Président délégué de la Commission locale d’information et de surveillance (CLIS) de la centrale nucléaire haut-rhinoise, Michel Habig est « satisfait de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Car ce serait une erreur de fermer Fessenheim. »
Il se félicite en particulier des « deux recommandations fortes faites à EDF de renforcer le radier (le socle de béton sur lequel le réacteur a été construit, ndlr) et d’aménager une nouvelle source de refroidissement ».
Il souhaite toutefois que soit également pris en compte le risque d’inondation dans les améliorations à apporter à l’installation, comme le conseil général du Haut-Rhin, dont il est 3e vice-président, l’a demandé le 29 juin à l’ASN.
Une étude hydraulique réalisée par la collectivité envisage ainsi une rupture de la digue du Grand Canal d’Alsace consécutive à un séisme, hypothèse rejetée par l’exploitant de la centrale, EDF.
« Moins les politiques s’en mêleront, mieux ce sera » – Maire UMP d’Ensisheim et conseiller général du canton qui accueille le site de Fessenheim sur son territoire, Michel Habig envisage donc avec sérénité l’avenir d’une centrale nucléaire « très importante sur le plan économique, pour les ressources du département et des communes environnantes. La population locale le sait bien et elle est attachée à la pérennité de la centrale… mais avec bien sûr la nécessité d’une sûreté maximale », souligne-t-il.
Il n’a qu’une crainte : que la décision finale de prolonger ou non l’exploitation du réacteur n°1 ne se fonde finalement pas sur des considérations techniques mais politiques. Or, « moins les politiques s’en mêleront, mieux ce sera », insiste-t-il.
« Dans ma grande bonté, je ferme Fessenheim » – Que le politique s’en mêle, c’est bien au contraire le vœu des partisans de la fermeture de Fessenheim. « En première lecture, l’avis de l’ASN, c’est : Fessenheim, dix ans de plus ! commente l’adjoint au maire de Strasbourg et porte-parole en Alsace d’Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV), Alain Jund. Mais en deuxième lecture, on voit le coût exorbitant que représentent les mises à niveau demandées par l’ASN. Il n’est d’ailleurs même pas sûr qu’EDF ait envie de réaliser ces travaux, même si, symboliquement et industriellement, au regard en particulier de sa stratégie internationale, l’entreprise n’a pas intérêt à ce que ça ferme. »
« Et en fin de compte, poursuit-il, quand on met tout cela en perspective de l’élection présidentielle de 2012, on peut très bien imaginer le président-candidat Sarkozy, s’appuyant sur les interrogations de l’ASN, dire tout haut : ‘‘Dans ma grande bonté, je ferme Fessenheim.’’ En pensant tout bas que c’est le seul moyen de poursuivre la filière nucléaire… »
On ferme ici mais on continue ailleurs ? – Un deal sur le mode : « On ferme ici, mais on continue ailleurs » ? Membre de la CLIS de Fessenheim et administrateur de l’association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCLI), Jean-Paul Lacote le pense plausible.
Mais « il y aurait alors un possible effet domino dans la tranche des réacteurs 900 MW, car d’autres mériteraient d’être fermés », juge-t-il, en citant la centrale du Blayais (Gironde), du Tricastin (Drôme) ou de Bugey (Ain).
Au regard du risque qu’encourrait alors la filière nucléaire française, il n’est ainsi « pas persuadé que la décision de fermeture interviendrait ». « Pourtant, ajoute-t-il, si on prend le problème du radier au sérieux, on doit fermer cette centrale. »
« On n’est plus du tout dans des considérations techniques ; la question de la fermeture de Fessenheim dépend désormais exclusivement d’un point de vue politique », répète Alain Jund. Faisant ainsi sienne la formule du porte-parole du réseau Sortir du nucléaire et physicien strasbourgeois Jean-Marie Brom : « L’ASN a passé le bébé au politique. »
Rien de décidé à droite, la fermeture actée à gauche – Or, que dit le politique ? Que « cet avis de l’ASN ne vaut pas prolongation, a commenté la ministre de l’Ecologie Nathalie Kosciusko-Morizet. Et ce serait une mésinterprétation que d’en conclure que, ça y est, le gouvernement a décidé de prolonger Fessenheim pour dix ans. »
Comme en contrepoids, son collègue de l’Industrie, Eric Besson, a fait valoir que « les prescriptions (de l’ASN) témoignent de l’amélioration permanente en matière de sûreté, et du fait que la France est engagée de longue date pour la prévention des accidents graves et de leurs conséquences. » Bref, à droite, rien n’est décidé.
Alors, Alain Jund se raccroche à sa gauche, où, assure-t-il, « Si la sortie du nucléaire est au cœur des négociations nationales entre EELV et le PS, la fermeture de Fessenheim est, elle, actée : ce n’est même plus un point de discussion. »
Une telle décision serait d’ailleurs largement approuvée en Alsace, et ce, au-delà des clivages politiques, considère-t-il. En observant que « 80 communes et intercommunalités et des parlementaires de tous bords se sont prononcés en faveur de la fermeture de Fessenheim, sans aller nécessairement jusqu’à souhaiter la sortie du nucléaire ». « En Alsace, c’est devenu une évidence », conclut-il.
Pas tout à fait, car comme le note Jean-Paul Lacote, « plus on se rapproche géographiquement de la centrale, moins la volonté d’une fermeture est grande »…
Références
Avis n°2011-AV-0120, du 4 juillet 2011, Autorité de Sûreté nucléaire
Cet article fait partie du Dossier
Le nucléaire français en questions
Sommaire du dossier
- Le nucléaire français en questions
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