Devant quelque 2 000 maires le 21 novembre, Emmanuel Macron a remis sur la table le sujet des 35 heures dans la fonction publique territoriale, un aspect qu’il souhaite « corriger » dans le cadre de la rĂ©forme de la fonction publique territoriale que prĂ©pare le gouvernement. A quelques jours des Ă©lections professionnelles du 6 dĂ©cembre, une telle intervention a tout d’un chiffon rouge agitĂ© devant les syndicats et les territoriaux.
Voire d’un mauvais procès, puisque d’après le dernier rapport annuel sur l’état de la Fonction publique s’appuyant sur l’enquĂŞte Emploi, le sujet semble dĂ©jĂ en bonne voie. La durĂ©e annuelle effective du travail est dĂ©sormais de 1600 heures dans la fonction publique territoriale et de 38,5 heures hebdomadaires (moyenne pour un temps plein). Des chiffres nettement plus Ă©levĂ©s que ceux que contenait le rapport paru sur le sujet en mai 2016, rĂ©alisĂ© par Philippe Laurent, prĂ©sident du CSFPT, qui estimait alors la durĂ©e annuelle Ă 1584 heures (sur une moyenne des donnĂ©es recueillies en 2013 et 2014).
Un rĂ©sultat notamment dĂ» Ă des contraintes particulières comme le travail le dimanche, les jours fĂ©riĂ©s, et de nuit. Ces horaires atypiques touchent particulièrement la fonction publique hospitalière, moins l’Etat et la territoriale. Dans la FPT, un gros quart des agents travaillent le dimanche par exemple, des valeurs pas si Ă©loignĂ©es de celles du secteur privĂ©.
Dans son discours devant les maires, le président de la République a néanmoins jugé bon de dénoncer la pratique du « jour du maire » : « il faut qu’on puisse arrêter le jour du maire, du président, de la femme du président, du cousin du président », a-t-il ironisé.
L’existence de « jours locaux »
En rĂ©alitĂ©, le prĂ©sident de la RĂ©publique globalise des situations très hĂ©tĂ©rogènes. Une première catĂ©gorie de jours non travaillĂ©s ne relèvent manifestement pas du clientĂ©lisme que semble vouloir dĂ©noncer Emmanuel Macron en stigmatisant « le jour du maire ».
Ainsi, des « jours locaux » sont historiquement accordĂ©s dans certaines rĂ©gions. En Alsace-Moselle, le Vendredi Saint et le 26 dĂ©cembre sont fĂ©riĂ©s. Dans les DOM, les agents bĂ©nĂ©ficient du jour de la cĂ©lĂ©bration de l’abolition de l’esclavage : 27 avril Ă Mayotte, 22 mai en Martinique, 27 mai en Guadeloupe, 10 juin en Guyane et 20 dĂ©cembre Ă La RĂ©union. La Guadeloupe et la Martinique disposent aussi du jour de Victor SchĹ“lcher le 21 juillet.
Autre catĂ©gorie, celle des jours fĂ©riĂ©s « traditionnels » locaux. 6 jours pour la Guadeloupe : lundi gras, mardi gras, mercredi des cendres, mi-carĂŞme, vendredi saint, jour des dĂ©funts, 4 jours pour la Martinique : lundi gras, mardi gras, mercredi des cendres, vendredi saint, ainsi que 4 jours pour la Guyane : lundi gras, mardi gras, mercredi des cendres, festival de Cayenne (15 octobre), comme le prĂ©cise le rapport de Philippe Laurent.
Attribution irrégulière de jours de congé supplémentaires
En revanche, certaines attributions de jours supplémentaires peuvent laisser songeur. Dans son rapport annuel d’activité, la chambre régionale des comptes de Bretagne, qui a réalisé un examen approfondi de 20 collectivités (départements, métropoles et autres EPCI) écrit : « A côté des 25 jours de congés annuels réglementaires, les observations de la chambre font souvent apparaître l’attribution irrégulière de jours de congés supplémentaires variant de 1 à 6 jours en fonction de la collectivité, réduisant de facto la durée annuelle du temps de travail des agents territoriaux.» (1)
Les dĂ©nominations varient d’une collectivitĂ© Ă l’autre et pour certaines semblent bien baroques aujourd’hui : « jours du prĂ©sident ou du maire », « congĂ©s d’anciennetĂ© », « jours prĂ©fecture », « jours mobiles », « congĂ©s accordĂ©s suite Ă une dĂ©coration », « demi-journĂ©e braderie », « congĂ©s locaux », « congĂ©s pour les veilles de fĂŞtes », « jours de ponts » et autres « congĂ©s de NoĂ«l »…
En moyenne, sur l’Ă©chantillon observĂ© par la CRC Bretagne, la durĂ©e effective du travail ne dĂ©passe pas 1562 heures par an. Le surcoĂ»t annuel est Ă©valuĂ© Ă 23,7 millions d’euros, Ă©quivalent Ă 554,8 Ă©quivalents temps plein, estime la chambre.
