Chaque année, en France, 140 000 jeunes sortent du système de formation initiale sans aucun diplôme, selon les chiffres de l’Education nationale.
En 2009, la France a fait de la lutte contre le dĂ©crochage scolaire une prioritĂ© nationale. Le plan « Agir pour la jeunesse » a gĂ©nĂ©ralisĂ© les plateformes de suivi et d’appui aux dĂ©croÂcheurs (PSAD) afin de coordonner tous les acteurs locaux de la formaÂtion, de l’orientation et de l’inserÂtion des jeunes.
Coordination Foquale – En 2013, des rĂ©seaux « Formation, qualification, emploi » (Foquale) ont Ă©tĂ© créés pour coordonÂner l’ensemble des solutions de l’EduÂcation nationale, tandis que l’accompaÂgnement personnalisĂ© des dĂ©crocheurs Ă©tait confiĂ© Ă la mission de lutte contre le dĂ©crochage scolaire (MLDS).
NĂ©anmoins, le diagnostic de mars 2014 Ă©taÂbli dans le cadre de la modernisation de l’action publique est sans concesÂsion : objectifs peu clairs et moyens consacrĂ©s Ă la prĂ©vention insuffisants. Pour leur part, les collectivitĂ©s se sont mobilisĂ©es de manière inĂ©gale, avec un « manque de cohĂ©rence des sysÂtèmes d’information et une mutualiÂsation insuffisante des moyens et des donnĂ©es », dĂ©noncent les rapporteurs.
Leviers structurels – Les conseils rĂ©gionaux, de par leurs compĂ©tences en matière de formation professionnelle, mais aussi d’éducation (lycĂ©es), de transport et de logement (internat), disposent pourtant de leviers structurels afin de prĂ©venir le dĂ©croÂchage scolaire. « Notre connaissance fine du terrain nous permet de mobiliÂser des acteurs que l’Etat ne touche pas forcĂ©ment, mais nous avons besoin de son concours », plaide Guillaume Balas, conseiller rĂ©gional d’Ile-de-France.
Si Vincent Peillon, ex-ministre de l’EduÂcation nationale, montrait une volontĂ© de coopĂ©ration avec les collectivitĂ©s, celle-ci se dĂ©cline de manière inĂ©gale selon les acadĂ©mies. La rĂ©gion Ile-de-France, avec un budget de deux milÂlions d’euros en 2013 pour faire face Ă un dĂ©crochage massif (30 000 jeunes), en fait les frais.
Transition collège/lycĂ©e – Ainsi, 100 000 euros par dĂ©partement Ă©taient prĂ©vus afin d’accompagner la transition entre la troisième et le lycĂ©e ou le centre de formation des apprentis (CFA) pour les Ă©lèves fragiles dĂ©tectĂ©s par les Ă©quipes Ă©ducatives. « Or les acadĂ©mies sont très frileuses. Nous leur demandons de la disponibilitĂ© pour mettre en place des dispositifs. Cela fait un an et demi que l’on piĂ©tine », se dĂ©sole Guillaume Balas.
De son cĂ´tĂ©, la rĂ©gion RhĂ´ne-Alpes, qui avait adoptĂ© un plan de lutte contre le dĂ©crochage scolaire de 2008 Ă 2011, a dĂ» jeter l’éponge. « Nous financions des projets pour stimuler la pĂ©dagogie. Nous avons levĂ© les rĂ©ticences des syndicats en nous focaliÂsant sur le raccrochage des jeunes perÂdus de vue, qui ne font l’objet d’aucune politique publique », explique Philippe Meirieu, vice-prĂ©sident de RhĂ´ne-Alpes chargĂ© de la formation tout au long de la vie.
La région y consacre 1,3 million d’euros par an et cofinance 74 projets innovants qui bénéficient à 2 800 jeunes de 16 à 25 ans.
