Les scrutins municipaux se suivent et, étrangement, se ressemblent. Malgré l’inexorable montée en puissance des intercommunalités, la plupart des candidats, maires sortants compris, font « comme si ». Comme si, des transports à la politique de l’eau en passant par les grands équipements, les municipalités étaient encore souveraines… Comme si les intercos ne levaient pas l’impôt… Comme si les budgets de ces groupements ne représentaient pas, parfois, deux à trois fois plus que les comptes de leur ville-centre…
Le fléchage des élus communautaires, sous la forme d’une double liste sur les bulletins de vote dans les communes de plus de 1 000 habitants, ne change pas grand-chose à l’affaire. Les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre demeurent, le plus souvent, des objets politiques non identifiés.
Appels à la mutualisation – Les adversaires des équipes en place dénoncent, ici et là, des administrations obèses et technocratiques. Ces challengers vilipendent « le matraquage fiscal » qui en émanerait. Les rapports de la Cour des comptes en guise de bréviaires, ils prônent une hyper-mutualisation avec les communes. « La seule voie », disent-ils, pour « maîtriser la dépense ».
Jacques Domergue, chef de file de l’UMP à Montpellier, excelle dans cet exercice. « C’est tout le paradoxe : les détracteurs de la gestion des intercos veulent davantage d’intégration communautaire », relève Nicolas Portier, délégué général de l’Assemblée des communautés de France.
En dehors d’un quarteron de maires réunis autour de l’ex-candidat à la présidentielle Gérard Schivardi, la plupart des candidats évitent de trop brandir l’étendard des 36 000 communes. Le discours anti-interco apparaît peu mobilisateur en milieu rural. Les communautés de communes sont elles-mêmes si mouvantes…
Les limites territoriales de la plupart d’entre elles ont été redessinées durant ce mandat. Elles le seront sans doute encore, le gouvernement s’apprêtant à rouvrir le chantier de « la rationalisation des périmètres ». Autant de changements peu propices au sentiment d’appartenance.
On observe cependant un frémissement dans certaines villes. A Fécamp (Seine-Maritime), Estelle Grelier (PS), vice-présidente de l’ADCF, s’affirme comme une militante de choc de l’interco. Son mot d’ordre ? « De l’énergie pour l’agglo ».
Des socialistes, majoritaires dans la plupart des grands ensembles urbains, présentent des programmes communautaires déclinés dans chaque commune. Rennes et Nantes figurent, à cet égard, parmi les bons élèves.
Alain Juppé, assuré à Bordeaux d’être réélu dans un fauteuil (1), fait campagne dans les communes environnantes. Objectif : reprendre à la gauche la présidence de la communauté urbaine. A la gauche du PS, les têtes de liste mettent la question démocratique sur la table. Eric Piolle, leader à Grenoble de la liste EELV – Parti de gauche, dénonce « le nouveau cadre légal des métropoles fondé sur la mise en concurrence des territoires et l’impossibilité de tout contrôle citoyen ».
« Deals » d’entre-deux-tours – De plus en plus de prétendants affichent néanmoins la couleur : ils indiquent, avant le scrutin, s’ils brigueront la présidence de leur intercommunalité. Les « tickets » sont une grande tendance de cette édition 2014 des municipales. A Reims, Arnaud Robinet (UMP) vise le poste de premier magistrat, sa colistière Catherine Vautrin (UMP) la présidence de la communauté d’agglomération. Au sein du PS rennais, les deux bébés « Hervé » (2), Nathalie Apperé et Emmanuel Couet, se sont entendus sur un « Yalta » du même genre.
A droite, le pouvoir se transmet souvent en douceur. En cas de victoire de leur liste, André Rossinot à Nancy, Bruno Bourg-Broc à Châlons-en-Champagne et Bernard Brochand à Cannes laisseront leur fauteuil de maire à Benoist Apparu, Laurent Hénart et David Lisnard. Ils conserveront, en revanche, la présidence de leur interco, comme l’avait fait Pierre Mauroy entre 2001 et 2008 après l’élection de Martine Aubry à Lille.
