L’allocution de François Hollande, le 14 janvier, prônant à demi-mot la fusion-absorption des métropoles par les conseils généraux n’était qu’un amuse-bouche. Dans son discours de politique générale, le 8 avril, le nouveau Premier ministre Manuel Valls va beaucoup plus loin. Il propose, ni plus ni moins, que la suppression des « conseils départementaux » à « l’horizon de 2021 ». Et reste finalement en phase avec ses positions affichées en 2010 dans son livre « Pouvoir ».
Un big-bang territorial qui requiert une révision constitutionnelle. Le département est en effet inscrit à l’article 72 de notre loi fondamentale. Pour parvenir à ses fins, l’exécutif devra donc obtenir un vote à la majorité simple à l’Assemblée et au Sénat, puis l’onction des trois cinquièmes du Parlement réuni en congrès, ou du peuple français par voie de référendum. Autant de conditions difficiles à remplir, compte tenu du poids des présidents de conseils généraux au Palais du Luxembourg et de l’impopularité du pouvoir.
Méthode « Sarkozy » ? – L’échéance lointaine de 2021, c’est-à-dire placée après les grands rendez-vous de la présidentielle et des législatives de 2017, ne calme pas l’ire des présidents de conseils généraux.
Claudy Lebreton (PS), président de l’Assemblée des départements de France se dit « abasourdi ». Il « dénonce vivement la brutalité de la méthode employée par le Gouvernement ». « Le Premier ministre a expliqué dans son discours que le débat qu’il a initié cet après-midi sera long et difficile. Il a en ce sens pleinement raison », fulmine le président (PS) du conseil général des Côtes-d’Armor.
Selon certains élus locaux socialistes, cette annonce tombe au plus mal, à moins de six mois d’un scrutin sénatorial à haut risque pour la majorité. « Comme Nicolas Sarkozy, Manuel Valls joue les électeurs contre les élus. Son discours va mettre le feu aux cénacles locaux », juge un dirigeant PS d’une association d’élus.
« Autant le département n’a plus lieu d’être dans les villes, autant son rôle péréquateur reste essentiel en milieu rural », rappelle Jean-Pierre Balligand (PS), président de l’Institut de la Gouvernance territoriale et de la Décentralisation.
Vers de grandes intercommunalités – « Manuel Valls ministre de l’Intérieur a mené le combat pour instaurer le scrutin départemental binominal paritaire. Après avoir mis en place ce mode d’élection extravagant, il a redécoupé les cantons. Et, désormais, il nous explique que tout cela ne sert plus à rien. Mais sa réforme, il ne la fait pas maintenant, mais en 2021… Cette attitude est extrêmement déstabilisante pour les agents départementaux », fustige le sénateur (UDI) et président du conseil général de la Mayenne, Jean Arthuis.
« Qui, demain, assurera nos compétences sociales ? », s’interroge-t-il. Le Premier ministre apporte un premier élément de réponse. Il entend renforcer la coopération entre communes. « Une nouvelle carte intercommunale, fondée sur les bassins de vie entrera en vigueur au 1er janvier 2018 », avance-t-il.
Pour certains de ses exégètes, il s’agirait-là de redécouper chaque département en cinq à dix grands ensembles, sur le modèle des ex-pays. Objectif : définir de nouveaux espaces d’action publique qui rendraient le département obsolète. « Manuel Valls va recréer des micro-départements, avec de nouveaux hôtels de l’intercommunalité », se désole Jean Arthuis.
Spécialisation des compétences – Aux yeux du nouveau Premier ministre, la maîtrise de la dépense passe par la spécialisation de chaque échelon.
« Les compétences des régions et des départements seront spécifiques et exclusives », prévient-il, annonçant la suppression de la clause de compétence générale de ces deux niveaux.
Pour le député (PS) Olivier Dussopt, pressenti pour prendre le 9 avril, le secrétariat d’Etat aux collectivités, le Premier ministre va « plus vite et plus loin » que les canevas sur lesquels planchait le gouvernement « Ayrault ». « Mais pourquoi, avec une telle spécialisation, supprimer le département ?, revient à la charge Jean Arthuis. Cela ne génèrera pas la moindre économie, au contraire de la suppression des trente-cinq heures dans les trois fonctions publiques que j’appelle de mes vœux. »
Elections maintenues en 2015 – Le Premier ministre n’en a cure, qui veut moins de collectivités. Il propose « de réduire de moitié le nombre de régions dans l’hexagone ». Et Manuel Valls de préciser le mode d’emploi : « Les régions pourront donc proposer de fusionner par délibérations concordantes. En l’absence de propositions, après les élections départementales et régionales de mars 2015, le gouvernement proposera par la loi une nouvelle carte des régions. Elle sera établie pour le 1er janvier 2017. »
« Je m’engage à entamer les discussions avec la présidente du conseil régional de Franche-Comté afin de mettre en place la mutualisation des moyens et des compétences majeures de nos deux régions », réagit François Patriat, le patron (PS) de la Bourgogne.