Cofinancer l’accompagnement – Ce que la rĂ©gion RhĂ´ne-Alpes a renoncĂ© Ă faire en matière de prĂ©vention, les Pays de la Loire le poursuivent sans crispation. Sur ce territoire, peu touchĂ© par le dĂ©crochage, le conseil rĂ©gional intervient en appui des Ă©quipes Ă©duÂcatives, dans les lycĂ©es et les CFA, en cofinançant un accompagnement prĂ©Âventif d’élèves en difficultĂ© ou orientĂ©s par dĂ©faut.
En 2013 et 2014, 180 000 euÂros ont permis d’accompagner un milÂlier de jeunes. « Notre financement sert de levier pour amplifier des projets porÂtĂ©s par les enseignants », dĂ©taille CĂ©dric Puydebois, directeur gĂ©nĂ©ral dĂ©lĂ©guĂ© « Ă©ducation, formation et emploi ».
Le flou de la rĂ©forme territoriale – Dans le cadre du service public rĂ©gional de l’orientation, issu de la loi du 5 mars 2014 relative Ă la formation professionÂnelle, les rĂ©gions se voient confier l’aniÂmation des PSAD Ă compter du 1er janÂvier 2015.
« Avec la fusion des rĂ©gions, nous sommes dans le flou. Nous attendons les dĂ©crets d’application, admet Sophie Minard-Vacelet, chargĂ©e de mission Ă la rĂ©gion RhĂ´ne-Alpes. Les PSAD sont lĂ pour proposer des solutions Ă ceux qui ont dĂ©crochĂ©, mais elles manquent de moyens humains pour les accompagner. D’oĂą l’utilitĂ© de notre plan rĂ©gional pour le raccroÂchage. »
Objectif emploi – En Bretagne, Georgette BrĂ©ard, vice-prĂ©sidente chargĂ©e de la formaÂtion professionnelle, veut aller plus loin dans le suivi des jeunes. « Nous ne sommes pas d’accord avec le recÂtorat, qui juge qu’un jeune accompaÂgnĂ© par la mission locale n’est pas un dĂ©crocheur. Notre ambition est d’ameÂner chaque jeune vers une qualification ou un emploi ! »
Pour cela, la région, en plus d’animer, financera des actions innovantes portées par les PSAD et s’engagera à les essaimer si possible.
Mise en cohĂ©rence – Que va faire la rĂ©gion de mieux que l’Etat ? « Assurer une mise en cohĂ©Ârence des actions pour “raccrocher” le jeune et lui proposer un parcours personnalisĂ©, rĂ©sume Thierry Cagnon, directeur de l’éducation au conseil rĂ©gional d’Aquitaine. Grâce Ă la multiplication des points de contact, nous pourrons capter plus de jeunes. »
« Nous n’allons pas dĂ©sinvestir les directeurs de centre d’information et d’orientation [CIO], souvent chargĂ©s de l’animation locale des PSAD. En revanche, le fait que nous financions les missions locales va nous permettre d’être en prise directe avec leurs objectifs, contraireÂment aux CIO », fait remarquer CĂ©dric Puydebois.
Mais une inconnue plane encore sur les moyens des rĂ©gions : en 2017, celles-ci auront la responsaÂbilitĂ© des collèges. Une rĂ©forme qui va rebattre les cartes du partenariat entre rĂ©gions et acadĂ©mies, tout en redonÂnant la prioritĂ© Ă la prĂ©vention.
Le partenariat entre la région Centre et le rectorat porte ses fruits
Chaque annĂ©e, Ă la suite des rĂ©sultats d’affectation de fin de troisième, environ 3 000 Ă©lèves de la rĂ©gion Centre (2,56 millions d’habitants) se retrouÂvent sans solution. Partant de ce constat, le conseil rĂ©gional a montĂ© le dispositif « assure ta rentrĂ©e » avec le rectorat.
