Attention, sujet brûlant ! Ainsi qu’en témoigne le nombre d’interviews refusées, la place des dirigeants territoriaux dans une campagne municipale est loin d’être une thématique ordinaire. La question serait même, selon Pierrick Lozé, DGS à Melun (39 500 hab., Seine-et-Marne), « au cœur de toute la complexité de notre fonction, entre cette neutralité dont nous sommes les porteurs et le politique que nous servons, entre cette continuité de service que nous devons assurer et cette proximité de travail croissante que nous revendiquons ».
Un cap déjà tracé – Certes, « le directeur général des services a pour mission première le fonctionnement du service public, dans la sérénité et l’équilibre républicain », pose le DGS de Montluçon (38 200 hab., Allier), Franck Paulhe. Le cap semble donc tracé… Au DGS d’assurer ainsi le quotidien en cette période où temps politique et temps administratif ont tendance à se percuter.
A lui, également, d’organiser l’accès de l’opposition à l’information et la logistique qui lui sont, de droit, ouverts. A lui, enfin, de défendre les services pris à partie – et cela n’est pas rare – par les challengers. « Plus les directions générales conquièrent l’autonomie administrative, moins elles doivent être impliquées au plan politique », résume le DGS de Montpellier, Jules Nyssen.
Mais l’enfer est pavé des meilleures intentions. Et, très vite, la frontière peut se révéler nettement plus floue. Cela commence par le bilan de mandat. « Exercice normal, attendu et public d’une administration », comme le précise le DGS d’Antibes (75 200 hab., Alpes-Maritimes) et président du Syndicat national des DG des collectivités territoriales, Stéphane Pintre, mais aussi base du premier argumentaire d’un maire sortant.
Viennent ensuite les projections. Là non plus, rien de répréhensible, a priori, « une direction se devant de préparer la suite immédiate avec l’investiture et, plus lointaine, par un calendrier des enjeux et décisions relevant du futur mandat », détaille Anne-Claire Mialot, DGS de la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise (13 communes, 197 200 hab.). Mais que penser lorsque ces éléments fondent le programme de l’équipe en place, programme dont les projets se voient même étudiés, et donc crédibilisés, par les services ?
Enfin, si « le rôle du DGS est aussi de revisiter la gouvernance au fur et à mesure des besoins », ainsi que l’indique Stéphane Pintre, jusqu’où aller dans le contour des délégations susceptibles de s’y inscrire en cohérence ?
Continuité du service – Assurément, « la mission d’un DGS est de travailler jusqu’au dernier moment avec l’exécutif en place ; il ne faut pas confondre rôle et mission », assène le DGS de Saint-Herblain (43 100 hab., Loire-Atlantique), Thierry Gévaudan (lire p. 29). Certainement, « ce ne sont là que des notes techniques dont l’arbitrage et l’exploitation relèvent des élus », souligne Jules Nyssen.
« Assurer la continuité du service passe forcément par l’engagement de nouveaux chantiers et l’organisation de l’exécutif », soutient Marie-Francine François, DGS de pays de Montbéliard agglomération (29 communes, 120 000 hab.) et présidente de l’Association des administrateurs territoriaux de France. Néanmoins, « alimenter l’équipe en place et continuer à réfléchir à des projets est-il une aide à l’exécutif sortant ? La demande émanant d’untel est-elle celle de l’adjoint au maire ou du colistier ? », interroge Pierrick Lozé.
« Alors que la démocratie de proximité a régularisé les réunions publiques, à partir de quel moment s’y tenir relève-t-il moins de la collaboration administrative que d’une caution apportée à une liste ? », lance Stéphane Pintre.
« La vigilance est de mise pour ne pas se laisser “embarquer” », admet Franck Paulhe, tandis que pour Anne-Claire Mialot « ce que l’on fait compte moins que le moment où on le fait, avant ou après le scrutin ».
Ces atermoiements en agacent certains… « Stop à l’hypocrisie au nom de la réserve », clame ce dirigeant francilien qui revendique comme une nécessité (mais à couvert !) le partage des orientations politiques de l’exécutif qu’il sert.
Au-delà des questions calendaires existerait ainsi tout un volet « affectif », « dont le poids dépend du degré de complicité du couple mais n’échappe en réalité à aucun », convient de son côté Marie-Francine François.
