Le souci est largement identifié par la sphère locale, mais aussi bien connu de la doctrine : face à une abondance problématique de normes, le chantier de transformation doit être engagé. Mais s’il est souhaitable de calmer cette inflation, le Conseil d’Etat, dans son étude de 2016, intitulée à juste titre « Simplification et qualité du droit », relève qu’il existe « une part de cette complexité [qui est] irréductible », et qui tient à la technicité de certaines matières.
Quoi qu’il en soit, l’amélioration de la norme se joue au Parlement. Dans son étude, le Conseil d’Etat plaide pour une plus grande homogénéité des lois et le contrôle de leur volume au cours des discussions parlementaires. « Un plafond raisonnable à ne pas dépasser pourrait ainsi être fixé en nombre de signes. » Mais la recherche d’autres pistes est possible : à l’issue d’un colloque organisé le 26 novembre 2020, notamment par le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), 46 propositions ont été recensées. Celles faisant la part belle aux collectivités ne manquent pas.
Association idéale
La norme vise un destinataire défini. Il s’agit donc, pour en améliorer la qualité, d’y associer les collectivités. Alain Lambert, président du CNEN, l’explique ainsi : « Sur les détails de mise en œuvre, ce sont ceux qui instaurent la norme qui vont être les mieux placés pour aider à la rédiger de la manière la plus efficace. » Le CNEN se présente comme le lieu idéal de cette association : « Si, au lieu de nous saisir en urgence, on nous donnait un programme législatif sur six mois, on aurait le temps de faire remonter les remarques des collectivités sur l’installation de tel ou tel dispositif. »
Une autre façon d’associer les collectivités : l’expérimentation, qui a fait l’objet d’une loi du 19 avril 2021. Cette démarche, qui permet d’adapter une norme à un contexte territorial, a tout intérêt à se multiplier. Toujours selon Alain Lambert, « on parle, là, d’un sujet d’une simplicité biblique, la théorie est une science qui permet de penser un problème et de proposer des solutions. Mais ce que la pratique nous enseigne, c’est comment l’environnement dans lequel cette transformation est proposée va l’accueillir ».
Formation à la légistique
Enfin, écrire la norme, cela s’apprend. Que ce soit le Conseil d’Etat ou le CNEN, tous s’accordent sur la nécessité de généraliser la formation à la légistique, la science de la rédaction des textes normatifs. Pour Pierre de Montalivet, professeur à l’université Paris - est Créteil, « il faudrait étendre ces formations à tous les agents publics concernés, ainsi qu’aux élus ». Et pourquoi ne pas modifier la ligne éditoriale du droit en introduisant des encadrés, en renvoyant à une annexe, à des schémas, des notices ?
En tout cas, Alain Lambert le prédit : « Les derniers mois de la campagne présidentielle, c’est la simplification qui sera au cœur du débat, et les candidats doivent s’y préparer. » Ce ne serait pas la première fois, croisons les doigts pour que l’élection de 2022 soit enfin la bonne.
Trois questions à Jean-Luc Arnaud, vice-président national de l’Association des techniciens territoriaux de France
Selon vous, que faudrait-il changer pour faciliter l’appropriation des normes par les élus locaux ?
Les maires ne sont pas suffisamment formés pour comprendre la norme telle qu’elle est écrite aujourd’hui. A mon avis, il faut davantage les former, en particulier ceux issus des élections de 2020. Il y a là un véritable enjeu de responsabilité. Par exemple, ils peuvent être mis en cause pour favoritisme sur des marchés publics mais, d’après mon expérience, c’est surtout par méconnaissance des textes.
Pensez-vous que le problème pourrait aussi venir de la façon dont la norme est rédigée ?
Il faut effectivement simplifier les normes : on voudrait de la stabilité, avec des textes plus génériques. Ils sont rédigés par des technocrates, des parlementaires qui ne sont pas des élus de terrain. Il faudrait qu’ils soient écrits de façon plus accessible. Et que l’on arrête de créer une loi dès que l’on a un problème ponctuel.
Quelles sont les autres pistes d’amélioration de l’écriture des normes, selon vous ?
Il faudrait agir sur la publication même de la norme, car il arrive que des textes paraissent à peine deux mois avant leur entrée en vigueur. Il faut une meilleure concordance entre le temps court de la norme et le temps long de la collectivité. Cela entraîne des difficultés ne serait-ce que pour les budgets des collectivités qui doivent s’adapter dans l’urgence, ou même qui ne le peuvent pas à temps.
Cet article fait partie du Dossier
Inflation des normes : peut-on dégonfler le mammouth ?
Sommaire du dossier
- « Les collectivités n’ont rien à gagner à remplacer la complexité législative par la complexité réglementaire »
- Françoise Gatel : « La boulimie normative bloque parfois les élus dans leur action »
- Les normes, caillou dans la chaussure des collectivités
- « Lutter contre l’inflation des normes, c’est une utopie »
- Agents et élus sont unanimes, le droit les bloque au quotidien
- Réformer la culture juridique, une nécessité
- « A un monde hypercomplexe correspond un droit hypercomplexe »
- La petite fabrique des normes
- Alain Lambert : 10 ans de lutte contre l’inflation normative… toujours autant de mordant !
- Lutte contre les normes (coûteuses) applicables aux collectivités : encore loin du compte !
- Normes : des mesures de simplification dans chaque nouveau projet de loi
- Le dispositif de contrôle de l’inflation des normes enfin complet !
- Normes : la simplification, enfin ?
- Normes : Alain Lambert mise sur le « choc de compétitivité juridique »
- « On s’est servi de la hiérarchie des normes pour donner de la solennité aux textes » – Alain Lambert
- Bilan 2012 de la CCEN : 1,58 milliards d’euros de coûts pour les collectivités et un moratoire insuffisant
- « Le Parlement n’a pas à être le greffier des administrations centrales »
- Le contrôle des normes applicables aux collectivités territoriales renforcé par le Parlement
- Les normes sont-elles en train d’étouffer les Maisons d’assistants maternelles ?
- Modernisation du droit de l’environnement : rendre les normes plus lisibles
- Normes : « Prendre en compte les collectivités territoriales sans les asphyxier »
- A quelle norme se vouer ? Les atouts des normes volontaires
- Normes : de l’adaptabilité à la proportionnalité
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