Depuis 2006, une vingtaine de sessions d’accueil et d’information sont organisĂ©es dix jours après la rentrĂ©e scolaire, « le temps que les listes d’attente se rĂ©sorbent. Mille cas se rĂ©solÂvent ainsi d’eux-mĂŞmes », tĂ©moigne Karine Adamczyk, chargĂ©e de mission « dĂ©crochage scolaire » au sein de la direction des politiques d’orientation et de formation du conseil rĂ©gional. S’y retrouvent les professionnels de l’orientation et les Ă©tablissements de formation Ă qui il reste des places : lycĂ©es professionnels, centres de formation des apprentis, mais aussi acteurs de la formaÂtion continue.
La mission de lutte contre le dĂ©crochage scolaire (MLDS) propose Ă©galeÂment des parcours de remĂ©diation. La rĂ©gion coordonne cette opĂ©ration, qui « n’engage aucune ligne budgĂ©taire », prĂ©cise la charÂgĂ©e de mission. En revanche, elle aide Ă la promotion du dispositif auprès des jeunes et de leur famille. Le bilan est très positif, puisque 64 % des Ă©lèves trouvent une soluÂtion.
Afin d’offrir un suivi destinĂ© aux 36 % de jeunes restant, la rĂ©gion a lancĂ© « assure ton annĂ©e » en 2009. En lien avec la MLDS et les centres d’information et d’orientaÂtion, il s’agit de leur proposer un parcours de remise Ă niveau et de reprise de confiance en soi, dispensĂ© par les Greta, sous statut scolaire.
« L’approche de la formation contiÂnue, avec dĂ©coupages modulaires et petits groupes, convient Ă ces jeunes en rupture », explique Karine Adamczyk. En 2011, l’EducaÂtion nationale a instaurĂ© les plateformes de suivi et d’appui aux dĂ©crocheurs (PSAD) en y adjoignant un appel Ă projets.
« Le Centre est la seule rĂ©gion Ă contractualiser avec le recÂtorat pour une rĂ©ponse commune », insiste Karine Adamczyk. Ce projet gĂ©nĂ©ralise aussi « assure ton annĂ©e », qui offre une centaine de places. Pour le pilotage des PSAD, Karine Adamczyk reste sereine : « Cette coordinaÂtion bicĂ©phale entre la rĂ©gion et le rectorat nous a rĂ©ussis. Continuons ! »
« Le SPRO doit faire travailler les acteurs dans la complémentarité »
François Bonneau, président de la commission « éducation » de l’Association des régions de France (ARF)
« Selon l’ARF, le premier acte du service public régional de l’orientation [SPRO] est de prévenir le décrochage personnel, quand un élève en difficulté psychologique et sociale va rompre son parcours, en étant attentif aux signes et grâce à un accompagnement personnalisé.
En outre, il doit alerter sur le décrochage institutionnel, lorsque les structures d’accueil sont insuffisantes ou inadaptées au profil des jeunes et conduisent à une orientation par l’échec. Par ailleurs, le rôle des régions consiste à rester vigilantes à la place des lycées professionnels et de l’apprentissage en élaborant la carte des formations. Vient, ensuite, la question du raccrochage.
Le SPRO doit veiller à ce que tous les acteurs travaillent dans la complémentarité et non la redondance. Il s’agit de faire du cousu-main. Avec la prise en charge des collèges en 2017, la responsabilité des régions sera totale. En supprimant cette organisation en tuyau d’orgue, moins de jeunes interrompront leur parcours. »
Références
- Texte de loi :
Loi du 5 mars 2014 relative Ă la formation professionÂnelle
- Rapports :
"Atlas académique des risques sociaux d'échec scolaire : l'exemple du décrochage"
"Le décrochage scolaire : un défi à relever plutôt qu'une fatalité"
Cet article fait partie du Dossier
Décrochage scolaire : les collectivités en première ligne
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- Communes et départements jouent la prévention contre le décrochage scolaire
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