Depuis la disparition de la Commission de déontologie de la fonction publique, la HATVP a récupéré de nouvelles missions. Comment se passe cette réforme ?
La loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 a confié à la haute autorité le rôle d’institution de référence en matière de déontologie publique. Depuis le 1er février 2020, la haute autorité est exclusivement compétente pour examiner les demandes de mobilité des 20 000 hauts fonctionnaires. Pour les autres agents publics, qui constituent la très grande majorité de la fonction publique, c’est l’autorité hiérarchique qui est désormais compétente afin d’évaluer la compatibilité de leurs projets au regard de leurs obligations déontologiques. Ce n’est qu’en cas de doute de cette autorité hiérarchique, doute confirmé par le déontologue de la structure, que la haute autorité pourrait être saisie de cette situation.
Dans les premiers mois de mise en œuvre de la réforme, près d’une saisine sur trois ne relevait pas de la compétence de la haute autorité. Nous nous sommes efforcés de sensibiliser les administrations sur les pouvoirs qui sont les leurs. Parallèlement, la loi du 6 août 2019 a introduit un autre changement notable. Ce contrôle déontologique n’intervient plus seulement dans le cas d’un projet de mobilité du public vers le privé, la haute autorité est désormais compétente pour examiner la compatibilité des fonctions exercées dans le secteur privé durant les trois dernières années et l’exercice de certaines fonctions publiques stratégiques, comme directeur d’administration centrale ou directeur général des services. Ce contrôle se fait donc en amont des nominations.
Nous nous appliquons à rendre des décisions proportionnées. L’objectif est de s’assurer que ces mobilités, du public vers le privé ou l’inverse, s’effectuent dans le respect d’un cadre déontologique qui protège tant les agents publics que les collectivités. Dans l’hypothèse de risques majeurs sur le plan déontologique ou sur le plan pénal, la haute autorité émet un avis d’incompatibilité. Ces situations sont plutôt rares. Elles représentent 8 % des avis exprimés par notre collège.
Saisines sur la mobilité : le bilan
509 avis ont été rendus par la HATVP au 1er mars 2021. Concernant le type de mobilité :
- 230 avis concernent une « prénomination » ;
- 198 avis sont relatifs à une reconversion professionnelle dans le privé ;
- 81 avis concernent un cumul d’activités.
Dans un tiers de ces avis, la Haute Autorité n’aurait pas dû être saisie et ne s’est donc pas prononcée au fond. Pour les autres, concernant le sens des avis rendus :
- 146 sont des avis de compatibilité ;
- 182 sont des avis de compatibilité avec réserves ;
- 20 sont des avis d’incompatibilité.
Environ 25 saisines ont été provoquées par la HATVP directement, qui a identifié des situations dans lesquelles elle n’avait pas été saisie alors qu’elle devait l’être.
Quel bilan tirez-vous du répertoire des lobbies ?
La création d’un répertoire national des représentants d’intérêts par la loi « Sapin 2 » du 9 décembre 2016 permet de mieux comprendre les actions de représentation d’intérêts qui peuvent exister à l’occasion de la prise d’une décision publique. C’est un enjeu essentiel dans la confiance des citoyens vis-à-vis de leurs responsables publics et une reconnaissance de la légitimité de cette activité, qui doit s’exercer dans un cadre déontologique clair.
Cependant, le décret de mise en œuvre paraît en deçà de l’intention du législateur, comme l’ont observé de nombreux spécialistes de ce sujet. Nous nous efforçons de convaincre le gouvernement d’en modifier quelques dispositions. J’espère que nous serons entendus. Sur le critère de l’initiative, comme sur celui du nombre d’actions ou de l’appréciation de l’action de représentation d’intérêts au niveau de la personne physique ou de la personne morale, nous souhaiterions que ces mesures soient revisitées, tellement ce dispositif peut être facilement contourné.
Le répertoire doit s’ouvrir en 2022 aux collectivités locales. Etes-vous prêt ?
La haute autorité veut avant tout être à la hauteur des enjeux de transparence que soulèvera une telle évolution du dispositif. Nous avons d’ailleurs soutenu un amendement qui proposait le report de cette extension, pour nous donner le temps de dresser un bilan de la mise en place du répertoire à l’échelle nationale et de réaliser une étude de l’extension de ce répertoire au niveau local.
A ce stade, la loi prévoit une extension qui ferait du répertoire français l’un des plus étendus du monde : il pourrait couvrir environ 19 000 responsables publics, contre environ 11 000 responsables nationaux à l’heure actuelle. L’étude en cours est réalisée en concertation avec les associations d’élus et une petite dizaine de collectivités. Il s’agit de partir de leurs expériences pour faire des propositions et des recommandations. L’objectif est de s’assurer que le dispositif est lisible et opérant.
Il est trop tôt pour se prononcer précisément sur les conclusions de l’étude, mais nous voulons délimiter davantage les décisions concernées, pouvoir définir des seuils de collectivités territoriales et les secteurs d’activités les plus à risques au niveau local pour lesquels les actions de représentation d’intérêts doivent être strictement encadrées : certains secteurs apparaissent particulièrement sensibles, comme ceux des transports, de l’environnement, de la gestion des déchets ou de l’eau et, bien sûr, tout ce qui concerne les travaux et les bâtiments publics. Il faudrait sûrement les prioriser.
L’année 2020 a été l’occasion d’un renouvellement des élus municipaux et communautaires et, donc, pour la HATVP, des déclarations d’intérêts et de patrimoine. Quel est le bilan de cette campagne déclarative ?
Le bilan est contrasté. Si, aujourd’hui, nous constatons un taux très satisfaisant de respect des obligations déclaratives, de l’ordre de 99 %, ce résultat n’a pu être obtenu qu’après un travail de relance très soutenu de la part de la haute autorité. A l’issue des délais légaux, seuls 47% des maires et 39 % des adjoints avaient déposé leurs déclarations. La crise sanitaire peut expliquer cette situation en partie, mais il est nécessaire de sensibiliser davantage les élus à leurs obligations déclaratives. A l’avenir, ils s’exposeront à des sanctions, puisque, dès les prochaines élections départementales et régionales, un élu qui n’aura pas déposé sa déclaration de patrimoine sera privé du remboursement de ses frais de campagne.
Une simplification du dispositif est probablement souhaitable : les élus ne comprennent pas toujours la nécessité, pour eux, de déposer plusieurs déclarations d’intérêts. Ils présentent une première déclaration en tant que maire, mais, s’ils président une intercommunalité, ils doivent soumettre une autre déclaration d’intérêts. Nous sommes en train de regarder avec les pouvoirs publics si l’on ne pourrait pas avoir une déclaration d’intérêts unique.
Les élections régionales et départementales vont aussi entraîner une salve de déclarations, dont celles liées à la fin des mandats…
Les conseillers régionaux et départementaux devront adresser à la Haute Autorité leurs déclarations de situation patrimoniale de fin de mandat dès le 24 avril 2021. Le contrôle des déclarations de situation patrimoniale, déposées au début et à la fin du mandat, vise à s’assurer du respect des obligations de sincérité, de complétude et d’exhaustivité et détecter ainsi un éventuel enrichissement illicite.
Les situations anormales à l’issue de ce contrôle sont rares et les transmissions au parquet à partir des constatations que nous pouvons faire sont très minoritaires. C’est plutôt encourageant et réconfortant. Dans leur très grande majorité, les élus respectent leurs obligations déclaratives et font preuve de la probité nécessaire dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions.
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