Que change l’inscription de la différenciation territoriale dans la Constitution prévue dans la réforme des institutions ?
Elle lève l’obligation faite au législateur d’invoquer une situation particulière (transfrontalière pour la collectivité européenne d’Alsace en cours d’examen devant le Parlement) pour justifier un régime particulier. Cette évolution rapproche les collectivités françaises des communautés autonomes espagnoles. Cette manière de reconnaître aux territoires un statut pas tout à fait comme les autres légitime et renforce les revendications des régionalistes. On l’a vu en Ecosse, où ceux qui l’ont initiée, les cadres du Labour, ont été balayés par les nationalistes.
Mais ce risque existe-t-il en France ?
L’exemple de la collectivité unique de Corse le démontre déjà. Promue en 2015 par le personnel politique local traditionnel issu du PRG, elle a abouti à la victoire des autonomistes et des nationalistes. Aujourd’hui, la collectivité européenne d’Alsace est, de la même façon, avancée par les élus LR et PS pour endiguer la poussée des régionalistes d’Unser land. Elle a d’ailleurs dans son champ de compétence les langues régionales… Elle va prospérer sur un terrain fertile. Comme le montre l’Observatoire interrégional du politique, le taux de ceux qui se disent plus alsaciens que français a augmenté de 17,3 % en 1985 à 26 % en 2000. En Bretagne, cette proportion est passée de 19,2 % en 1989 à 30,7 % en 2000. Jean-Yves Le Drian, qui a gouverné la région avec les régionalistes de l’Union démocratique bretonne, souhaite maintenant une collectivité unique sur le modèle de la Corse
Mais pourquoi Emmanuel Macron, qui n’est pas spécialement régionaliste, est-il si attaché à la différenciation territoriale ?
Avec cette réforme, il défend surtout une conception managériale de l’action publique, une décentralisation 2.0 en mode « projet » qui repose sur l’adaptation permanente. Cette décentralisation sans fin marque une rupture avec les blocs de compétences qui avaient été attribués à chaque échelon au moment des lois Defferre de 1982. Elle tourne le dos aux principes républicains et aux institutions « au carré » comme le département. Elle aboutit à une concurrence normative entre collectivités. Pour les interlocuteurs des collectivités, cette différenciation territoriale est source d’insécurité juridique. C’est le retour à l’ancien régime où, comme l’écrivait Voltaire, on changeait de loi autant de fois qu’on changeait de bureaux de poste. La différenciation territoriale va faire la fortune des avocats et des juristes. Il y a un marché qui s’ouvre !
Mais « le pacte girondin » d’Emmanuel Macron n’est-il pas nécessaire pour assouplir la République une et indivisible ?
Cette démarche repose sur un contre-sens historique. Les Girondins ont voté la Constitution de 1792 qui affirme la République une et indivisible. Ils défendaient une gouvernance locale optimale dans le cadre des départements. Ils ne voulaient pas rétablir le duché de Bretagne ou d’Aquitaine. Ils croyaient à l’égalité devant la loi. La loi ne sera plus tout à fait la même selon les endroits. C’est tout à fait différent que de reconnaître un pouvoir règlementaire aux collectivités.
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Droit à la différenciation territoriale : les élus s’y voient déjà
Sommaire du dossier
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- Le chantier du projet de loi 3 D est lancé !
- Différenciation : l’organisation à la carte attendue de pied ferme par les élus
- Différenciation : dans les territoires, ça phosphore déjà beaucoup
- Droit à la différenciation : vers une nouvelle étape de la décentralisation ?
- La Bretagne, laboratoire de la différenciation territoriale
- « La différenciation territoriale va faire la fortune des avocats »
- Différenciation : pendant ce temps-là, ailleurs en Europe
- Le droit à la différenciation bientôt dans la Constitution
- Révision constitutionnelle : la Bretagne fera des propositions sur la différenciation
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