Si les rapprochements entre collectivités impactent naturellement leur personnel, la loi du 16 décembre 2010 n’apporte aucune réponse définitive. Aussi les dirigeants territoriaux naviguent-ils « à vue ». Le pragmatisme supplée aux textes pour préparer les changements, repenser les organigrammes, accompagner les prises de compétences, harmoniser les situations… Au grand dam des syndicats.
Configurations originales – Les aspects matériels sont les premiers visés. Locaux, systèmes d’information et de communication… tout est souvent à redimensionner ! Il faut aussi « déléguer davantage, élaborer un programme élargi de formation pour favoriser l’intégration des personnes dans leur nouveau milieu professionnel », énumère Stéphane Pisch, directeur général des services (DGS) de la communauté de communes (CC) Caux vallée de Seine (Seine-Maritime).
Plus encore, il s’agit souvent de composer avec des services dont « l’agencement » tient plus du casse-tête chinois que du jeu d’emboîtement. « Entre fusion totale, service partiellement partagé, personnel dédié ou non à une entité et autorités fonctionnelles différentes, les services communs recouvrent diverses combinaisons », décrit Michel Calvez, directeur général adjoint de l’organisation et des ressources humaines de la ville et de la communauté urbaine de Nantes (24 communes, 590 000 hab., Loire-Atlantique) où coexistent plusieurs de ces configurations.
De ces choix, nés d’une union consommée entre politique locale et stratégie territoriale, émergent donc des organigrammes complexes. Ainsi, quatre des six directions générales adjointes des services de Blois et de sa communauté d’agglomération figurent désormais sur un organigramme unique. Du coup, les agents de la ville et ceux communautaires se côtoient dans les mêmes murs, le dispositif reposant sur des mises à disposition croisées, sans transfert de personnel, via une convention révisée tous les six mois.
« Les régimes indemnitaires et avantages sociaux ont été harmonisés, par le haut, afin que tout agent puisse passer d’une entité à l’autre », précise Bruno Malhey, DGS de la communauté d’agglomération (CA) de Blois Agglopolys (Loir-et-Cher). En revanche, le transfert partiel, depuis mars, de la compétence « urbanisme » à Nantes métropole, couplé à la mise en commun des moyens, a conduit le personnel de la ville de Nantes à changer d’employeur tout en gardant les mêmes missions, désormais exercées sous l’autorité du président ou du maire selon le dossier !
Le collaboratif pour impératif – « Agents et cadres doivent apprendre à travailler avec une autorité hiérarchique parfois différente de l’autorité fonctionnelle, elle-même distincte de l’autorité de coordination », renchérit Dominique Royoux, responsable de la prospective et des coopérations territoriales de la CA Grand Poitiers (Vienne). Appréhender ce nouvel univers passe par l’acculturation. La CA Grand Paris Seine Ouest, issue de la fusion des deux agglomérations Arc de Seine et Val de Seine, a ainsi organisé un séminaire dédié aux cadres pour fédérer autour d’une « culture commune de la performance ».
A Blois, grâce à une formation longue sur le management par projet et objectif, les cadres de la ville, de l’agglomération et du centre intercommunal d’action sociale cultivent pas à pas un « véritable sentiment d’appartenance bicéphale ». Les agents étant contraints ou non de souscrire à leur mobilité – selon qu’il y ait transfert de compétences ou pas -, leur adhésion est en effet un préalable incontournable à la réussite.
« Afin d’être pleinement partagés, les objets de mutualisation entre la ville et l’interco sont proposés depuis la base, direction par direction, sous la forme très participative de projets de service servant l’intérêt des deux entités », témoigne Michel Monier, DGS de la ville et de la CA d’Angers.
Pour autant, le collaboratif n’exonère pas d’informations explicatives : « Certains agents voient leur mission évoluer, d’autres changent d’affectation… Il faut les tranquilliser, montrer comment ce changement peut enrichir leurs perspectives », détaille Sylvie Morainville, DGS de la CC du grand pic Saint-Loup (Hérault).
