflation des normes : peut-on dégonfler le mammouth ?
Sommaire du dossier
- « Les collectivitĂ©s n’ont rien Ă gagner Ă remplacer la complexitĂ© lĂ©gislative par la complexitĂ© rĂ©glementaire »
- Normes : les élus locaux doivent-ils prendre la main ?
- Françoise Gatel : « La boulimie normative bloque parfois les Ă©lus dans leur action »
- Les normes, caillou dans la chaussure des collectivités
- « Lutter contre l’inflation des normes, c’est une utopie »
- Agents et élus sont unanimes, le droit les bloque au quotidien
- Réformer la culture juridique, une nécessité
- « A un monde hypercomplexe correspond un droit hypercomplexe »
- La petite fabrique des normes
- Alain Lambert : 10 ans de lutte contre l’inflation normative… toujours autant de mordant !
- Lutte contre les normes (coûteuses) applicables aux collectivités : encore loin du compte !
- Normes : des mesures de simplification dans chaque nouveau projet de loi
- Le dispositif de contrĂ´le de l’inflation des normes enfin complet !
- Normes : la simplification, enfin ?
- Normes : Alain Lambert mise sur le « choc de compĂ©titivitĂ© juridique »
- « On s’est servi de la hiĂ©rarchie des normes pour donner de la solennitĂ© aux textes » – Alain Lambert
- Bilan 2012 de la CCEN : 1,58 milliards d’euros de coûts pour les collectivités et un moratoire insuffisant
- « Le Parlement n’a pas à être le greffier des administrations centrales »
- Le contrôle des normes applicables aux collectivités territoriales renforcé par le Parlement
- Les normes sont-elles en train d’étouffer les Maisons d’assistants maternelles ?
- Modernisation du droit de l’environnement : rendre les normes plus lisibles
- Normes : « Prendre en compte les collectivités territoriales sans les asphyxier »
- A quelle norme se vouer ? Les atouts des normes volontaires
- Normes : de l’adaptabilité à la proportionnalité
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