Le Conseil National de la Médiation est né ! Il a été nommé en mai 2023, et se réunit ces jours pour la première fois.
Le monde de la médiation s’en réjouit, y notant une avancée et une reconnaissance de la pratique de la médiation en France. Une garantie également de la qualité et de l’expertise des médiateurs intervenants dans les relations difficiles au travail au sein des collectivités, mais également dans les relations des collectivités avec leurs partenaires, leurs prestataires, sans oublier les relations de voisinage.
Cependant, la représentation massive de juristes, magistrats, avocats et universitaires dans cette instance qui doit réguler un métier dont les compétences fondatrices ne sont pas le droit pose question : en quoi cela peut modifier ou détourner la perception et l’usage de la médiation, et comment s’y retrouver quand on fait appel à un médiateur sur une commune ?
Le rôle du Conseil National de la Médiation
Tout d’abord, penchons-nous sur le rôle du Conseil et la structuration du métier de médiateur. Il s’agit en effet d’une avancée surtout pour les utilisateurs de la médiation, tels que les communes, qui y trouveront des garanties sur les compétences des médiateurs auxquels ils feront appel. En effet, le Conseil doit veiller à l’uniformisation des formations et des pratiques de médiation sur le territoire, et à une régulation de ces pratiques. Auparavant, pouvaient devenir médiateurs tous ceux qui le souhaitaient, sans aucune exigence de formation, ni de suivi de pratique. Des formations de tout niveau et avec des contenus très disparates fleurissaient et décernaient des pseudo-qualifications de médiateur.
Désormais, exercer la profession de médiateur nécessitera un certain nombre d’heures de formation initiale, formation à la médiation, et aux disciplines et outils du médiateur. La formation au droit ne suffira pas à valider l’expertise de médiateur. Elle était parfois même érigée comme la formation de base du médiateur.
Aux formations initiales s’ajouteront les exigences d’un suivi de formation continue, de façon annuelle et régulière, ainsi qu’un suivi de la pratique par les groupes d’analyse de pratique. Le Conseil National de la Médiation aura à statuer sur le nombre d’heures, et probablement le contenu de ces enseignements.
Un des critères essentiels de la qualité de l’expertise du médiateur est également sa pratique régulière. En effet, le savoir-être repose sur une posture neutre et impartiale qui doit être pratiquée avec régularité pour être sûre : cela ne s’improvise pas. Or peu de médiateurs aujourd’hui ont véritablement une pratique régulière et fréquente de l’exercice de la médiation. Ce critère sera défendu, je l’espère, par le Conseil National de la Médiation.
Cependant, la constitution en majorité des membres du Conseil par des experts du droit risque de concentrer le contenu des formations à la médiation à l’expertise juridique et la réalisation d’une bonne négociation, en omettant, ou en minimisant, l’expertise sur la relation, qui pourtant est un point essentiel de la pérennité des accords.
Vous me direz : « Mais une bonne négociation, c’est déjà cela ! » En effet ! Mais une bonne négociation nécessite a priori que la relation soit apaisée.
Ainsi, minimiser le travail sur la relation, en faisant prédominer l’expertise du droit, ce serait passer à côté de la particularité et de la spécificité de la médiation qui prend en compte les aspects personnels de la relation. Et qui mise sur la restauration de la confiance, pour la pérennité de l’accord.
L’expertise de la relation
En effet, la médiation ne repose pas sur des connaissances en droit ni pour conduire les entretiens, ni pour poser le cadre qui garantit la sécurité des participants au processus.
La médiation repose sur une expertise bien spécifique qui est celle de la relation : un ensemble de compétences et de connaissances de ce qui définit, qualifie, analyse, et régit la relation.
Mais la relation, qu’est-ce ? Ce mot ne représente pas uniquement ce qui fait la psychologie des personnes, ni non plus les règles qui régissent les comportements de la relation. La relation, c’est l’interaction entre deux personnes qui se rencontrent et entre qui se crée un lien dans un contexte spécifique. C’est un espace imperceptible, et pourtant réel.
La connaissance de la relation repose sur un ensemble de savoirs, dont la psychologie et le droit, mais aussi l’étude de la nature des liens, l’étude de l’évolution des comportements et de ce qui influe sur ces comportements, l’étude des modes de communication, et enfin du contexte et de son influence sur le lien, par la systémie.
