Le bouleversement juridique induit par la loi « Valls » du 17 mai 2013 prend ces temps-ci toute son ampleur. Les 23 et 30 mars 2014 auront lieu les élections municipales et communautaires, les citoyens désignant pour la première fois directement leurs représentants au conseil communautaire. Mais ce n’est pas la seule nouveauté de cette réforme électorale : près de 7 000 communes passent au scrutin de liste bloquée – donc sans panachage – du fait de l’abaissement du seuil à 1 000 habitants. A cela s’ajoutent d’autres nouvelles obligations, telles que la déclaration de tous les candidats ou la présentation d’une pièce d’identité par l’électeur au moment du vote.
Ces changements juridiques, du fait de leur ampleur, doivent inévitablement se préparer. Compréhension, application et communication des nouvelles règles électorales auprès des candidats, mais aussi des électeurs, sont en ce moment les tâches qui incombent aux collectivités. Mais la complexité et même l’inapplicabilité de certains nouveaux dispositifs sont au rendez-vous. Tour d’horizon des difficultés.
Parité mal aisée – La première difficulté concerne l’application, désormais obligatoire, de la parité pour les communes de plus de 1 000 habitants. « Cette règle induit un double problème chez les candidats têtes de liste des communes rurales », relève le président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), Vanik Berberian.
« D’une part, il n’est pas évident de trouver des femmes disponibles compte tenu de leur charge familiale, professionnelle et parfois associative. D’autre part, il est très délicat pour un candidat tête de liste de se défaire de membres masculins d’une équipe précédente, surtout lorsque ceux-ci se sont impliqués dans leur mandat. »
A en croire les maires ruraux, la parité serait un obstacle réel à la constitution de listes dans les petites communes.
Ces mêmes communes sont à présent confrontées à la complexité des règles de constitution d’une liste communautaire. Même si de nombreuses formations d’élus et d’agents sont organisées et que l’Etat commence à publier notes et circulaires sur le sujet, plusieurs situations demeurent insolvables.
A l’image de celle relevée par Philippe Bluteau, avocat spécialiste des questions électorales : « La règle du quart, qui a pour but de présenter les mêmes candidats dans les premières positions des listes au conseil municipal et au conseil communautaire, est obscure lorsque la liste communale ne comprend pas un nombre de candidats multiple de quatre. »
Un obstacle mathématique qui risque d’entraîner des contentieux, voire le dépôt d’une seule liste de candidats dans certaines communes. « Un paradoxe pour une loi qui entendait redynamiser la démocratie locale », ironise l’avocat.
Informer les lecteurs – Mais la crainte majeure reste la compréhension des nouvelles règles par les électeurs. « La fin du panachage est un vrai changement des habitudes électorales de nos concitoyens. Ce qui nous fait craindre une forte hausse des bulletins nuls, surtout dans les petites communes rurales », déplore le président de l’AMRF.
C’est pourquoi les communes, avec l’aide efficace des associations d’élus (AMF, AMRF…), multiplient les outils pédagogiques afin d’informer et d’accompagner les électeurs dans leur vote. A l’image de Cazilhac (Aude) qui a publié une note sur son site internet et projette d’envoyer des courriers explicatifs directement aux électeurs. Avec ses 1 660 habitants, la commune passe au scrutin de liste.
Les intercommunalités mettent également l’accent sur l’information et l’explication des nouvelles élections communautaires au suffrage universel direct. Elles communiquent aussi sur le rôle des établissements intercommunaux grâce, notamment, au soutien de l’Assemblée des communautés de France (ADCF), qui publie à cette occasion sur son site « L’intercommunalité mode d’emploi » ainsi qu’une infographie animée.
