Tout est parti de la décision gouvernementale d’abandonner le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), il y a un an. L’Etat s’est alors engagé à accompagner les conseils régionaux des Pays de la Loire et de Bretagne dans le cadre d’une contractualisation.
Conséquence : Edouard Philippe a signé le 8 février 2019 un « contrat pour l’action publique pour la Bretagne » avec Loïg Chesnais-Girard, président de la collectivité bretonne. Ce document est destiné à concrétiser les promesses d’Emmanuel Macron, huit mois auparavant à Quimper, de faire de la Bretagne « le laboratoire de l’innovation et de l’action publique de demain » ; il engage la différenciation dans les domaines de la transition écologique et énergétique, l’aménagement du territoire, la maritimité, l’économie agricole et agro-alimentaire, le tourisme, la culture et les langues régionales.
Le Premier Ministre a posé quatre justifications à cette expérience bretonne : la volonté des élus bretons, leur expérience avec le Pacte d’avenir de 2013, une culture de la concertation qui a « le mérite de produire du consensus et des résultats » et une forte demande de déconcentration des services de l’Etat.
Une première depuis… Philippe Le Bel !
Sur le volet accessibilité, la région qui a investi un milliard d’euros en dix ans sur la ligne à grande vitesse obtient que l’Etat garantisse une desserte TGV jusqu’à Brest et Kemper jusqu’en 2027 au lieu de 2022, mettant la péninsule à l’abri des aléas de l’ouverture à la concurrence du marché ferroviaire. L’Etat apportera aussi un concours financier à la ligne aérienne Orly-Quimper et demandera à la Commission européenne la mise en place d’une Obligation de service public sur ce service aérien.
Côté action publique, l’ambition est de préfigurer ce que serait le droit à la différenciation qu’introduirait la réforme constitutionnelle. Juridiquement, l’accord sera rendu possible par une extension à la Bretagne du décret 2017-1845 qui permet d’expérimenter une dérogation aux normes réglementaires dans certains domaines. Ainsi, la délégation de compétence dans le domaine du livre et du cinéma sera étendue à l’éducation artistique. La région gèrera le Fonds de développement de la vie associative (FDVA). Elle mettra en place un « parlement de l’eau » qui approfondira la gouvernance des politiques de l’eau, dont l’animation est a été transférée en 2017. En matière de politique économique, la région pilotera et adaptera aux réalités locales la démarche « Territoires d’industrie », qui avait fait des mécontents, à l’exemple de Lamballe.
Quitte à « pousser les murs du droit commun, pour expérimenter en avant-première, la différenciation », le gouvernement s’engage sur deux expérimentations autour de la fiscalité, tellement inédites que le Premier Ministre n’y voit pas d’antécédent depuis Philippe Le Bel… roi de France à une époque où Jean II régnait sur un duché de Bretagne indépendant.
Adaptation du dispositif « Pinel »
Ces deux expérimentations, qui nécessiteront des dispositions législatives spécifiques, portent sur un aménagement du dispositif d’aide à l’investissement locatif « Pinel » et le versement du forfait scolaire communal aux écoles bilingues français-breton. Côté langues régionales, alors que le ministère public s’est pourvu en Cassation dans l’affaire du tilde, l’Etat va « engager une réflexion » sur le sujet afin de permettre d’orthographier les prénoms en breton.
Satisfait, Loïg Chesnais-Girard ne voit cependant qu’une « étape » dans ce contrat. « Nous ne sommes pas encore aujourd’hui au pacte girondin tel qu’exprimé par le Président de la République et tel qu’attendu par les Bretonnes et les Bretons, » considère le successeur de Jean-Yves Le Drian qui invitait aussi la ministre Jacqueline Gourault, présente, à « lever les verrous, pousser les cliquets et aller même jusque modifier l’article 72 de la Constitution ». Alors qu’une quinzaine de personnes en gilets jaunes s’étaient regroupées devant l’hôtel de région où se tenait la cérémonie de signatures, Loïg Chesnais-Girard assurait que « la différenciation est un des remèdes à la crise démocratique que nous traversons et qui finira pas tous nous balayer si nous continuons à rester enfermés dans des prés carrés et des certitudes ».
Cet article fait partie du Dossier
Droit à la différenciation territoriale : les élus s’y voient déjà
Sommaire du dossier
- Une circulaire décrypte la loi sur les expérimentations locales
- Le chantier du projet de loi 3 D est lancé !
- Différenciation : l’organisation à la carte attendue de pied ferme par les élus
- Différenciation : dans les territoires, ça phosphore déjà beaucoup
- Droit à la différenciation : vers une nouvelle étape de la décentralisation ?
- La Bretagne, laboratoire de la différenciation territoriale
- « La différenciation territoriale va faire la fortune des avocats »
- Différenciation : pendant ce temps-là, ailleurs en Europe
- Le droit à la différenciation bientôt dans la Constitution
- Révision constitutionnelle : la Bretagne fera des propositions sur la différenciation
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Régions