Pourquoi le Conseil d’Etat a-t-il choisi le thème du droit souple ?
L’intérêt de cette étude annuelle 2013 est que le Conseil d’Etat prend position sur des évolutions qui se font jour depuis plusieurs années. On constate, en effet, une profusion d’instruments juridiques qui ont en commun de ne pas obliger leurs destinataires mais qui contribuent à orienter les comportements. De plus en plus utilisés par les pouvoirs publics et aussi par des émetteurs privés, ces instruments se présentent sous des appellations variées : recommandations, normes techniques, référentiels de bonnes pratiques, contrats-types, chartes, codes de bonne conduite ou encore lignes directrices.
Le Conseil d’Etat s’est intéressé à la force normative de ces instruments juridiques et a souhaité prendre position sur le droit souple, donner aux pouvoirs publics une doctrine d’emploi de ce droit et enfin, insérer ce dernier dans une échelle de normativité graduée qui va du droit souple au droit dur. L’étude propose une grille de critères permettant d’évaluer l’utilité, l’effectivité et la légitimité du droit souple.
Quelle définition donne le Conseil d’Etat au droit souple ?
Au terme d’une démarche empirique, le Conseil d’Etat a défini le droit souple par trois critères.
Tout d’abord, le droit souple est du droit et, à ce titre, il a pour objet de modifier les comportements.
Le second critère qui le distingue du droit dur, est qu’il ne créée pas par lui-même de droits ou d’obligations.
Le troisième critère définit le droit souple par rapport au non-droit. Ainsi, le droit souple a un certain degré de formalisation. A la différence du slogan ou de l’exhortation, c’est le mode d’élaboration et de structuration qui marque le passage du non-droit au droit souple.
Quelles sont les fonctions du droit souple ?
Tout d’abord, le droit souple peut intervenir en substitution au droit dur lorsque le recours à ce dernier n’est pas réalisable. Par exemple, pour favoriser la mise en œuvre d’une politique (emplois d’avenir, protection des mineurs étrangers isolés), le Gouvernement peut préférer la signature d’une « convention d’engagement » avec les associations d’élus.
Sa deuxième fonction, c’est l’accompagnement du droit dur, qui permet de déléguer au droit souple l’élaboration des modalités techniques des orientations essentielles.
La troisième est de mieux répondre aux mutations sociétales émergentes. La gouvernance d’Internet se fait par des dispositions de droit souple, la régulation des nouvelles formes de rassemblements festifs utilise au niveau local ces instruments car des dispositions de droit dur seraient difficilement applicables en la matière.
Enfin, le droit souple peut se présenter comme une alternative pérenne au droit dur. Il y a des domaines où il n’est pas possible d’intervenir par le droit dur et la conciliation d’intérêts différents passent par des instruments de droit souple. Par exemple, dans le domaine sanitaire, les recommandations de la Haute autorité de la santé apparaissent appropriées pour concilier les besoins de standardisation et la liberté inhérente à l’exercice de la médecine.
L’intérêt du droit souple réside ici : participer à l’amélioration du droit par une meilleure applicabilité. L’idée est donc de veiller à la qualité du droit en utilisant des instruments de droit souple sans pour autant rejeter le droit dur. Le projet du Conseil d’Etat est de mieux mettre à sa place le droit dur dans son rôle de prescripteur. Devenu trop bavard, trop technique, le droit dur est peu lisible, mal applicable et changeant.
Quels bénéfices peuvent attendre les collectivités du droit souple ?
Le droit est devenu extrêmement profus avec beaucoup de prescriptions, d’interdictions qui suscitent des problèmes d’application notamment par les collectivités territoriales. Le développement des instruments de droit souple permettront de redonner au droit dur sa vraie vocation de prescrire, ordonner, interdire et de renvoyer au droit souple les conditions de mise en œuvre. Le recours au droit souple permettra ainsi aux collectivités territoriales de voir mieux prises en compte leurs différences, leurs particularités liées aux territoires et aux populations. Ainsi, Le développement de l’utilisation du droit souple redessine un cadre législatif allégé. Le droit souple est la réponse au débat des collectivités territoriales sur l’adaptabilité de la norme.
Mais quels risques aussi ?
Les risques existent. Tout d’abord, un risque de défaut de légitimité et de respect des champs de compétence ; le risque aussi d’utiliser le droit souple pour contourner les obligations du droit dur.
De plus, parce que le droit souple repose sur l’adhésion volontaire de ses destinataires, sa légitimité dépend étroitement de l’implication des parties prenantes concernées dans son élaboration laquelle doit se faire avec un maximum de transparence.
Enfin, une certaine insécurité juridique pourrait naître de l’incertitude sur la portée de l’instrument, ses destinataires ne sachant pas s’il s’agit du droit dur créant des droits et des obligations ou du droit souple. D’où l’importance de la proposition majeure que fait le Conseil d’Etat : élaborer une doctrine de recours du droit souple dont il donne les critères d’emploi.
L’ambition est que le droit souple contribue pleinement à la politique de simplification des normes et de la qualité du droit.
Le droit dur n’a pas à craindre cette émulation ; il en sortira renforcé.