Le 23 novembre, au Salon des maires, la salle est comble pour la conférence de l’Association française de l’éclairage (AFE) qui a organisé une table ronde sur le thème de l’éclairage public et de la transition énergétique. Preuve que la gestion des candélabres est l’un des sujets prenants de l’actualité des collectivités, qui font face à la montée de leur facture d’énergie. Y sont d’ailleurs donnés les résultats d’un récent sondage organisé par l’AMF et le Cevipof, duquel il ressort que 90% des maires envisagent de réduire l’intensité ou l’amplitude horaire de l’éclairage public dans leur commune.
Lors de cette conférence, l’association a rappelé qu' »éclairer juste n’est pas juste éclairer » : les élus doivent mener une analyse des besoins de leur territoire pour s’assurer de concilier toutes les contraintes en présence, même si la décision d’éteindre les lumières extérieures répond parfois à une situation budgétaire urgente. Qu’en pensent les élus rencontrés au congrès et au Salon des maires ?
Des économies budgétaires
A Maignelay-Montigny (2 700 habitants, Oise), la décision de l’extinction totale des lumières, dans toutes les rues, de 23 heures à 5 heures du matin, a été prise il y a un mois. Denis Flour, le maire, explique : « On a pris cette décision car, en l’état actuel des choses, on a estimé pouvoir réaliser une économie de 16 000 euros, donc cela nous a semblé opportun. Surtout qu’on nous a annoncé récemment que le prix de l’électricité pour notre commune serait multiplié par cinq l’an prochain. » Le vote du conseil municipal a d’ailleurs été unanime, et « la question est venue assez naturellement car, au cours de l’été, des communes proches, de toute taille, ont pris la même décision, qui s’est finalement imposée comme une évidence pour nous. »
Même son de cloche à Roz-Landrieux (1 500 habitants, Ille-et-Vilaine), qui éteint ses lumières entre 21 heures et 6h45, « car c’est l’heure à partir de laquelle les enfants prennent leur bus pour aller à l’école », précise François Mainsard, le maire. C’est uniquement pour des questions budgétaires que cette décision a été prise : dans cette commune, l’éclairage public représente une grande part du budget, entre 13 et 15 %, tout en sachant que « la consommation électrique va exploser ». Donc depuis le mois d’août, la commune a pris la décision radicale de baisser sa consommation d’éclairage : elle éteint complètement l’éclairage l’été, du 15 mai au 1er septembre. « Ces économies vont nous permettre d’investir dans la rénovation énergétique, puisqu’il faut de toute façon poursuivre nos économies. »
La biodiversité dans les débats
Mais le maire de Maignelay-Montigny reconnaît également que même si ce sont des raisons budgétaires qui ont motivé la commune à prendre sa décision, elle en retire d’autres bienfaits : « Finalement, ça répond à un autre objectif, à savoir la lutte contre la pollution lumineuse. J’ai eu beaucoup de retours de citoyens sur ces questions-là. »
Par contre, François Mainsard, à Roz-Landrieux, préfère être honnête sur ce sujet : « Dans les petites communes, on a surtout un budget à tenir. La pollution lumineuse, il faut d’abord aller la voir dans les grandes villes. Nous, nous n’avons que que 110 candélabres pour 1 100 hectares, donc ce n’est pas nous qui créons de la pollution lumineuse. On n’a donc pas cette conscience dans notre politique de l’éclairage, même si la question de la biodiversité se retrouve dans nos autres actions. »
Une approche très différente de celle de Still (1 800 habitants, Bas-Rhin) qui, depuis juillet, a mis en place l’extinction nocturne de l’éclairage public, absolument pas pour des raisons budgétaires, mais écologiques avant tout : « Le but était d’avoir un impact moindre au niveau environnemental, pour la faune, et les économies ont été un bonus. Mais avec l’inflation, on a un résultat neutre : on est resté au même budget que celui de l’an dernier. »
Dans cette commune, l’extinction se fait de 23 à 5 heures du matin dans tout le village. Mais la mise en place de cette extinction ne s’est pas faite toute seule : « On a lancé une consultation générale des habitants, dont le tiers a répondu, avec 87 % d’avis favorables, en axant sur l’impact de la luminosité sur la biodiversité, la réduction du CO2, le bien-être de nos concitoyens, qui sont aussi impactés par la lumière. » Preuve supplémentaire que cette extinction est décorrélée de la crise ukrainienne : une première phase avait été testée pendant le second confinement.