Rassurer, c’est donc d’abord étudier les situations une à une, comme le souligne Bernard Orts, directeur général des services adjoint au sein de Chartres métropole : « Nous avons tenu compte de l’impact des mobilités sur les temps de transport et les modes de garde des enfants. »
Par ailleurs, il s’agit de « présenter, très rapidement, un organigramme exhaustif où tous se repèrent », indique Sylvie Morainville. Il est, en outre, indispensable de prévoir des reclassements possibles en cas de refus de mobilité. Enfin, il faut harmoniser le cadre statutaire, surtout si, dans un même service, doivent cohabiter des agents relevant d’entités différentes !
Animer la coopération – L’exercice impose aussi un nouveau relationnel avec l’encadrement des communes membres de l’interco. Ainsi, Angers Loire métropole a instauré un comité de suivi composé des membres des directions générales de celles-ci. Idem pour Caux vallée de Seine où les secrétaires de mairie sont réunis tous les deux mois autour d’une thématique, tandis qu’un comité des directeurs rassemble mensuellement les directions fonctionnelles et opérationnelles des principales communes.
« Un travail collaboratif essentiel », insiste Stéphane Pisch, permettant de maintenir un lien de proximité avec les communes membres. « L’avenir est à l’articulation des actions entre les différents échelons, la mutualisation n’étant pas un phagocytage mais une coopération, martèle Dominique Royoux. La mutualisation intelligente relève d’abord d’une coordination technique à travers laquelle nous inventons tout bonnement une nouvelle administration. »
Des mouvements bien encadrés
Selon la loi du 19 février 2007 relative à la FPT, le personnel et les services correspondant à l’exercice d’une compétence transférée sont automatiquement transférés à l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) créé ou issu de la fusion, et les agents conservent leurs conditions d’emploi et leur régime indemnitaire.
Les modalités de transfert font l’objet d’une délibération conjointe de la commune et de l’EPCI, prise après avis des instances paritaires.
Les questions relatives à la situation des fonctionnaires exerçant pour partie seulement dans un service ou une partie de service transféré sont réglées par convention entre communes et EPCI après avis des commissions administratives paritaires, là encore dans le respect des conditions de statut et d’emploi.
La loi du 16 décembre 2010 modifie l’article L.5211-4-1 du Code général des collectivités territoriales pour sécuriser cette pratique de mise à disposition de services au regard du droit communautaire.
Références
- Rapport d’information sénatorial sur la mutualisation des moyens des collectivités territoriales par MM Alain Lambert, Yves Détraigne, Jacques Mézard et Bruno Sido - Session 2009-2010
- Ressources humaines. La mutualisation des services : un enjeu d'intégration intercommunale. Etudes de cas, ADCF-Inet, mai 2011
- Mutualisations – Quel rôle et quelles transformations pour la fonction ressources humaines – Etude co-animée par Gaël Hilleret et Delphine Leray avec les élèves administrateurs territoriaux de la promotion Aimé Césaire (2009/2010)
- Réformes et impacts organisationnels et managériaux, CNFPT, mars 2011
Cet article fait partie du Dossier
Intercommunalité et mutualisation : les clés d'une gouvernance partagée
Sommaire du dossier
- Dans les intercommunalités, le retour en force des communes
- Intercommunalité et mutualisation : les clés d’une gouvernance partagée – Introduction
- L’intercommunalité célèbre sa révolution tranquille
- Intercos : « Nous assistons à une entreprise municipaliste »
- Intercommunalité : de nouveaux dispositifs politiques émergent
- Intercos : la réflexion sur les mutualisations est en cours
- Intercommunalité : une nouvelle administration du personnel s’organise
- Intercos : les compétences sont à la carte ou au menu
- Collectivités fusionnées, services mutualisés, agents partagés… comment créer une identité communautaire ?
- Points de vue : Jules Nyssen et Joël Boscher, DGS
- Intercommunalité : les inconnues du statut
- Mutualisation des services – Rennes métropole cherche l’harmonie
- Reims réforme pour une meilleure synergie entre l’interco et la ville