La CRC de Nouvelle-Aquitaine a, elle, Ă©pinglĂ© plusieurs collectivitĂ©s dont la commune de la Teste-de-Buch dont le temps de travail est fixĂ© par dĂ©libĂ©ration Ă 1596 heures. Or, note la CRC, une note signĂ©e du DGS de dĂ©cembre 2015 Ă©voque « la dĂ©duction des trois jours de sujĂ©tion, des quatre journĂ©es du Maire, ainsi que des deux jours pour les ponts et d’un troisième jour de pont supplĂ©mentaire accordĂ© par Mr Le Maire afin de ne pas dĂ©passer une durĂ©e totale de temps de travail effectif de 1540 heures ». On a le droit d’ĂŞtre surpris.
Au total, selon le rapport de Philippe Laurent, les jours « exceptionnels » dĂ©pourvus de base lĂ©gale (qui incluent d’autres jours accordĂ©s pour des Ă©vĂ©nements familiaux) peuvent reprĂ©senter entre 0 et 5 jours par an (rĂ©gulièrement 1 jour dans les petites et moyennes collectivitĂ©s, 5 jours dans les grandes).
Comment corriger le tir ?
Revenir sur « le jour du maire » peut s’avĂ©rer pĂ©rilleux. D’ailleurs, cette hypothèse de travail n’a (n’avait ?) pas la prĂ©fĂ©rence d’Olivier Dussopt, SecrĂ©taire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics, en mission conjointe avec Philippe Laurent sur ce sujet.
En septembre dernier, Olivier Dussopt avait même écarté cette piste. « Celle-ci ouvrirait des débats trop difficiles là où il y a des revendications nationalistes, autonomistes, ou encore là où il y a une tradition concordataire par exemple », avait-il déclaré lors de l’événement « Innova’ter » organisé par la Gazette.
La Cour des comptes ne dit pas autre chose dans son rapport public annuel de 2018, soulignant la difficulté dans le domaine des ressources humaines de revenir sur « certains avantages considérés comme acquis et pour lesquels la concertation et la négociation peuvent s’avérer particulièrement longues ».
Cet article fait partie du Dossier
Temps de travail : les fonctionnaires territoriaux travaillent-ils assez ?
Sommaire du dossier
- Le temps de travail des agents territoriaux en 10 questions
- 1 607 heures : le Conseil constitutionnel donne tort aux communes récalcitrantes
- Le temps presse pour les 1 607 heures
- Le compte-épargne temps dans la fonction publique territoriale en 10 questions
- Le temps de travail modulé largement plébiscité
- « Les litiges en matière de temps de travail donnent lieu à diverses interprétations »
- 1 607 heures : la réforme de trop pour les territoriaux
- 1 607 heures : ces villes qui font de la résistance
- Non, le passage aux 1607 heures n’implique pas une hausse du pouvoir d’achat des agents
- 1 607 heures : quelques minutes de plus par jour qui pèsent lourd
- Temps de travail : des accords pour atteindre les 1 607 heures
- François-Xavier Devetter : « Le temps de travail ne se rĂ©sume pas Ă un nombre d’heures »
- « Le jour du maire » : des abus ? de quelle ampleur ?
- Temps de travail : le rapport qui pourrait fâcher les fonctionnaires
- Temps de travail : « Le vrai étonnement, c’est la faiblesse du management »
- Après consultation, les agents passent aux 1 607 heures
- Un nouveau calcul horaire rééquilibre les jours de repos
- Temps de travail : le bon compte n’y est toujours pas
- Le Loiret négocie son passage aux 35 heures avec les syndicats
- Négocier le passage aux 1 607 heures : une méthode
- La ville d’Antony revoit sa politique de gestion des heures supplémentaires
- Temps de travail et fonction publique territoriale : une prise de conscience progressive
- Temps de travail : « Le perfectionnisme est presque un handicap pour les cadres »
- Le retour aux 1 607 heures annuelles s’impose aux agents
- Le temps de travail des fonctionnaires demande plus de transparence selon Bernard PĂŞcheur
- « La pression sur le travail rĂ©interroge la question du temps de travail »
Thèmes abordés
Notes
Note 01 D'une manière générale, les CRC, qui étudient de près les durées de travail annuelles, constatent régulièrement une durée inférieure au niveau légal de 1 607 heures. En 2016, à partir d’un échantillon de 103 collectivités territoriales, elles ont ainsi estimé la durée théorique du travail à 1562 heures par an. Elles ont souligné que, sur cet échantillon, 20 % des collectivités respectait la durée règlementaire des 1607 heures. Retour au texte