« Lorsque l’on a partagé une vision stratégique, on se sent évidemment concerné par la sanction qu’elle recevra des habitants. Tout échec électoral recèle une part d’échec personnel », avoue cet autre.
« Comment se désolidariser soudain d’une équipe avec laquelle on a mis en œuvre un projet durant six ans ? », corrobore Pierrick Lozé, qui ajoute : « Le rôle affirmé du directeur général des services a eu raison du quant à soi administratif ! Il ne peut plus y avoir de mise en distance totale. » Et Marie-Francine François d’appuyer : « Aux DGS militants d’hier se substituent, aujourd’hui, des dirigeants plus stratégiques dont l’implication, moins visible, n’en est sans doute pas moins importante. » « Engagé, forcément engagé », aurait conclu Marguerite Duras…
Deux stratégies opposées
La tentation de l’élection
Michel Roussy, candidat à Arpajon-sur-Cère, DGS d’Aurillac.
Michel Roussy confesse que « le goût de l’intérêt général qui conduit son engagement associatif et professionnel depuis des années se devait de prendre un jour une tournure plus politique ». Depuis 2008 DGS d’Aurillac (27 300 hab., Cantal), l’homme est tête de liste à Arpajon-sur-Cère (6 100 hab., Cantal). « Afin d’exclure toute ambiguïté, j’ai pris trois mois de congés sur mon CET. » prévient-il.
Impossible d’être, dans le même temps, le garant de la continuité du service public et un acteur politique susceptible d’être, demain, vice-président de l’agglo.
Néanmoins, la décision pèse. Car si, en cas de victoire, il anticipera son départ à la retraite, quid de la défaite ? S’étant dévoilé devant les agents dont certains auront été ses soutiens, il aura été un temps un pair du maire sortant et l’adversaire de l’opposition actuelle. « Je ne reviendrai que pour les quelques mois qui me séparent de la retraite et je n’aurais pas fait ce choix plus jeune », admet Michel Roussy, préférant penser plutôt au succès et aux atouts que lui confèrent ses compétences professionnelles.
Le devoir de réserve avant tout
Thierry Gévaudan, DGS de Saint-Herblain
Pour Thierry Gévaudan, DGS depuis 2004 et actuellement à la tête de l’administration de Saint-Herblain (43 100 hab., Loire-Atlantique), la question ne se pose même pas : « Le rôle des dirigeants territoriaux dans une campagne municipale est, de fait, hors sujet puisqu’ils ne doivent aucunement s’impliquer », affirme-t-il d’emblée. Quelles que soient sa sensibilité et la connivence nouée avec l’élu en place, le cadre territorial, comme tout fonctionnaire, est tenu à un devoir de réserve dont il ne peut, à aucun moment, se départir et qui, de fait, conduit à un exercice professionnel sans aucun parti pris. Dès lors, il s’agit donc pour ce professionnel de conduire, en cette période, une action aux bornages très précis, à savoir : « Veiller à la continuité du service public quotidien et à ce que la campagne électorale se déroule dans les pleines conditions d’équité et d’impartialité requises par la République : location de salles de réunion, diffusion d’informations, communication, etc. » détaille Thierry Gévaudan. Et de conclure : « L’important est de ne surtout pas confondre, ici, rôle à jouer et mission à accomplir. »
Un jeu de chaises musicales se prépare
« Le temps des mouvements subis est fini. Désormais, les membres de direction générale acceptent le risque d’une mobilité post-électorale, nombre en font même un accélérateur de carrière. »
A la tête du cabinet de recrutement Raviat et Owen conseil, Sylvie Raviat observe le prémercato 2014. Bien sûr, quelques candidats l’ont déjà contactée afin de « trouver directeur général à leur pied » en cas de victoire. « Mais de très nombreux DGS et DGA m’ont surtout fait part de leur désir de mobilité, quel que soit le résultat dans leur commune », rapporte la professionnelle.
Et si, éthique oblige, ces cadres évitent pudiquement d’évoquer des postes occupés par des collègues, « cela s’agite beaucoup autour des villes dont on sait le DGS prochainement en retraite ».
Cabinets, candidatures spontanées, réseaux personnels… les cadres font feu de tout bois pour franchir l’étape, aidés en cela – et c’est une nouveauté – par une très forte médiation associative facilitant la dynamique par des rencontres avec les cabinets et le CNFPT-Inet, voire, pour le Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales, des accords signés (lire « La Gazette » du 24 février, p. 9).
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