« La République française ne peut pas accepter, délibérément ou inconsciemment, d’avoir des laissés-pour-compte de l’administration ou des services publics ». A l’occasion de la cinquième édition de son rapport annuel, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a mis l’accent sur la hausse des réclamations à laquelle l’institution indépendante fait face : +13% sur les deux dernières années, dont plus de 80% qui portent sur la défense des droits des usagers des services publics, l’un des cinq domaines de compétence du Défenseur des droits (1).
Ainsi, en 2018, sur les 140 000 réclamations adressées au Défenseur des droits, 94% portaient sur la relation des usagers avec les services publics. « La réduction du périmètre des services publics, leur privatisation progressive, leur dématérialisation, la complexité des dispositifs, l’éloignement du contact humain ainsi que la restriction des moyens budgétaires qui leur sont alloués contribuent à créer un sentiment diffus et dangereux de rupture entre les usagers, notamment précaires, et les services publics », écrit-il. Il se situe là dans la droite ligne de son rapport en 2017.
Garder un contact humain
Or, comme le pointait déjà son rapport de janvier dernier consacré à la dématérialisation, cette dernière, bien que source de simplification et de modernisation, « sert aussi trop souvent de palliatif à une réduction des guichets d’accueil du public guidée par une logique budgétaire ».
Persistance de zones blanches et grises
Plus de 7,5 millions de personnes sont privées en France d’une couverture internet de qualité. « Le manque de formation (presque une personne sur deux trouve difficilement une information administrative sur Internet) contribuent à un abandon des démarches administratives de la part d’une partie de la population qui se trouve exclue de fait de l’accès à ses droits.
Le Défenseur des droits préconise donc qu’une partie des gains tirés de la dématérialisation soient utilisés par l’Etat pour accompagner certains publics éloignés du numérique. Il recommande également de conserver plusieurs canaux de communication, dont au moins un humain.
Le Défenseur des droits a salué le mouvement des maisons de service au public (MSAP), ce « refus de la fatalité dans la réduction géographique et humaine des services publics ». Il a invité à aller plus loin, car la moitié d’entre elles sont des systèmes d’accueil, alors que le besoin porte sur la présence de véritables représentants des services publics, qui pourront offrir des réponses aux habitants.
Les droits de l’enfant, une priorité
Le Défenseur des droits a rappelé que la protection de l’enfance était une priorité pour l’ensemble des pouvoirs publics : Etat, départements, secteur sanitaire et municipalités.
« Evoquée en 2017 par le gouvernement, la stratégie nationale de protection de l’enfance n’est toujours pas dévoilée. Il est urgent qu’un pilotage national consacre enfin à la protection de l’enfance, en concertation avec les départements, l’attention qu’elle mérite », tacle le Défenseur des droits. Qui a rappelé que si « la décentralisation est un acquis constitutionnel », elle peut créer des inégalités territoriales, et qu’il existe une « responsabilité de la République française » (et non de l’Etat en tant qu’organisation administrative), notamment à l’égard des mineurs non accompagnés. Le Défenseur des droits juge donc nécessaire de se doter de référentiels nationaux, appliqués par les départements.
Des manquements à la déontologie de la sécurité
Les réclamations liées à la déontologie de la sécurité sont celles qui enregistrent la plus forte hausse : +23,8% en 2018 par rapport à l’année 2017. Parmi les 1 520 réclamations relatives à cette thématique, on peut noter que 29,1% sont relatives à des violences, 19,3% pour des refus de plainte, et 11,2% pour des propos déplacés.
Le Défenseur des droits a dénoncé une stigmatisation à l’égard de catégories de personnes, ce qui limite le droit des personnes en question et les écartent des services publics. Sont cités par exemple des rapports rédigés par des agents de la RATP, des échanges de courriels entre gendarmes, élus et services de police ou encore de cadres d’une municipalité avec des policiers municipaux, indiquant que les « migrants », « roms » et « SDF » étaient indésirables dans certains espaces.
Enfin, le Défenseur des droits, qui a préconisé l’interdiction des lanceurs de balle de défense – LBD 40, des armes de force intermédiaire qui équipent aussi la police municipale – dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre, a indiqué qu’une étude sur la stratégie de la « désescalade », susceptible de contribuer à une amélioration des relations police-population, avait été engagée avec l’Institut national des hautes études de la Sécurité et de la Justice.
Références
Rapport d'activité 2018, Défenseur des droits, 12 mars 2019
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Les cinq domaines de compétence du Défenseur des droits sont la défense des droits des usagers des services publics, la défense et la promotion de l’intérêt supérieur et des droits de l’enfant, la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité, le respect de la déontologie des personnes exerçant des activités de sécurité, et l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte. Retour au texte