Il se faisait attendre depuis des mois, malgré la volonté affichée d’agir en urgence sur le sujet. Le décret d’application de la loi portant création du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) a été présenté en Conseil des ministres le 30 avril par Marylise Lebranchu, ministre de la Décentralisation, de la Réforme de l’Etat et de la Fonction publique. Il ne manquait plus que ce texte pour que le dispositif visant à alléger le poids des normes pour les collectivités territoriales soit complet.
Installation en juillet – Le médiateur des normes avait été institué au mois de mars 2014, et nommé, en la personne d’Alain Lambert. Les instructions du ministère de l’Intérieur relatives au processus d’élection des membres du CNEN avaient elles aussi été envoyées début mars. Tout est maintenant fin prêt juridiquement pour l’installation de la nouvelle instance en juillet, le résultat des élections de ses membres étant prévu pour le 26 juin.
Depuis la dénonciation de la « surproduction normative » dès 1991 (!) par le Conseil d’Etat, les différents rapports et propositions de loi (des sénateurs Belot et Doligé en 2011 notamment) appelant à la simplification, la mise en place de moratoires dans l’édiction des normes (dès 2010), de commissaires à la simplification, l’adoption tortueuse de la loi du 17 octobre 2013, le chemin aura été long.
Pouvoirs élargis – Le CNEN remplacera la commission consultative d’évaluation des normes (CCEN) dès son installation. S’il reprendra la « jurisprudence » de celle-ci, dessinée au fil de ses avis distillés depuis 2008, le CNEN aura surtout une mission et des pouvoirs élargis par rapport à l’instance actuelle.
Il interviendra à la fois sur le flux et sur le stock. Il pourra se prononcer sur un spectre plus large de textes ayant un impact technique et financier pour les collectivités territoriales (projets de loi, propositions de loi, et même sur les projets d’acte de l’Union européenne à la demande du gouvernement).
Son pouvoir de nuisance sera aussi plus important. En cas d’avis défavorable sur un projet de texte réglementaire, le gouvernement ne pourra plus passer outre puisqu’une une seconde délibération sera nécessaire. Le CNEN pourra même s’autosaisir sur les normes déjà en vigueur en vue de proposer des améliorations ou leur suppression.
Elus locaux en nombre – Sa composition a été rééquilibrée en faveur des élus (27 élus issus des exécutifs locaux et parlementaires contre 9 représentants des administrations compétentes). Les collectivités territoriales auront 23 membres (4 pour les régions et la Corse, 4 pour les départements, 5 pour les EPCI, 10 pour les communes). Leur mandat sera de trois ans. La parité femmes/hommes devra y être respectée.
Le décret précise les modalités de désignation des membres du CNEN. Il définit surtout son organisation et son mode de fonctionnement, notamment son mode de saisine par les collectivités territoriales et EPCI sur le stock de normes. Il faudra que 100 maires et présidents d’EPCI, dix présidents de conseil général ou deux présidents de région demandent l’évaluation d’une même norme réglementaire et portant sur un objet identique pour que le CNEN revisite une texte sur demande des collectivités territoriales.
Constellation d’organes de simplification – En théorie, ce nouveau régulateur a donc toutes les cartes en main pour s’attaquer au mammouth des normes. Toute la question est de savoir si l’instance pourra se montrer suffisamment puissante face à des administrations centrales souvent rétives à changer leurs comportements et trouver sa place au milieu d’une nouvelle constellation d’instances de simplification (Conseil de simplification créé en janvier 2014, mission de simplification auprès du Premier ministre, conseil supérieur de la construction…).
Officiellement, ces nouveaux organes n’interviennent pas sur les mêmes secteurs (entreprises, logement), mais certaines mesures ont des implications pour les collectivités territoriales (celles sur les marchés publics par exemple).
Dans sa communication présentée lors de ce même Conseil des ministres sur la mise en œuvre du choc de simplification, le Premier ministre a annoncé vouloir « augmenter à la fois la vitesse et l’intensité » de ce « choc ».
Le Conseil de simplification, par exemple, qui a proposé 50 simplifications pour les entreprises, réunit tous les mois des « personnalités d’horizons différents » comme les grandes entreprises, les PME, cercles de réflexion, syndicalistes, hauts fonctionnaires mais aussi des collectivités territoriales…
Des facilitateurs de projets vont être nommés dans chaque département pour traiter plus rapidement les demandes des acteurs économiques. 50 mesures de simplification des règles et des normes ont été décidées dans le domaine du logement. Autant de secteurs ayant des impacts pour les collectivités territoriales…
Autre nouveauté : le moratoire « une norme créée, une norme supprimée » de septembre 2013 est élargi aux projets de loi ! Une décision qui pose cependant question (pour le moins) sur ses conditions de mise en œuvre. Quant au principe « le silence de l’administration vaut acceptation », il entrera en vigueur en novembre 2014 (les ministères devront s’y conformer y compris dans les démarches transversales). Les collectivités territoriales devront, elles, l’appliquer à partir de novembre 2015.
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Inflation des normes : peut-on dégonfler le mammouth ?
Sommaire du dossier
- « Les collectivités n’ont rien à gagner à remplacer la complexité législative par la complexité réglementaire »
- Françoise Gatel : « La boulimie normative bloque parfois les élus dans leur action »
- Les normes, caillou dans la chaussure des collectivités
- « Lutter contre l’inflation des normes, c’est une utopie »
- Agents et élus sont unanimes, le droit les bloque au quotidien
- Réformer la culture juridique, une nécessité
- « A un monde hypercomplexe correspond un droit hypercomplexe »
- La petite fabrique des normes
- Alain Lambert : 10 ans de lutte contre l’inflation normative… toujours autant de mordant !
- Lutte contre les normes (coûteuses) applicables aux collectivités : encore loin du compte !
- Normes : des mesures de simplification dans chaque nouveau projet de loi
- Le dispositif de contrôle de l’inflation des normes enfin complet !
- Normes : la simplification, enfin ?
- Normes : Alain Lambert mise sur le « choc de compétitivité juridique »
- « On s’est servi de la hiérarchie des normes pour donner de la solennité aux textes » – Alain Lambert
- Bilan 2012 de la CCEN : 1,58 milliards d’euros de coûts pour les collectivités et un moratoire insuffisant
- « Le Parlement n’a pas à être le greffier des administrations centrales »
- Le contrôle des normes applicables aux collectivités territoriales renforcé par le Parlement
- Les normes sont-elles en train d’étouffer les Maisons d’assistants maternelles ?
- Modernisation du droit de l’environnement : rendre les normes plus lisibles
- Normes : « Prendre en compte les collectivités territoriales sans les asphyxier »
- A quelle norme se vouer ? Les atouts des normes volontaires
- Normes : de l’adaptabilité à la proportionnalité