A quoi sert la « mutualisation » ? Selon Marylise Lebranchu, il s’agit avant tout de « supprimer les actions redondantes » et, en aucun cas, « la mutualisation n’est la suppression des services ». La ministre de la Décentralisation le martèle régulièrement : « La réforme de la décentralisation et de l’action publique encourage la mise en place de services communs et un fort niveau de mutualisation des services entre les communes et l’intercommunalité » (1).
Encouragement à la mutualisation – La mutualisation des services est en conséquence financièrement encouragée : l’article 39 du projet de loi de développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale prévoit de modifier les modalités de répartition de la dotation d’intercommunalité à partir de 2015 en fonction d’un coefficient intercommunal de mutualisation.
Il est ainsi prévu de créer une nouvelle part au sein de cette dotation, dénommée « dotation de mutualisation », pour inciter les établissements publics à mutualiser leurs services. 10 % de la dotation d’intercommunalité seraient répartis à partir de 2015 en fonction d’un coefficient de mutualisation.
Vers la suppression de la mutualisation « ascendante » – Cependant, l’article 35 de ce même projet de loi prévoit de façon sibylline : « Le sixième alinéa du I et le II (de l’article L. 5211-4-1 du Code général des collectivités territoriales) sont supprimés ». Ces dispositions (« Il en est de même lorsqu’à l’inverse, par suite de modifications des statuts de la communauté, des personnels de celle-ci sont transférés à des communes » et « Lorsqu’une commune a conservé tout ou partie de ses services dans les conditions prévues au premier alinéa du I, ces services sont en tout ou partie mis à disposition de l’établissement public de coopération intercommunale auquel la commune adhère pour l’exercice des compétences de celui-ci ») permettent la mutualisation « ascendante » des services, c’est-à-dire la possibilité pour une commune, dans le cadre d’une bonne organisation des services, de conserver tout ou partie des services concernés par un transfert partiel de compétences vers l’EPCI dont elle est membre.
La pratique des mutualisations descendante et ascendante – La pratique révèle en effet deux types de mutualisation : la mutualisation est dite « ascendante » (CGCT, art. L. 5211-4-1 II) lorsque les services de la ville sont mis à disposition de la communauté, et « descendante » dans le cas inverse (CGCT, art. L. 5211-4-1 III). A noter que les termes « ascendante » et « descendante » ne figurent pas dans le Code général des collectivités territoriales.
Selon une étude Inet/CNFPT/AdCF de mai 2011 (2), les tendances suivantes se dégagent :
- des mutualisations descendantes pour le domaine « Pilotage, management et gestion des ressources ». Les services fonctionnels sont en effet plus naturellement mutualisés au niveau de la communauté ;
- des mutualisations ascendantes pour les domaines plus techniques (« Interventions techniques » et « Animation et services à la population »). Dans ces domaines en effet (véhicules, espaces verts, patrimoine), la majorité de l’activité se fait pour la ville centre. Il paraît logique que les agents soient alors rattachés à la collectivité pour laquelle l’essentiel des tâches est effectué.
La mutualisation ascendante : une fragilité politique – La mutualisation, lorsqu’elle est ascendante, peut parfois constituer un entre-deux permettant de concilier le fonctionnement de l’intercommunalité et la sauvegarde des prérogatives des maires. Dans le contexte général de renforcement de l’intercommunalité, elle peut être vue, dans certains cas et compte tenu du contexte local particulier, comme une alternative au transfert du personnel communal et donc, d’une certaine façon, comme un moyen d’éviter un approfondissement du rapprochement entre les collectivités.
On lui reproche aussi de prêter facilement le flanc au reproche de mainmise de la ville centre sur la communauté.
La mutualisation ascendante : une fragilité juridique – Dès 2010, un rapport d’information du Sénat (3) avait signalé la fragilité juridique de la mutualisation ascendante : le CGCT la lie expressément à l’existence d’un transfert de compétence.
Il en résulte que, hors transfert de compétence, aucun dispositif formel ne régit la mutualisation ascendante, ce qui n’est guère sécurisant dans un domaine où les incertitudes juridiques peuvent considérablement paralyser l’initiative locale. Cette situation constitue de fait un obstacle à la mutualisation des services fonctionnels : n’étant généralement pas affectés à une compétence opérationnelle, ils ne sont donc pas a priori compris dans le champ de ceux appelés à être mutualisés en cas de transfert d’une compétence.
Une suppression de la mutualisation ascendante contestée – La suppression de la mutualisation ascendante pourrait rapidement devenir un sujet de crispation. Notamment, le Syndicat national des directeurs généraux des collectivités locales (SNDGCT) considère que la suppression de la mutualisation ascendante constitue un des « points problématiques » du projet de loi et a réagi rapidement.
Selon le SNGCT, trois arguments militent pour le maintien de la mutualisation ascendante :
- d’une part, la mutualisation ne peut fonctionner qu’à la condition sine qua none d’une volonté politique forte, en vertu d’un projet de territoire laissé à l’appréciation des élus et tenant compte des spécificités locales ;
- d’autre part, il importe que la mutualisation soit issue d’un projet de territoire et d’un schéma local laissé à l’appréciation des élus, et, par ailleurs, chaque territoire ayant sa spécificité, il peut arriver que les services des communes membres d’un EPCI soient plus fournis et puissent donc plus facilement être mis à disposition soit de manière ascendante, soit de manière horizontale (entre les communes) ;
- enfin, cette conception s’inscrirait parfaitement dans la logique de la réforme de la décentralisation fondée sur la contractualisation et laissant aux collectivités la possibilité de s’organiser entre elles, au sein de différentes instances.
Le SNDGCT propose ainsi une nouvelle écriture de l’article du 35 projet de loi, selon laquelle : « Les services communs sont gérés par le niveau de collectivité le plus pertinent, défini dans le cadre du schéma d’organisation et de mutualisation », schéma que les collectivités devront obligatoirement établir dans l’année qui suit le renouvellement des conseils municipaux.
L’Association des maires de France (AMF) juge également « contre-productive » la suppression de la possibilité pour les communes de mettre à disposition du personnel au profit de leur intercommunalité.
L’intégration communautaire avant tout – L’exposé des motifs de l’article 35 du troisième projet de loi de décentralisation ne laisse pourtant planer aucun doute sur les finalités de la suppression de la mutualisation ascendante : cela « vise à renforcer l’intégration communautaire en supprimant les possibilités de mutualisation ascendante ».
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Acte III de la décentralisation : la réforme pas à pas
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Thèmes abordés
Notes
Note 01 Notamment lors de son déplacement le 11 avril dans la communauté de communes d’Annonay (Ardèche). Retour au texte
Note 02 Mutualisation des services : un enjeu d'intégration intercommunale études de cas. Retour au texte
Note 03 « Un nouvel atout pour les collectivités territoriales : la mutualisation des moyens » - Rapport d'information n° 495 (2009-2010) de MM. Alain Lambert, Yves Détraigne, Jacques Mézard et Bruno Sido, fait au nom de la Délégation aux collectivités territoriales, déposé le 25 mai 2010. Retour au texte