Qu’ils brandissent les chiffres de la délinquance (ne mesurant que partiellement la réalité) ou fustigent les incivilités du quotidien, les candidats aux municipales se livrent depuis quelques semaines un combat à fleurets mouchetés. A ceci près que les batailles d’éloquence font souvent fi… des différences de programmes.
Dépolitisation de la sécurité – Par le passé, les maires sortants et candidats faisant de la sécurité locale et de la tranquillité publique une de leurs priorités étaient souvent issus de la droite voire de l’extrême-droite. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Treize ans après les municipales de 2001 où l’insécurité avait pesé de tout son poids dans la campagne électorale, le débat s’est considérablement dépolitisé.
Dans les grandes villes, les prises de parole partisanes ne portent désormais guère plus sur la légitimité du maire à s’occuper de sécurité mais plutôt sur la façon d’utiliser les caméras de vidéosurveillance ou la doctrine d’emploi des policiers municipaux.
Armement ≠ UMP – A titre d’exemple, la création d’une police municipale, le développement des effectifs, l’extension de leurs horaires pour un fonctionnement 24h/24, l’ouverture de commissariats municipaux de quartier ou l’armement ne représentent plus forcément des propositions « de droite »…
A Saint-Denis, le candidat PS Mathieu Hanotin porte en effet tous ces arguments contre le maire sortant (PCF) Didier Paillard, qui continue d’exiger pour sa part un renforcement de la police nationale.
Des policiers municipaux équipés d’armes à feu, patrouillant sur la Canebière ? A Marseille, l’idée n’est pas portée par le maire sortant (UMP) Jean-Claude Gaudin qui privilégie des flashballs, mais ses rivaux Stéphane Ravier (FN) et Patrick Menucci (PS).
En place depuis dix-huit ans, le maire socialiste de Grenoble Michel Destot vient de livrer voici quelques jours des revolvers aux agents de la brigade de nuit de sa police municipale, qui n’attendent plus que leurs formations pour pouvoir s’en servir.
Conversion de la gauche – Loin d’être représentatifs de tous les programmes des candidats PS aux municipales, ces exemples locaux démontrent néanmoins le chemin parcouru en matière de sécurité par les élus socialistes – dont certains ont été accusés de « laxisme » et d’« angélisme » par le passé.
Interrogée par le Figaro, la députée (PS) du Calvados Clotilde Valter en charge des questions de sécurité au PS estimait que « tout le monde est entré dans la réalité à partir de 2002. Les maires qui étaient en première ligne ont fait bouger le parti. »
Fin des idéologies – La très grande majorité des programmes, de gauche comme de droite, présentent donc désormais le même caractère volontariste ou « pragmatique » en matière de sécurité. Sans jamais que les promesses ne soient chiffrées, sous peine de laisser présager une hausse des impôts locaux suicidaire dans un contexte de ras-le-bol fiscal.
Si la dépolitisation brouille de plus en plus les discours partisans dans les grandes villes, c’est également vrai pour les plus petites communes, où le contexte local a depuis longtemps pris le pas sur les idéologies.
Retour de la Pol Prox ? – Au Muy, commune du Var de 9 000 habitants, le dissident de droite Serge Lahondes insiste sur « la mission de prévention qui est parfois oubliée » de la police municipale. Par ailleurs, il est loin d’être le seul candidat de droite à réclamer l’îlotage de la police municipale, dans la perspective de garantir – comme le demandait la gauche dans les années 2000 – une certaine proximité avec la population.
La bataille électorale ne rend même plus obligatoire de défendre des postures différenciées.
Les candidats UMP et divers gauche du Grau-du-Roi (Gard) revendiquent tous deux s’inspirer des actions conduites à la Grande Motte (Hérault), ville administrée par la droite. Configuration quasi-semblable à Toulouse, où l’ex-maire (UMP) Jean-Luc Moudenc souhaite « prendre exemple sur Lyon et Montpellier, deux municipalités socialistes » tant en matière de vidéosurveillance que de développement de la PM.
La vidéo plébiscitée – La vidéosurveillance – ou plutôt « vidéoprotection » en période de campagne électorale – n’a pas non plus été un sujet de clivage au cours de ces dernières semaines. Les arguments orwelliens sur la menace que ferait porter la vidéo sur les libertés publiques ne font plus recette face à une population se disant de plus en plus convaincue de son efficacité.
Pourtant mise en doute par certains scientifiques et objet d’une étude de la part du ministère de l’Intérieur, l’efficacité (ou non) de cette technologie ne semble plus être un critère de choix pour les maires : tous les moyens sont bons pour tenter de réduire le sentiment d’insécurité des citoyens. Y compris pour certains irréductibles comme le maire (PS) de Caen, Philippe Duron, qui promet d’en équiper sa ville au cours de la prochaine mandature.