Eclairage hiérarchisé
Françoise Laborde, la maire de La Sauvetat-sur-Lède (700 habitants, Lot-et-Garonne), relate la situation particulière qui s’est présentée au moment de prendre une décision sur l’éclairage public : « Nous sommes traversés par une route départementale, avec à peu près 4500 véhicules par jour, avec des écoles, des personnes âgées qui se déplacent là. » La commune a donc décidé de gérer son éclairage différemment en fonction des quartiers. Dans les lotissements, l’extinction se fait à 23 heures et jusqu’à 6 heures du matin, mais pas du tout dans le reste du village, et en particulier dans le cœur de bourg traversé par cette route départementale.
Cela fait deux ans et demi que cette organisation, expliquée dans le bulletin municipal, a été mise en place pour faire des économies. « Nous n’avons eu aucun retour des habitants des lotissements. » Même si cette décision a été prise avant la crise énergétique actuelle, la maire espère que cette situation ne va pas se prolonger, car « les dépenses augmentent, il va falloir faire attention à tout. Il y a trois mois, nous avons contacté le syndicat départemental, Territoire Energie, car nous voulons passer en 100% leds, pour faire d’avantage d’économies encore. »
A Guipavas (15 500 habitants, Finistère) aussi, le choix a été fait, depuis le 1er novembre, d’éteindre les luminaires en fonction des quartiers, de 22h30 à 6 heures du matin. « Les quartiers sont éteints et, sur les grands axes, un lampadaire sur deux reste allumé », précise Jacques Gosselin, adjoint au maire chargé des travaux. Les habitants n’avaient pas été concertés, mais bien informés par les publications de la commune. La première raison a été budgétaire, même si la question de l’impact sur la biodiversité s’était posée aussi. Mais c’est depuis 2017 que la rénovation en leds est en route, y compris pour l’éclairage intérieur des bâtiments publics.
La rénovation énergétique, un objectif pour tous ?
Denis Flour indique qu’à Maignelay-Montigny, l’objectif est de passer au 100 % leds d’ici deux ou trois ans, pour des raisons d’économies : « Mais même à ce moment-là, j’aimerais qu’on continue l’extinction totale, pour des raisons de sobriété. »
A Still, qui est à 20 % en leds, la rénovation des lumières se fait au coup par coup, « quand on a une lampe qui claque ». « A la vitesse à laquelle on avance, on devrait atteindre le 100% leds dans une dizaine d’années. Notre matériel actuel fonctionne et, écologiquement, on se dit qu’on doit l’utiliser tant que c’est le cas », explique l’adjoint au maire Johann Guénard.
A Talence (42 100 habitants, Gironde), la municipalité est passée au 100 % leds depuis 2020, mais elle pratique quand même l’extinction des lumières de 1 heure à 5 heures du matin, sur l’ensemble de la ville, sauf le long de la rame du tramway (entre 2 heures et 4 heures du matin). Stéphane Boulon, le directeur de cabinet, raconte que leur réflexion sur l’environnement et la consommation énergétique était une vraie préoccupation. La rénovation énergétique a en tout cas permis à la ville de travailler rue par rue. En revanche, le maire, Emmanuel Sallaberry, attend « avec beaucoup de fébrilité le projet de loi de finances définitif, pour savoir si on pourra bénéficier d’un bouclier tarifaire. Même quand on fait le choix de rénover tout son parc, on n’a plus de levier pour réaliser davantage d’économies, donc oui, la hausse des prix de l’électricité nous inquiète beaucoup. Toutes les communes ont besoin de l’aide de l’Etat ».
Gérer le sentiment d’insécurité
Au moment de prendre sa décision il y a un mois, Maignelay-Montigny a reçu quelques retours négatifs de ses habitants, liés à leur sentiment d’insécurité. Mais la municipalité avait recueilli l’avis de la gendarmerie : « ils étaient plutôt favorables à l’extinction, assurant que cela n’aurait pas de conséquence négative en matière de délinquance ou d’accidentologie. » Et d’expliquer au maire que « les trafiquants et les voleurs ont horreur du noir aussi et que, dans un village où l’éclairage public est éteint, on repère plus facilement les gens qui se promènent la nuit avec leur lampe ». Depuis la mise en place de l’extinction, Denis Flour n’a relevé aucun incident. Mais il reconnaît aussi que dans une ville telle que la sienne, « il n’y a personne dans les rues après 20 heures, néanmoins, la question de l’insécurité est quand même ressortie des débats ».
