Une entreprise privée peut-elle interdire le port visible de signes religieux à ses employés ? Telle était la question posée à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans deux affaires (1) concernant le licenciement d’employées de confession musulmane portant le voile.
Interdiction sous conditions
Le message de la Cour européenne est désormais clair : « Une règle interne d’une entreprise interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux ne constitue pas une discrimination directe. » En d’autres termes, les entreprises privées peuvent limiter l’expression religieuse de leurs salariés au nom du respect d’un principe de neutralité édicté en interne. Ainsi, selon la CJUE, « la volonté d’un employeur d’afficher une image de neutralité vis-à-vis de ses clients, tant publics que privés, est légitime, notamment lorsque seuls sont impliqués les travailleurs qui entrent en contact avec les clients ».
Mais cette volonté de neutralité dont découle l’interdiction de port visible de signes religieux aux employés est bien encadrée par les juges européens. Ainsi, la CJUE précise que l’interdiction du port visible de signes religieux « est apte à assurer la bonne application d’une politique de neutralité, à condition que cette politique soit véritablement poursuivie, de manière cohérente et systématique ». Ensuite, les juges imposent que l’interdiction ne doit viser que les employés qui sont en relation avec les clients. Et si tel est le cas, « l’interdiction doit être considérée comme strictement nécessaire pour atteindre le but poursuivi », précisent les juges.
De plus, la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits du client de ne plus voir ses services assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle « essentielle et déterminante ». Pour la CJUE, seules « la nature ou les conditions d’exercice d’une activité » peuvent justifier l’interdiction du voile. Pour le reste, le client n’est pas roi.
Enfin, la CJUE entend vérifier s’il aurait été possible pour l’entreprise de proposer à l’employée concernée par cette interdiction, « un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de la licencier ».
Et donc ?
Fort de ces différentes précisions, la question est désormais de savoir ce que cette nouvelle jurisprudence européenne va changer en droit français, notamment pour les entités privées assurant une mission de service public pour le compte des collectivités. Pas grand-chose en fait, si l’on reprend la jurisprudence de la crèche Baby-Loup. Pour rappel, la Cour de cassation avait confirmé, le 25 juin 2014, le licenciement pour faute grave d’une salariée voilée de cette crèche privée. Ainsi, si en 2014, les juges français considéraient que le contact d’une salariée avec des enfants justifiait l’interdiction du voile, les juges européens vont aujourd’hui à peine plus loin en élargissant le contact avec la clientèle, adultes compris, donc.
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