Décidément, Forbach tient la vedette. Une bonne centaine de journalistes français et étrangers suivront dimanche 30 mars le scrutin qui oppose le maire sortant Laurent Kalinowski (PS) à Florian Philippot (Front national), Alexandre Cassaro (UMP) et Eric Diligent (divers droite).
Vice-président du Front national, le jeune énarque parachuté obtiendra-t-il sa première victoire électorale dans l’est mosellan ? Le suspense revêt une dimension toute particulière pour les agents de cette commune de 21 954 habitants, mais aussi pour leurs collègues de la communauté d’agglomération Forbach – Porte de France et plus largement, pour l’ensemble de la fonction publique territoriale de l’ancien bassin houiller.
Stricte neutralité revendiquée – Tenus à l’obligation de réserve, les agents se gardent en général d’exprimer leur avis publiquement. A l’agglomération comme à la ville, les DGS arrivent à quelques mois de leur retraite et revendiquent une stricte neutralité.
Certains cadres ou agents de base ont néanmoins accepté de nous répondre. Tous n’ont pas exigé l’anonymat – que nous appliquerons néanmoins à tous les témoignages pour conférer le même poids à chaque expression.
Tradition transfrontalière – La montée du Front national apparaît doublement paradoxale dans l’ancien bassin houiller de l’est mosellan, majoritairement peuplé d’enfants d’immigrés et investi de longue date dans la coopération transfrontalière. Forbach constitue le versant mosellan de l’Eurodistrict SaarMoselle patiemment édifié par deux décennies d’agents et d’élus de part et d’autre de la frontière.
« Le principal argument de prospection consiste à présenter l’Eurodistrict comme une terre d’accueil. Si le Front national passe, nous allons devoir changer nos brochures », ironise une agent du bureau de coopération. Le candidat Front national affirme souhaiter poursuivre dans la voie de la coopération transfrontalière, suscitant le scepticisme des élus sarrois.
Perte de crédibilité ? – Les fonctionnaires mosellans impliqués dans l’Eurodistrict ne paraissent cependant pas redouter de chasse aux sorcières, d’autant que les relations bilatérales avec la Sarre reposent sur la communauté d’agglomération et non pas sur la ville. Ils craignent en revanche une perte de crédibilité. L’heure est à l’attentisme et à la morosité : « Rester pour défendre les acquis ou quitter le bateau, et dans ce cas, partir pour aller où, sachant que le marché de l’emploi territorial est particulièrement atone ? », s’interroge un cadre de la structure.
Partir ? Ce gradé des sapeurs-pompiers de Forbach ne l’envisage nullement, quelle que soit l’issue du scrutin. « Nous avons travaillé avec des maires UMP, UDF et socialiste, et travaillerons de la même manière avec un élu Front national le cas échéant. Notre mission restera exactement la même : protéger les citoyens quelle que soit leur origine ou leur quartier, en faisant abstraction de toute idéologie, comme le font les sapeurs-pompiers depuis plus de deux siècles », affirme le fonctionnaire.
Selon lui, l’arrivée du Front national n’aura aucune incidence sur les violences urbaine qui éclatent sporadiquement à Forbach et dans la commune voisine de Behren-les-Forbach, toutes deux classées en zones de sécurité prioritaire. « Les violences urbaines ne sont pas nouvelles : nous en avons connu d’autres, notamment lors des grandes manifestations des mineurs. Elles constituent une déviance et un obstacle à notre travail, mais n’ont pas d’incidence sur notre mission », estime le gradé.
Le poids de l’agglo comme rempart – La nuit de violence qu’a connue Behren-les-Forbach le 10 mars dernier risque pourtant de peser sur l’issue du scrutin forbachois. Suite à l’interpellation d’un mineur, une trentaine de jeunes ont incendié des voitures, attaqué la mairie et lancé des pierres sur les gendarmes et les pompiers.
« Ces jeunes n’avaient certainement pas l’intention de faire progresser le Front national, mais ils lui mâchent le travail », soupire cette travailleuse sociale spécialisée dans la prévention dans le bassin houiller. La perspective du Front national l’emportant à Forbach la navre sans l’intimider. « Bien sûr, ils pourront faire des effets d’annonce et renforcer la politique sécuritaire, mais ils n’ont pas les moyens de remettre en cause une politique sociale qui s’appuie sur l’agglomération et sur les dispositifs nationaux. Même si le maire est Front national, il reste la loi, le droit, les acquis de la République. Les employés du CCAS peuvent craindre des restrictions et des rapports de force, mais il restera des marges de manœuvre », estime la jeune femme.
Un espoir pour certains agents – « Le Front ne fait pas peur à tout le monde. Vous serez surpris de voir combien d’agents postuleront à la mairie de Forbach quand Philippot l’aura emporté. Moi-même, je suis prêt à me mettre à son service. Ça vaut toujours mieux que de me retrouver placardisé si mon maire ne repasse pas, et je suis prêt à leur apporter mon expérience pour leur éviter de faire des conneries », affirme sans ambages un cadre supérieur d’une commune voisine.
Les agents affichant ouvertement leurs sympathies frontistes restent rares, mais les directions des services remarquent certaines oppositions feutrées, voire des propensions plus ou moins discrètes de jouer contre le maire sortant.
« Il est clair que certains tentent de se placer – à leurs risques et périls, car la victoire du Front national n’est pas acquise. En tout état de cause, seuls les DGS et leurs adjoints sont directement exposés par un changement de majorité. Mais quel que soit son grade et son statut, aucun fonctionnaire territorial n’est obligé d’épouser les convictions de son élu. Son statut le protège et il a le droit de partir si la politique mise en place lui pose des problèmes éthiques. Au cours des prochaines élections le bassin houiller va certainement connaître des changements politiques importants qui laisseront un grand espace à la mobilité », estime un cadre communal forbachois.
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