Plus que les alternances politiques ou les réélections triomphales dès le premier tour, ce qui frappe d’emblée en se penchant sur le vote des habitants-électeurs des banlieues populaires est… l’inquiétant taux d’abstention.
Si même l’ex-ministre de l’Intérieur et désormais premier ministre Manuel Valls qualifie d’«historiquement bas» le taux de participation de 36,4% de l’ensemble du pays aux municipales 2014, que dire du cas encore plus alarmant de ces territoires périphériques ?
Comment ne pas avoir en tête, qui plus est, qu’une grande partie de leur population est composée de mineurs et/ou d’étrangers non communautaires, par conséquent non-inscrits sur les listes électorales ?
Elu avec moins de 10% – Le maire de Clichy-sous-Bois, ville-symbole des émeutes urbaines de l’automne 2005, a ainsi été réélu triomphalement avec plus de 65% des suffrages exprimés dès le premier tour le 23 mars dernier.
Compte tenu des 60,2% d’abstentionnistes, cela ne représente pourtant que 2 698 électeurs inscrits, soit moins de 10% des habitants de Clichy-sous-Bois…
Pas de mobilisation de masse… – « Défiance, déception, colère froide, sentiment d’impuissance et/ou conviction partagée que cette élection ne changerait rien de décisif à leur situation ? Les quartiers et les communes populaires des périphéries urbaines ne se sont pas mobilisés en masse pour ces élections » euphémise l’association Ville & Banlieue, qui regroupe une centaine de communes de banlieues urbaines et dont le bureau devrait prochainement être renouvelé (lire l’encadré).
« Sur les 52 villes de plus de 10 000 habitants de l’Association à devoir rouvrir [38,1% ont vu leurs maires réélus dès le premier tour] leurs bureaux de vote au second tour :
- une seule (La Seyne-sur-Mer) a connu une participation supérieure à la moyenne nationale ;
- une ville sur deux (Bron, Argenteuil, Mérignac, Aulnay-sous-Bois, etc…) a connu une abstention de 36 à 45% ;
- une ville sur trois (Melun, Saint-Herblain, etc…) s’est située entre 45 et 55% d’abstentions ;
- une ville sur dix (Villiers-le-Bel, Vaulx-en-Velin) dépasse les 55% d’abstentions ;
Un nombre croissant d’électeurs issus des classes populaires urbaines s’expriment désormais par l’abstention plus que par le vote, parce qu’elles ne se retrouvent guère dans les politiques conduites en leur nom » analyse Ville & Banlieue, dans une note consacrée au scrutin municipal sur ses territoires, publiée sur leur site internet.
Récompense méritée – A l’instar d’Olivier Klein à Clichy-sous-Bois, 38,1% des maires membres de cette association, de gauche ou de droite sont parvenus à être réélus dès le premier tour. Avec des scores parfois « staliniens » : c’est le cas de Stéphane Beaudet (Courcouronnes), François Asensi (Tremblay-en-France), Rodolphe Thomas (Hérouville-Saint-Clair), Marc Goua (Trélazé), Xavier Lemoine (Montfermeil), Jean Touzeau (Lormont) ou encore Catherine Arenou (Chanteloup-les-Vignes).
« Sur les sites les plus emblématiques des difficultés sociales et urbaines – là où les maires se sont engagés non seulement dans la politique de la ville mais aussi dans la rénovation urbaine à grande échelle au cours du dernier mandat –, les électeurs ne leur ont-ils pas simplement donné acte du travail accompli ? » questionne l’association.
Les banlieues amortissent la vague – Enfin, au niveau des résultats politiques du vote, « les effets de la sociologie urbaine conjugués à ceux de l’action politique permettent à de nombreux élus de gauche de bien résister » à la vague UMP, comparé à la situation nationale. Et ce « malgré une forte représentation des maires de gauche au sein de cette association d’élus, qui aurait pu les exposer à davantage de remise en cause :
- Allonnes, Ivry-sur-Seine restent aux mains du Front de gauche, Bègles à celle des Verts, Cran-Gevrier ou Le Grand-Quevilly aux élus PS sortants.
- Concurrencé par le PS, Vaulx-en-Velin (PCF) voit le rapport de forces interne à la gauche évoluer, tandis que Saint-Denis reste aux mains de Didier Paillard (Parti de gauche) ; comme Montreuil dont la maire écologiste ne se représentait pas. Aubervilliers est, elle, passée du PS au PCF.
Néanmoins, 27% des communes de Ville & Banlieue parmi lesquelles Aulnay-sous-Bois, Athis-Mons ou Saint-Priest ont connu l’alternance politique en faveur de la droite UMP-UDI.
Elles seraient susceptibles de s’expliquer par les divisions de la gauche locale (Rillieux-la-Pape, Mantes-la-Ville), les équilibres politiques définis par la mixité (ou, à contrario, non-mixité) sociale, l’impopularité gouvernementale sur le territoire, l’impact de réformes sociétales (mariage homosexuel, réforme pénale) sur un électorat conservateur, etc… Voire d’autre raisons, encore.
Un « vote musulman » et un « clivage racial » ? – Sans essentialiser et aller jusqu’à parler d’un basculement du « vote musulman » du PS et du PCF vers la droite, l’importante vague UMP-UDI en Seine-Saint-Denis aurait une explication toute trouvée selon le polémique Parti des Indigènes de la République (PIR) : le clientélisme.
A lire une tribune d’Aya Ramadan, la droite « plus intelligente, plus sournoise et moins laïcarde » de Jean-Christophe Lagarde (député-maire de Drancy) et ses proches comme Stéphane de Paoli à Bobigny a su prendre en compte le « clivage racial », tandis que la gauche « blanche, paternaliste et repliée sur elle-même » refusait d’ethniciser ses stratégies électorales du fait de la prééminence de l’idéologie d’intégration républicaine dans leurs schémas de pensée.
Renaud Gauquelin quitte la présidence de Ville & Banlieue
Outre son analyse du vote des banlieues populaires lors de ce scrutin municipal, Ville & Banlieue a annoncé que « quelques-unes de ses figures quitteront bientôt ses instances, et son président actuel, Renaud Gauquelin, maire de Rillieux-la-Pape, battu, devra céder son fauteuil. »
« Compte tenu de ses origines politiques, de la réalité sociologique de ses villes et de l’état du rapport de force droite/gauche dans les banlieues des grandes agglomérations, Ville & Banlieue penchait à gauche dans un rapport proche de 1 à 10 jusqu’ici. Ce rapport est aujourd’hui de 1 à 3. »
L’association tient néanmoins à rappeler son caractère apolitique, alors que la volonté de « représenter les banlieues populaires pour leur permettre de revenir dans le droit commun de la République et de peser sur l’élaboration des politiques publiques » permet de transpercer les clivages traditionnels.
Références
- Note de Ville & Banlieue "Comment ont voté les banlieues populaires aux municipales 2014 ?"
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