La majorité précédente avait voulu la réforme des collectivités territoriales, le Premier Ministre veut clarifier l’organisation territoriale de la République. Un même diagnostic erroné et une même méthode : à l’abordage ! Le gouvernement affiche une volonté d’efficacité, de simplification et d’économie. Porte-t-il pour autant une vraie ambition décentralisatrice qui pourrait ré-enchanter la démocratie et réconcilier les citoyens avec leurs élus et plus largement avec la politique et le service public ?
L’Unadel (1) s’interroge sérieusement sur l’impact réel, au-delà des effets de communication, des regroupements de région, de la suppression du niveau d’organisation territoriale en charge de la solidarité et de la disparition des intercommunalités de moins de 10 000 habitants.
Eloignement des décisions – Les citoyens n’en peuvent plus de voir les décisions s’éloigner, de constater que les élus ont de moins en moins de pouvoir et de marges de manœuvre, ils font de plus en plus confiance à la société civile (entreprises et surtout associations). Toutes les études et même les scrutins le montrent et démontrent.
On leur proposera donc d’éloigner les décisions au niveau de super intercommunalités, voire de métropoles, l’on supprimera les départements et on fera des super régions. On imposera de fait la RGPP au niveau régional et l’on dira clairement que ce débat de modernisation de l’action publique ne concerne définitivement que les seuls élus, nationaux et territoriaux.
Quand les électeurs se détournent des urnes, quand ils éparpillent leurs rares suffrages sur des candidats extrémistes, ce sont autant de signaux de doutes sur la pertinence du système, sur l’artificialité des débats dits politiques, qui ne sont que technocratiques.
Il y a une vraie crise du politique, qui n’est pas encore tout à fait une crise politique et les hauts fonctionnaires produisent des textes de loi, qui sont encore moins décentralisateurs que les précédents. L’on sent là un double mouvement :
- il faut toujours faire faire les économies aux filiales plutôt qu’au siège ; après trente ans d’expériences,
- il faut continuer à considérer les territoires de la République comme de simples filiales, taillables et corvéables à merci.
L’État continue d’asséner schémas, directives, contraintes et normes, par en haut, valables pour presque toutes les parcelles de la métropole, uniformément. Quand il s’agit de penser l’avenir et la complexité, l’État, de droite comme de gauche, révise son passé et la simplicité.
Certains parlent développement local, d’autres cherchent à importer l’empowerment, quelques-uns militent pour le « pouvoir d’agir » et font in fine le pari que les réformes les plus pertinentes se font par en bas, sur la base du volontariat et en associant les usagers et bénéficiaires. Pour mémoire, Michel Dinet, président fondateur de l’Unadel récemment décédé signait cette définition du développement local :
Porteurs d’un projet local global, les territoires qui ont une démarche de développement sont acteurs de l’aménagement du territoire. Urbains et ruraux, ils peuvent dégager des points d’entente et devenir partenaires. Leur approche fondamentale est de faire participer les habitants au projet, de son élaboration à sa mise en œuvre. Une façon aussi de redonner un sens à la citoyenneté. De cette manière, leur démarche, leurs savoir-faire et leurs expériences sont essentiels pour une nouvelle politique d’aménagement du territoire.
La fin de la décentralisation – Nous assistons aujourd’hui, impuissants, à une clarification qui ne dit pas son nom : la fin de la décentralisation. L’ambition d’un nouvel acte de décentralisation porté par le gouvernement Ayrault a échoué sous la pression des lobbys et particulièrement des associations d’élus aussi nombreuses que d’intérêts antagonistes qui confortent les conservatismes et renforcent les plus forts.
Le découpage du texte initial en trois volets a été contre-productif. Le souffle décentralisateur et la volonté de modernisation de l’action publique se sont dilués dans l’affirmation de métropoles, l’installation de conférences territoriales de l’action publique et dans la création de pôle ruraux confortant le clivage entre territoires urbains et territoires ruraux, là où il fallait renforcer les liens entre eux.
La réintroduction de la clause de compétence générale à toutes les échelles de collectivités avait un peu rassurés les acteurs de la culture et du secteur associatif sans supprimer leurs inquiétudes quant à la pérennité des moyens de financement et à la place de la société civile dans le débat public voire dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques.
L’Unadel, comme beaucoup de ses partenaires et de ses réseaux en région, attendait beaucoup que le second volet de la loi vienne corriger et combler les manques du 1er volet. Or ce qui est mis aujourd’hui à notre connaissance donne le sentiment qu’on va une nouvelle fois passer à côté de l’essentiel en développant des structures de plus en plus grosses, de plus en plus technocratiques, que ce soit au niveau des régions ou des intercommunalités, tout en déstabilisant l’organisation des services publics de proximité. En un mot là où il fallait rapprocher l’élu du citoyen et favorisant l’engagement de tous dans le bon fonctionnement de la vie de la cité en s’appuyant sur le vivre et le faire ensemble, on va à nouveau accentuer les distances, creuser les écarts entre les riches et les pauvres, segmenter la responsabilité publique et renforcer le sentiment d’abandon et d’incompréhension qui contribuent à renforcer l’abstention ou le vote de rejet plus que d’adhésion.