Banalisation de la sécurité – Seuls une infime minorité de candidats écologistes ou communistes, comme Eric Piolle (EELV) à Grenoble ou Muriel Ressiguier (Front de gauche) à Montpellier, assurent vouloir enlever des caméras de vidéosurveillance ou désarmer la police municipale en cas d’élection.
Un unanimisme qui fait écho aux propos de la sociologue Virginie Malochet, qui disait observer dans une récente interview une « banalisation » des outils de la sécurité locale. « Une fois que le service fait partie du paysage, on le garde. »
Sécurité locale : de nouveaux argumentaires « de gauche » pour une nouvelle doctrine
Les nouvelles exigences des Français poussent une très grande majorité des candidats – de droite, mais aussi de gauche – à se positionner sur divers sujets liés à la sécurité locale. Au point qu’il n’est plus rare désormais d’entendre que « la sécurité n’est ni de droite ni de gauche » sur les marchés et autres lieux de tractage où se joue le scrutin.
La sécurité pour tous… – « La sécurité est un bien précieux pour les gens qui n’ont rien, c’est un droit fondamental pour tous les quartiers » affirme Johanna Rolland, candidate PS à la mairie de Nantes, qui légitime ce thème de campagne à travers la défense des populations vulnérables.
Plus au sud, à Perpignan, l’écologiste Jean Codonges décline lui aussi le concept de Droit à la ville inventé par l’intellectuel marxiste Henri Lefèbvre : « la sécurité est un droit pour chaque citoyen quels que soient son âge, son quartier, son statut social. » Malgré le discours médiatique moquant le « virage sécuritaire », certains élus investissent ce sujet en assurant que la sécurité est la première liberté pour les plus pauvres de nos concitoyens.
… face à loi du plus fort – Cécile Helle (PS), qui se présente à Avignon, refuse que la politique de sécurité et de prévention de la délinquance « stigmatise ou privilégie des espaces géographiques plutôt que d’autres. Et plus particulièrement les quartiers abandonnés, contraints de subir la loi de bandes installées dans le trafic. »
La sécurité locale et la tranquillité publique n’est plus seulement une compétence du maire fixée par la loi. C’est aussi une contrainte électorale, qui permet d’évoquer des sujets transpartisans plus globaux, à l’instar du cadre de vie ou encore le vivre-ensemble dans sa ville.
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Municipales 2014 : l’effet domino pour les DGS, les agents, les collectivités, sur fond de rigueur
Sommaire du dossier
- La droite va entrer en force dans les métropoles
- La moitié des grandes intercommunalités changent de tête
- Les associations d’élus vont, aussi, changer de tête
- Alternance : les rudes lendemains des DGS
- Fonction publique : vers un mercato d’envergure où les places vont être chères
- Alternance : étranges ambiances dans les services
- Mairies « FN » : le syndicat des directeurs généraux sera « vigilant »
- Municipales 2014 : Le tour des régions les plus emblématiques
- Municipales 2014 : quels enseignements tirer du vote (et non-vote) des banlieues ?
- « La campagne des municipales est marquée par une forte dépolitisation »
- Comment les communes se préparent aux nouveaux modes de scrutin
- Election des délégués communautaires : « C’est loin d’être limpide »
- « L’intercommunalité éloigne les candidats de la politique partisane » – Jean Pierre Sueur, sénateur
- A Hénin-Beaumont, les fonctionnaires territoriaux sur le qui-vive
- A Forbach, les fonctionnaires territoriaux face à l’hypothèse Front national
- Municipales : ce que les maires FN veulent faire en matière de sécurité
- Quand les fonctionnaires territoriaux deviennent des cibles électorales
- Municipales : les DGS engagés, forcément engagés…
- « Minimiser les problèmes d’insécurité fait le jeu du Front national » – Bernard Alidières, géographe
- Femmes têtes de liste pour les élections municipales : carton rouge aux formations politiques
- Campagne municipale : combien ça coûte ?
- L’emploi s’impose dans la campagne électorale
- L’interco, passagère clandestine de la campagne des municipales 2014
- Municipales : les impôts locaux, un thème prisé des challengers
- Municipales : la sécurité, un thème de plus en plus consensuel
- Comment les candidats se positionnent vis-à-vis de la lutte contre l’homophobie
- Municipales : les réseaux sociaux à deux vitesses
- Récolement post-électoral : les 7 erreurs à ne pas commettre