L’expertise de la relation est donc une science à part entière qui comporte une définition, un objet, une nature, et un comportement, ainsi qu’une connaissance, une expérimentation, et des outils spécifiques. Et non l’émanation d’une autre science.
Les médiateurs sont des experts de ce savoir spécifique, qu’ils vont d’ailleurs acquérir dans des formations spécifiques à la médiation, et qu’ils vont mettre en pratique également.
Les relations au sein des communes
A l’échelle des maires et des communes, dans quel domaine intervient donc la médiation ? Elle peut intervenir à chaque fois qu’une relation se tend ou se rompt, et que chacun des acteurs a besoin de la renouer, pour la poursuivre ou pour y mettre fin dans de bonnes conditions.
Ainsi, elle s’inscrit dans :
- la relation de travail : la relation des agents entre eux, des agents avec leur hiérarchie, et du personnel des collectivités avec les élus sont autant de relations qui nécessitent parfois un accompagnement ;
- la relation avec les partenaires et les prestataires des collectivités ;
- la relation avec les collectifs de citoyens sur des questions d’urbanisme par exemple ;
- La relation avec les écoles, ou autres partenaires institutionnels ;
- la relation de voisinage, relation qui est souvent renvoyée à la responsabilité des élus, complètement démunis pour intervenir.
L’ensemble de ces relations sont régies par des règles de droit, qui permettent d’accompagner et sécuriser les personnes dans la relation, mais ce qui compte aussi beaucoup à l’échelle d’une commune, c’est la proximité et la durabilité des liens, le fait que les liens perdurent même après jugement. Les personnes vivent souvent sur le même territoire, et sont amenées à se rencontrer à nouveau. La confiance est donc un point important pour accompagner le mieux « vivre ensemble ».
Ainsi, les règles et le droit ne suffisent pas à rassurer. Le dialogue et la collaboration peuvent permettre le « vivre ensemble ».
La place des juristes dans le processus de médiation
Cependant les experts juridiques ont un rôle important dans le processus de médiation en intervenant en complémentarité avec le médiateur.
Le médiateur ne nécessite pas d’avoir des connaissances en droit. S’il en a, il n’en fait pas état dans l’espace de médiation, au risque de perdre la neutralité qui lui est nécessaire pour animer cet espace de parole. L’expertise du médiateur limiterait l’autonomie des personnes à rechercher elles-mêmes la solution.
C’est la différence avec le conciliateur, qui, lui, tranche le litige, et peut donner un avis sur le fond de la question litigieuse.
Cependant, cela n’exclut pas l’intervention d’un expert du droit dans le processus en soutien technique des personnes pour accompagner la négociation. Ainsi, le médiateur peut accueillir des experts dans le cadre du processus, suivant certaines règles. La place de l’expert sera en soutien et en conseil, mais non pas en représentation.
Il s’agit de redonner un pouvoir d’action, de l’ « empowerment ». Le principe même de la médiation réside dans la capacité des personnes à trouver par elles-mêmes la solution qui leur conviendra, et à collaborer entre elles pour la trouver.
Des professionnels du droit qui vont siéger au Conseil National de la Médiation sauront-ils apprécier les enjeux de développement, de structuration, et d’encadrement de la médiation, sans la défaire de sa « substantifique moëlle »: la volonté et l’engagement des personnes, la neutralité du médiateur et l’absence de formalisme et de formalités permettant la garantie de cet engagement ?
Nous l’espérons, et l’appelons de nos vœux.
Cet article fait partie du Dossier
Comment les collectivités s'emparent des alternatives au contentieux
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Sommaire du dossier
- La médiation territoriale s’installe dans les collectivités
- Les chantiers à suivre dans la médiation territoriale
- Comment les acheteurs publics s’emparent de la médiation ?
- Convention judiciaire d’intérêt public : des progrès restent à faire
- La médiation dans la fonction publique territoriale en 10 questions
- La médiation préalable obligatoire, un dispositif apprécié mais peu utilisé
- Une volonté de développer la médiation dans le Val-de-Marne
- « Les champs de la médiation administrative sont illimités »
- Services publics : la médiation fête ses cinquante ans
- « Notre société demande à être apaisée, elle a besoin de médiation »
- Les débuts prometteurs de la médiation préalable
- Signature de la première convention judiciaire d’intérêt public
- La médiation préalable obligatoire est pérennisée, mais perfectible
- L’essentiel du Conseil national de la médiation
- « Le Conseil National de la médiation, une garantie de qualité pour les collectivités ? »
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