Ces opérations « transparence » s’arrêtent aux portes des vice-présidences. Les têtes de liste veulent garder du grain à moudre pour les « négos » de l’entre-deux-tours. C’est alors que seront promises bien des vice-présidences. Une phase qui entraîne, au final, une inflation du nombre de postes au sein des exécutifs communautaires, des délégations exotiques (« fourrière animale », « gestion des zones humides »…) fleurissant au gré des « deals ». Des trocs qui seront toutefois moins nombreux qu’en 2008. Dans le droit fil de la réforme territoriale de 2010, le nombre de vice-présidences a été revu à la baisse.
« Les maires préfèrent reprendre à leur compte les politiques communautaires »
Rémy Le Saout, politologue, auteur de « L’intercommunalité en campagne », Presses universitaires de Rennes, 2010.
L’intercommunalité est un peu plus présente qu’en 2008 dans les communes de 1 000 à 3 500 habitants grâce au fléchage des élus communautaires par l’instauration du scrutin de liste. Une démocratie de la pédagogie s’instaure autour de ce nouveau mode d’élection. La plupart des maires préfèrent néanmoins reprendre à leur compte les politiques intercommunales. Ce phénomène d’auto-imputation touche toutes les catégories d’intercommunalités. Dans les communautés d’agglomération, ces enjeux font aussi l’objet d’une euphémisation. Cela ne signifie pas, paradoxalement, que les réalisations des communautés fassent consensus parmi les populations. A Amiens, par exemple, le tramway suscite des crispations. Avec une équipe de chercheurs, nous tirerons des conclusions une fois le scrutin achevé, mais il semble d’ores et déjà que l’intercommunalité n’ait pas encore trouvé son autonomie.
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Municipales 2014 : l’effet domino pour les DGS, les agents, les collectivités, sur fond de rigueur
Sommaire du dossier
- La droite va entrer en force dans les métropoles
- La moitié des grandes intercommunalités changent de tête
- Les associations d’élus vont, aussi, changer de tête
- Alternance : les rudes lendemains des DGS
- Fonction publique : vers un mercato d’envergure où les places vont être chères
- Alternance : étranges ambiances dans les services
- Mairies « FN » : le syndicat des directeurs généraux sera « vigilant »
- Municipales 2014 : Le tour des régions les plus emblématiques
- Municipales 2014 : quels enseignements tirer du vote (et non-vote) des banlieues ?
- « La campagne des municipales est marquée par une forte dépolitisation »
- Comment les communes se préparent aux nouveaux modes de scrutin
- Election des délégués communautaires : « C’est loin d’être limpide »
- « L’intercommunalité éloigne les candidats de la politique partisane » – Jean Pierre Sueur, sénateur
- A Hénin-Beaumont, les fonctionnaires territoriaux sur le qui-vive
- A Forbach, les fonctionnaires territoriaux face à l’hypothèse Front national
- Municipales : ce que les maires FN veulent faire en matière de sécurité
- Quand les fonctionnaires territoriaux deviennent des cibles électorales
- Municipales : les DGS engagés, forcément engagés…
- « Minimiser les problèmes d’insécurité fait le jeu du Front national » – Bernard Alidières, géographe
- Femmes têtes de liste pour les élections municipales : carton rouge aux formations politiques
- Campagne municipale : combien ça coûte ?
- L’emploi s’impose dans la campagne électorale
- L’interco, passagère clandestine de la campagne des municipales 2014
- Municipales : les impôts locaux, un thème prisé des challengers
- Municipales : la sécurité, un thème de plus en plus consensuel
- Comment les candidats se positionnent vis-à-vis de la lutte contre l’homophobie
- Municipales : les réseaux sociaux à deux vitesses
- Récolement post-électoral : les 7 erreurs à ne pas commettre
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Selon le propre aveu de l’adversaire PS d’Alain Juppé, Vincent Feltesse. Retour au texte
Note 02 Du nom de l’ancien maire (PS) de Rennes Edmond Hervé. Retour au texte