Parier avec les citoyens – Nous demeurons persuadés qu’il vaut mieux parier avec les citoyens, que de faire confiance aux seules réformes de structures et autres technostructures. Nous sommes « fiers des nombreux petits échecs du développement local par opposition aux grandes réussites nationales ». Il y a là quelque ironie, mais voir l’État impécunieux continuer d’expliquer aux autres ce qu’ils devraient faire, sans jamais se l’appliquer, laisse songeur. Oui, il faut clarifier, cela commence probablement par dire ce que l’État ne fait plus et de laisser la main aux élus locaux et à la société civile territoriale, à parité. Décentraliser c’est réformer l’État, en principe…
L’efficacité dans la précipitation peut conduire encore plus vite à l’échec, sans garantir la réduction des dépenses tout en ajoutant un risque supplémentaire : celui d’accentuer le délitement de notre société et la perte de toutes ses valeurs fondatrices et républicaines, l’autorité tuant la liberté, l’efficacité faisant reculer l’égalité entre les hommes et les territoires, la rationalité budgétaire mettant en péril la fraternité et l’organisation de la solidarité avec les plus pauvres et les plus en difficultés.
Cet article fait partie du Dossier
Acte III de la décentralisation : la réforme pas à pas
Sommaire du dossier
- Décentralisation : la liste de courses des élus locaux à Emmanuel Macron
- Acte III de la décentralisation : la réforme pas à pas
- Grandes régions un an après : une réorganisation des services à la carte (1/5)
- Grandes régions un an après : les échelons infrarégionaux prennent de l’étoffe (2/5)
- Projet de loi NOTRe : ce qu’il faut retenir du texte du Sénat
- Projet de loi NOTRe : ce qu’il faut retenir du texte de l’Assemblée
- Réforme territoriale : opération résurrection à l’Assemblée
- Fusion des régions : les nouvelles règles relatives aux élections régionales 2015
- Grandes régions un an après : l’équilibre budgétaire reste lointain (3/5)
- Réforme territoriale : les recettes venues d’ailleurs
- Depuis la loi Notre, la compétence tourisme se divise entre coopération et compétition
- « Acte III » de la décentralisation : les agents territoriaux n’y voient toujours pas clair
- Réforme territoriale : gros plan sur les contre-propositions des départements
- André Vallini : « 14 milliards de transferts des départements aux régions »
- Nouvelle carte des régions : quelles conséquences financières ?
- Réforme territoriale : un projet de loi qui muscle l’interco et « dévitalise » le département – Décryptage
- Réforme territoriale : les départements pointent quatre idées reçues
- Quand le Conseil constitutionnel écrit sa propre réforme territoriale
- Exclusif réforme territoriale : la nouvelle version du projet de loi sur les compétences
- Réforme territoriale : les DG des associations d’élus s’engagent
- Réforme territoriale : la riposte des départements a commencé
- Manuel Valls veut rayer le département de la carte
- Face à la réforme territoriale, l’AMF vend ses « communes nouvelles »
- Décentralisation : ce qu’il faut savoir en 8 points clés sur le deuxième projet de loi Lebranchu
- Décentralisation : vers le retour du conseiller territorial ?
- «Supprimer le département est impossible sans révision constitutionnelle»
- Fusion des régions : des économies accessoires face à l’ampleur des enjeux
- La suppression des départements ne garantit pas des économies
- Aboutissement ou fin de la décentralisation ?
- André Vallini : un secrétaire d’Etat de combat, pour une nouvelle réforme territoriale
- Serge Morvan, homme-orchestre de la réforme territoriale
- Les 9 principales dispositions de la loi « métropoles » dans le détail
- Décentralisation : la loi « métropoles » validée, le prochain texte précisé
- Décentralisation : le Haut conseil des territoires à la trappe, les métropoles consacrées
- Décentralisation : « La grande innovation, c’est l’instauration de métropoles » – Jean-Marc Ayrault
- « Les tenants du big bang territorial vont être déçus » – Béatrice Giblin, géographe
- Énergie et climat : les régions en chefs de file
- Le pays trouve un avenir avec les pôles territoriaux d’équilibre
- Mutualisation des services : « Il y a un travail pédagogique à mener auprès des agents », selon Anne-Marie Escoffier
- Le projet de loi de décentralisation n°2 veut simplifier la gouvernance de l’emploi, de la formation et de l’orientation
- Décentralisation : les professionnels de la culture se préparent à travailler selon des repères territoriaux différenciés d’un territoire à l’autre
- Décentralisation : pourquoi l’acte III bloque sur l’interco
- Action sociale : l’articulation entre départements et communes pose question
- “Le chef de file n’a absolument aucun pouvoir de contrainte” – Géraldine Chavrier, professeur de droit public
- Mutualisation des services : tout le monde descend !
- Le tourisme à nouveau ballotté entre tous les niveaux de collectivités
- L’encadrement des collectivités au cœur des dispositions financières
- Projets de loi de décentralisation : le département futur « ingénieur en chef »
- Gestion des milieux aquatiques : un pilotage en eaux troubles
- Démocratie participative dans le projet de loi décentralisation : « la réforme manque d’ambition » – Marion Paoletti, Maître de conférences
- Les maisons de services au public : un « objectif de présence territoriale »
- 30 ans de décentralisation en 1 infographie
Thèmes abordés