Le président de l’Association des régions de France, Alain Rousset (PS), plutôt dubitatif face aux redécoupages esquissés le 14 janvier par François Hollande, se montre davantage conquis : « Réduire le nombre de régions pour plus d’efficacité, je dis « chiche » monsieur le Premier Ministre ». Mais, allons jusqu’au bout du raisonnement, en s’inspirant des modèles d’autres grandes démocraties européennes qui réussissent en s’appuyant sur des régions fortes. »
« Aucune frontière administrative ne doit être considérée comme étant gravée dans le marbre », abonde Martin Malvy, président (PS) de la région Midi-Pyrénées. « Manuel Valls fait confiance aux élus régionaux. Il leur laisse le temps de s’entendre », salue Olivier Dussopt.
Des élus PS rebelles – Mais n’aurait-il pas mieux valu repousser les régionales de 2015 à 2016, afin de procéder aux redécoupages avant tout vote ? Cette piste avait été esquissée sous le gouvernement « Ayrault » dans une note co-rédigée par… Manuel Valls. « Le mandat régional a déjà été prolongé de 2014 à 2015. Il était difficile, au regard de la jurisprudence, de le proroger encore un an de plus », argue Olivier Dussopt.
« Nous allons donc devoir expliquer que nous serons très efficaces au sein de départements que le gouvernement veut supprimer et de régions dont il souhaite diviser le nombre par deux, soupire un dirigeant socialiste d’une association d’élus. On aurait cherché à perdre le plus de collectivités possibles en 2015 que l’on ne s’y serait pas pris autrement… »
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Acte III de la décentralisation : la réforme pas à pas
Sommaire du dossier
- Acte III de la décentralisation : la réforme pas à pas
- Grandes régions un an après : une réorganisation des services à la carte (1/5)
- Grandes régions un an après : les échelons infrarégionaux prennent de l’étoffe (2/5)
- Projet de loi NOTRe : ce qu’il faut retenir du texte du Sénat
- Projet de loi NOTRe : ce qu’il faut retenir du texte de l’Assemblée
- Réforme territoriale : opération résurrection à l’Assemblée
- Fusion des régions : les nouvelles règles relatives aux élections régionales 2015
- Grandes régions un an après : l’équilibre budgétaire reste lointain (3/5)
- Réforme territoriale : les recettes venues d’ailleurs
- Depuis la loi Notre, la compétence tourisme se divise entre coopération et compétition
- « Acte III » de la décentralisation : les agents territoriaux n’y voient toujours pas clair
- Réforme territoriale : gros plan sur les contre-propositions des départements
- André Vallini : « 14 milliards de transferts des départements aux régions »
- Nouvelle carte des régions : quelles conséquences financières ?
- Réforme territoriale : un projet de loi qui muscle l’interco et « dévitalise » le département – Décryptage
- Réforme territoriale : les départements pointent quatre idées reçues
- Quand le Conseil constitutionnel écrit sa propre réforme territoriale
- Exclusif réforme territoriale : la nouvelle version du projet de loi sur les compétences
- Réforme territoriale : les DG des associations d’élus s’engagent
- Réforme territoriale : la riposte des départements a commencé
- Manuel Valls veut rayer le département de la carte
- Face à la réforme territoriale, l’AMF vend ses « communes nouvelles »
- Décentralisation : ce qu’il faut savoir en 8 points clés sur le deuxième projet de loi Lebranchu
- Décentralisation : vers le retour du conseiller territorial ?
- «Supprimer le département est impossible sans révision constitutionnelle»
- Fusion des régions : des économies accessoires face à l’ampleur des enjeux
- La suppression des départements ne garantit pas des économies
- Aboutissement ou fin de la décentralisation ?
- André Vallini : un secrétaire d’Etat de combat, pour une nouvelle réforme territoriale
- Serge Morvan, homme-orchestre de la réforme territoriale
- Les 9 principales dispositions de la loi « métropoles » dans le détail
- Décentralisation : la loi « métropoles » validée, le prochain texte précisé
- Décentralisation : le Haut conseil des territoires à la trappe, les métropoles consacrées
- Décentralisation : « La grande innovation, c’est l’instauration de métropoles » – Jean-Marc Ayrault
- « Les tenants du big bang territorial vont être déçus » – Béatrice Giblin, géographe
- Énergie et climat : les régions en chefs de file
- Le pays trouve un avenir avec les pôles territoriaux d’équilibre
- Mutualisation des services : « Il y a un travail pédagogique à mener auprès des agents », selon Anne-Marie Escoffier
- Le projet de loi de décentralisation n°2 veut simplifier la gouvernance de l’emploi, de la formation et de l’orientation
- Décentralisation : les professionnels de la culture se préparent à travailler selon des repères territoriaux différenciés d’un territoire à l’autre
- Décentralisation : pourquoi l’acte III bloque sur l’interco
- Action sociale : l’articulation entre départements et communes pose question
- “Le chef de file n’a absolument aucun pouvoir de contrainte” – Géraldine Chavrier, professeur de droit public
- Mutualisation des services : tout le monde descend !
- Le tourisme à nouveau ballotté entre tous les niveaux de collectivités
- L’encadrement des collectivités au cœur des dispositions financières
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- Démocratie participative dans le projet de loi décentralisation : « la réforme manque d’ambition » – Marion Paoletti, Maître de conférences
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