Mais à Roz-Landrieux, on ne compte aucun retour défavorable, lié à la sécurité ou pas : « Les habitants ont bien compris qu’il nous fallait faire des économies d’énergie pour maintenir les finances de la commune à flot et, à ma connaissance, à ce jour, nous n’avons eu aucune plainte. Il faut dire que la nuit, la circulation est résiduelle, même s’il y a quand même des gens en horaires décalés. »
A Still, les habitants qui ont répondu à la consultation organisée par la municipalité ont fait remonter leurs inquiétudes pour leur sécurité. Le maire est alors intervenu : « J’ai répondu nominativement à chaque citoyen pour indiquer que j’étais disponible en mairie pour leur expliquer que l’absence de luminosité n’a pas d’impact sur la sécurité. Mais personne n’est venu me voir ! » Cette extinction a toutefois changé certaines habitudes, selon Johann Guénard, son adjoint : « Les gens qui promènent leur chien autour de 23 heures le font avec une lampe frontale. » Le maire renchérit : « Aucun habitant n’est venu me voir pour me dire que cette décision avait impacté ses déplacements ». Au contraire, la commune a remarqué que depuis la mise en place de cette extinction, les attroupements de nuit ne se font plus, alors qu’ils posaient quelques nuisances la nuit : « On a constaté moins de dégradations dans notre aire de jeux, qu’on devait nettoyer tous les jours, moins de déchets, moins de bruit. »
Une situation qui peut varier en fonction de la taille de la commune. A Orléans (114 644 habitants, Loiret ), « on est revenus en arrière sur certaines extinctions, à cause des problèmes de sécurité routière, au niveau du périphérique, et des habitants se sont plaints, surtout des femmes », explique Pascal Tebibel, vice-président. A Talence, au contraire, on insiste sur l’absence de corrélation entre le noir et l’insécurité.
Des « précurseurs »
Force est de constater que les communes n’ont pas attendu la crise énergétique actuelle pour prendre la décision d’éteindre les lumières au cœur de la nuit. C’est le cas de Louzac-Saint-André (1 000 habitants, Charente), qui éteint de 23 heures à 6h30 depuis une trentaine d’années, sur tout son territoire, en augmentant la plage horaire. « Ca nous paraissait un peu stupide d’allumer la nuit alors que personne ne circule, reconnaît le maire, Lilian Jousson. C’est donc avant tout pour réduire le gaspillage et favoriser la biodiversité. Les gens sont tellement habitués que, lorsque l’on a relevé l’extinction à 23 heures, ils n’ont pas bronché. » Une situation qui a permis d’être plus serein vis-à-vis de son budget, surtout que, de mi-avril à mi-septembre, l’extinction est totale, à toute heure, et ce, depuis une vingtaine d’années.
Une position qui permet à la commune de témoigner auprès d’autres maires qui hésitent à se lancer : « Cela fait trente ans qu’on le fait, et jamais aucun habitant n’a protesté. Même en ville, finalement, j’ai rarement vu quelqu’un se promener à deux heures du matin. Je pense que l’insécurité liée au noir reste seulement un sentiment. » D’ailleurs, le maire insiste : « Je pense qu’il ne faut pas avoir peur d’éteindre la nuit ; que, bien sûr, certains irréductibles vont se plaindre, mais que l’intérêt collectif doit primer. Mais il faut bien sûr cerner les problèmes : si, à un carrefour, il y a un risque d’accident, on garde les lumières, de même le weekend autour des salles des fêtes, par exemple. On va nous-mêmes, l’an prochain, faire cet éclairage ciblé pour notre secteur qui comprend nos commerces, la salle des fêtes et le terrain de foot. »
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Flambée des prix, crises : les maires en alerte, lors de leur Congrès 2022
Sommaire du dossier
- Elisabeth Borne desserre l’étau financier
- « Si on simplifie le bouclier tarifaire, je ne toucherai pas aux tarifs »
- L’inconnu de l’Elysée
- Emmanuel Macron au Salon des maires : une « solution de facilité » pour les élus
- Les fonds européens, plus simples à réclamer
- Prise de compétences mobilités : l’AMF veut rejouer le match
- Les maires disent « merci » à leurs agents
- Des élus démunis face à la crise du logement… et des pistes pour en sortir
- Flambée des prix : les maires sonnent le tocsin
- Changement climatique : les élus sont-ils écoanxieux ?
- Le panier des maires plus lourd que jamais en 2022
- Innovation et services publics, une technologie à remettre à sa juste place
- Congrès des maires : un plan réclamé pour la ruralité
- Maires et partis : le divorce
- Vent de fronde contre la « supracommunalité »
- Déserts médicaux : l’éternel débat sur l’obligation d’installation relancé
- Equipements sportifs : passer de la sobriété à l’efficacité énergétique
- Les maires broient du noir
- Un ZAN pas toujours très net
- Les élus toujours aussi inquiets face au manque d’attractivité des métiers de l’éducation
- Au congrès des maires, l’extinction de l’éclairage public a ses adeptes
- Avis de tempête sur les budgets locaux 2023
- L’épineuse rénovation énergétique du patrimoine protégé
- Transition écologique : la culture en quête de solutions concrètes