Enfin, l’Etat assure accompagner les collectivités et les électeurs dans l’application de sa réforme électorale. Marc Tschiggfrey, chef du bureau des élections et des études politiques au ministère de l’Intérieur, promet « une campagne radio courant février ainsi que des plaquettes disponibles dès à présent en préfecture et en mairie jusqu’au jour du vote ». Mais les collectivités n’ont pas encore été livrées…
Témoignages
« Nous n’avons pas encore tous les éléments de réponse à nos questions »
Marie-José Marty, maire de Baraqueville
« Notre commune connaît un vrai bouleversement avec les nouvelles règles électorales puisque, désormais, le scrutin de liste nous est applicable. Mais nous essayons au maximum d’anticiper en formant nos agents et en informant les citoyens afin qu’ils ne soient pas désemparés le jour du vote. Notre prochain bulletin municipal est entièrement consacré à l’explication des nouvelles règles électorales et nous utiliserons les panneaux de la ville ainsi que notre site internet comme supports de contenus encore plus pédagogiques à destination des électeurs. En revanche, concernant les règles applicables aux candidats, nous n’avons pas encore tous les éléments de réponse à nos questions. Les notes explicatives envoyées par la préfecture ne permettent pas de régler tous les sujets, par exemple, concernant le respect de la parité pour le futur bureau des adjoints. »
« La double liste risque d’augmenter le nombre de bulletins nuls »
Jeanine Rongère, adjointe au maire de Chazelles-sur-Lyon, chargée de la communication
« Notre campagne d’information à destination des électeurs a débuté dès l’adoption de la loi, en mai, afin d’anticiper au maximum les questions que vont susciter ces nouvelles règles électorales. Car les habitudes de nos citoyens vont être chamboulées puisque, à présent, ils vont élire leurs représentants au conseil municipal et au conseil communautaire, et ce par le biais d’une double liste bloquée. Et c’est justement la présence de cette double liste qui risque de conduire à une multiplication des bulletins nuls. C’est pourquoi nous avons ciblé notre information sur ce point afin que les électeurs comprennent pourquoi certains candidats de la liste municipale sont aussi présents sur la liste communautaire et, d’autres, au contraire, ne le sont pas. Notre site internet et notre bulletin municipal regorgent de notes explicatives afin d’accompagner l’électeur. »
« Une communication complexe mais guidée par la volonté de transparence »
François Carbonnel, directeur de cabinet et de la communication de la communauté de communes Tarn et Dadou
« Nous avons débuté notre campagne de communication sur les nouvelles règles du vote pour l’intercommunalité dès le printemps dernier, quand nous avons exposé le mode de calcul choisi pour l’attribution du nombre de sièges par commune. Notre objectif était de ne pas laisser libre cours à l’interprétation et d’inciter à l’inscription de nouveaux électeurs. Depuis, nous avons complété l’information par des infographies, visibles sur notre site, explicitant les règles du vote. L’exercice est complexe, il nous a demandé un vrai travail de recherche sur la forme, mais nous sommes guidés par une volonté de transparence. Certains élus ont pu être réticents à cette communication, craignant qu’elle ne vienne mettre en lumière la complexité de la procédure ou qu’elle ne comporte une erreur. Finalement, c’est la satisfaction qui l’emporte. »
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Municipales 2014 : l’effet domino pour les DGS, les agents, les collectivités, sur fond de rigueur
Sommaire du dossier
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- Mairies « FN » : le syndicat des directeurs généraux sera « vigilant »
- Municipales 2014 : Le tour des régions les plus emblématiques
- Municipales 2014 : quels enseignements tirer du vote (et non-vote) des banlieues ?
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- Comment les communes se préparent aux nouveaux modes de scrutin
- Election des délégués communautaires : « C’est loin d’être limpide »
- « L’intercommunalité éloigne les candidats de la politique partisane » – Jean Pierre Sueur, sénateur
- A Hénin-Beaumont, les fonctionnaires territoriaux sur le qui-vive
- A Forbach, les fonctionnaires territoriaux face à l’hypothèse Front national
- Municipales : ce que les maires FN veulent faire en matière de sécurité
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- « Minimiser les problèmes d’insécurité fait le jeu du Front national » – Bernard Alidières, géographe
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