Loin d’attendre la relève en classant leurs dossiers, les directeurs généraux des services des villes dont le maire a été battu dimanche 30 mars sont en plein « rush ». « L’urgence des premiers jours pour une direction générale est avant tout de veiller au sort des personnels qui doivent quitter la collectivité sans délais, fait valoir Olivier Nys, DGS de la ville de Reims où Adeline Hazan, maire (PS) sortante, a été battue. C’est le cas des collaborateurs de cabinet dont le contrat de travail prend fin le jour de l’élection du nouveau maire. Il s’agit là d’une question autant humaine qu’administrative, car au désarroi de la défaite électorale s’ajoute le chômage quasi immédiat », poursuit le DGS.
On n’y pense pas toujours, mais l’alternance conduit des cohortes de collaborateurs de cabinet à Pôle emploi, qui plus est alors que les titulaires de ces postes, forcément politisés, voient le nombre des débouchés qui s’offrent à eux réduit à la portion congrue.
« Il s’agit également de créer les conditions d’une parfaite transition républicaine afin que le nouvel exécutif puisse immédiatement travailler dans de bonnes conditions avec l’administration », ajoute Olivier Nys.
Continuité du service public – Le directeur général est en cela le garant de la continuité du service public et de l’efficacité pérenne des services. Il se doit de guider les nouveaux élus dans les arcanes administratives des premières réunions de l’assemblée ou des premières décisions qui s’imposent, et d’assurer le cas échéant la transition avec son successeur.
« Pour mener à bien toutes ces missions de transition, les équipes de direction générale doivent faire un temps abstraction de leurs situations personnelles pour manager le changement jusqu’au bout, dans un esprit républicain et pour le bien de l’ensemble des agents », rappelle le DGS de Reims.
Un sentiment d’injustice – Cela n’empêche pas certains de reconnaître que la défaite de leur maire les égratigne aussi. « On ressent, lorsque le maire pour lequel on travaillait est battu, un sentiment d’injustice, un sorte d’ingratitude vis-à-vis du travail accompli, confie ce DGS d’une commune du Sud-est de la France. L’impression qu’in fine, son investissement au service de la ville n’est pas reconnu. Etre DGS suppose une implication forte. On donne de soi, on s’investit totalement dans la tâche. Et on est finalement sanctionné pour des choses sur lesquelles on n’a pas prise », poursuit ce DG, déçu aussi que son inlassable combat pour assainir les finances d’une ville percluse d’emprunts toxiques à son arrivée n’ait pas été davantage apprécié.
« Je note là une contradiction de la part des électeurs, indique-t-il, qui ne cessent, globalement, de reprocher aux élus de mal gérer l’argent public, et ne récompensent pas la bonne gestion »…
Des propos qu’Olivier Nys relativise : « Un changement d’exécutif est un petit séisme dans la vie d’une collectivité. La direction générale se doit de l’amortir au maximum, en rappelant que, bien que cela puisse être ressenti de cette façon, une élection ne sanctionne pas le travail de l’administration : la politique (champ de l’accession au pouvoir) doit être distinguée du politique (la gestion de la cité). Si le dicton veut qu’on « ne gagne pas une élection sur un bilan », on pourrait ajouter qu’on ne l’y perd pas non plus ».
« J’ai déjà eu l’occasion de vivre ces moments, rappelle de son côté Jean-Gabriel Madinier, DGS de la ville de Saint-Etienne, ou le maire Maurice Vincent (PS) n’a pas été reconduit. Lorsque l’équipe politique avec laquelle on travaillait se fait congédier, alors que l’on éprouve le sentiment d’avoir mené à bien une série de projets, et obtenu de bons résultats dans la gestion de la ville, c’est toujours un peu dur… Il s’agit en même temps d’un fonctionnement normal de la démocratie locale », poursuit ce DG chevronné, qui, cela dit, place aussi la continuité du service public au premier rang de ses priorités.
« Il faut savoir, au lendemain du scrutin, se mobiliser entièrement pour assurer une bonne transition et la continuité du service public, indique-t-il. Je veille aussi à mettre en place un cadre de travail en commun entre les agents et les élus ».
Un minimum de confiance – Si les règles attachées à la décharge de fonction qui interdisent aux nouveaux élus des débarquements sauvages des DGS en place semblent respectées dans une majorité de cas, certains DGS ne cachent pas leur crainte.
« J’ai contacté dès lundi 31 mars le nouvel exécutif. Je n’ai pour l’heure reçu aucune réponse. Cela n’est pas bon signe », confie le DGS d’une commune du Nord. « A Saint-Etienne, je n’ai à ce jour aucun motif d’inquiétude particulier, fait valoir Jean-Gabriel Madinier. Mais une nouvelle équipe d’élus peut avoir des difficultés à comprendre comment se répartissent les responsabilités entre les agents publics d’une part et l’exécutif municipal d’autre part. Il faut établir un minimum de confiance, et montrer aux élus qu’ils ont intérêt à s’appuyer sur le professionnalisme des équipes administratives et techniques ».
Réduction de l’éventail des possibilités – Enfin, vague bleue oblige, les DGS oeuvrant jusqu’à présent auprès de maires de la majorité gouvernementale savent que l’avenir de leur possibilité d’évolution de carrière s’annonce tendu.
« Il est sûr que les résultats font que dans les grandes villes et agglomérations, le nombre de postes va se restreindre pour certains d’entre-nous, indique Jean-Gabriel Madinier. Qu’on le regrette ou non, force est de constater en effet une certaine politisation de la fonction de DGS. L’exécutif souhaite choisir le DGS, ce choix étant un gage de confiance. De leur côté, les directeurs généraux s’inscrivent forcément dans cette évolution, s’ils ne veulent pas se contenter de coordonner l’action administrative, mais entendent aussi apporter des conseils sur les stratégies et participer à l’élaboration des politiques publiques».
« Aujourd’hui, nombre de DGS et DGA concernés par un changement d’exécutif vont devoir quitter leur poste et trouver de nouvelles responsabilités, souvent contre leur gré et sur un marché de l’emploi en plein bouleversement », conclut le DGS de Reims.
La relation exécutif-DG doit être de totale confiance, en particulier le couple maire-président / DG, expliquant cette mobilité imposée. Mais ce n’est pas parce qu’une règle du jeu est connue qu’elle est toujours facile à accepter.
Cet article fait partie du Dossier
Municipales 2014 : l’effet domino pour les DGS, les agents, les collectivités, sur fond de rigueur
Sommaire du dossier
- La droite va entrer en force dans les métropoles
- La moitié des grandes intercommunalités changent de tête
- Les associations d’élus vont, aussi, changer de tête
- Alternance : les rudes lendemains des DGS
- Fonction publique : vers un mercato d’envergure où les places vont être chères
- Alternance : étranges ambiances dans les services
- Mairies « FN » : le syndicat des directeurs généraux sera « vigilant »
- Municipales 2014 : Le tour des régions les plus emblématiques
- Municipales 2014 : quels enseignements tirer du vote (et non-vote) des banlieues ?
- « La campagne des municipales est marquée par une forte dépolitisation »
- Comment les communes se préparent aux nouveaux modes de scrutin
- Election des délégués communautaires : « C’est loin d’être limpide »
- « L’intercommunalité éloigne les candidats de la politique partisane » – Jean Pierre Sueur, sénateur
- A Hénin-Beaumont, les fonctionnaires territoriaux sur le qui-vive
- A Forbach, les fonctionnaires territoriaux face à l’hypothèse Front national
- Municipales : ce que les maires FN veulent faire en matière de sécurité
- Quand les fonctionnaires territoriaux deviennent des cibles électorales
- Municipales : les DGS engagés, forcément engagés…
- « Minimiser les problèmes d’insécurité fait le jeu du Front national » – Bernard Alidières, géographe
- Femmes têtes de liste pour les élections municipales : carton rouge aux formations politiques
- Campagne municipale : combien ça coûte ?
- L’emploi s’impose dans la campagne électorale
- L’interco, passagère clandestine de la campagne des municipales 2014
- Municipales : les impôts locaux, un thème prisé des challengers
- Municipales : la sécurité, un thème de plus en plus consensuel
- Comment les candidats se positionnent vis-à-vis de la lutte contre l’homophobie
- Municipales : les réseaux sociaux à deux vitesses
- Récolement post-électoral : les 7 erreurs à ne pas commettre
Thèmes abordés