L’Europe se trouve aujourd’hui à la croisée de chemins. Les différentes crises que l’UE a connu requièrent aujourd’hui une solution politique. C’est pour cela que nous croyons que l’Europe doit placer ses valeurs fondamentales au cœur de sa politique. Nous doutons que ces traités de commerce de nouvelle génération soient bénéfiques à l’ensemble de la société. L’Europe a besoin d’étayer son économie en renforçant les droits sociaux, économiques, environnementaux et du travail, et non pas seulement en élargissant ses marchés.
C’est en ces termes que quarante villes européennes de neuf pays différents ont jeté les bases d’une alliance publique locale contre la nouvelle génération des traités de libre-échange (Tafta, Ceta, Tisa, etc), vendredi 22 avril à Barcelone.
Qu’elles soient ou non issues des plus de 1 600 collectivités européennes ayant déjà fait voter des délibérations hors-TAFTA, ces autorités locales ont décidé de s’unir pour davantage se faire entendre dans les négociations.
A défaut d’avoir pu co-construire les différents mandats de négociation de la Commission européenne avec les Etats membres, elles souhaitent aujourd’hui entamer un rapport de forces pour obtenir la suspension des négociations et l’exclusion des services publics d’un éventuel accord.
D’autres collectivités prochainement adhérentes ?
Selon l’organisateur, Pablo Sánchez Centellas, directeur des relations internationales de Barcelone,une quinzaine d’autres collectivités souhaitant se soustraire de « l’agenda de dérèglementation que porte l’Organisation mondiale du commerce et la Commission européenne » se seraient déjà manifestées pour adhérer à ce mouvement.
Alors que la mobilisation des collectivités – jusqu’ici concentrée en Allemagne, Autriche, France et Espagne – se propage aujourd’hui à la Grèce, l’Angleterre ou l’Irlande, Pablo Sánchez Centellas espère rallier les villes de Milan, Munich, Edimbourg, ou encore la région Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon, qui ont également pris position contre ce traité.
Au cours de cette première rencontre pan-européenne, les élus et fonctionnaires présents se sont accordés sur la nécessité « d’impulser des campagnes publiques plus percutantes. » Aujourd’hui encore, au-delà du cercle de convaincus, tout un pan de la population européenne ne connaît effectivement pas le moindre fondement du traité transatlantique, le plus célèbre de tous bien qu’encore en négociations.
Mais, outre sensibiliser le grand public, l’idée est donc aussi d’apprendre à collaborer pour gagner en efficacité auprès de la Commission européenne. Se targuant de représenter des centaines de milliers, voire des millions d’habitants qui les ont élus, les mairies de Barcelone comme de Madrid appellent, sur un ton quasi-belligérant, à faire ingérence dans les négociations.
D’autant plus que « la Commission européenne a lamentablement ignoré l’avis du Comité des Régions et n’invite les collectivités que pour la forme, sans les écouter » témoigne le directeur des relations internationales de la capitale Catalane.
Développement et emploi local
Estimant que le sujet affectait non seulement les collectivités européennes mais aussi les autorités américaines, ce cadre territorial a rapidement donné la parole à Sharon Treat : « il existe une grande opposition aussi de l’autre côté de l’Atlantique, dans l’Etat du Maine – composé principalement de petites villes – d’où je viens, mais aussi dans des zones couvrant New York, San Francisco, Miami ou encore Seattle. Sachez que les municipalités américaines essaient, elles aussi, de stopper ces traités empêchant les élus de dépenser l’argent des contribuables pour soutenir le développement local et l’emploi local. Gardez également en tête que nous avons le soutien des quatre candidats en lice à l’élection présidentielle », relaie cette membre de « Maine Citizen Trade Policy Commission », en introduction des débats.
« La ville de Madrid partage cette préoccupation, mais aussi cette volonté de collaborer avec les autres territoires. Nous ne consentons pas que de tels traités puissent être négociés sans même que ne soient impliqués les groupes sociaux potentiellement affectés », appuie Carlos Sanchez Mato, conseiller économie de la mairie de Madrid.
« Vous pouvez compter sur le soutien de Vienne, dont les élus sont déterminés à lutter contre le TTIP ainsi que tous les autres traités attaquant les services publics. Il est inimaginable de mettre en danger un système qui fonctionne, comme nos projets de logements sociaux qui accueillent déjà 62% de la population et que la ville continue à construire », témoigne un membre du conseil municipal de la ville de Vienne (Autriche).
Mobilisation transpartisane
« Dans ma ville, 25% des habitants sont sous le seuil de pauvreté,tandis que 60% des jeunes sont au chômage. La plupart de ces problèmes découle de ce type de traités de libre-échange. Nous ne parviendrons à changer ces mécanismes qu’en nous alliant. A nous de ne pas suivre le chemin proposé par la Commission européenne, qui oppose déjà les Etats membres entre eux », avertit un élu d’une petite ville située près d’Athènes.
Un rassemblement qui a déjà eu lieu à la ville de Bruxelles – siège des institutions européennes : « Une majorité alternative s’est dégagée au sein du conseil municipal, nombre de partis démocrates souhaitent protéger le niveau communal qui est le premier niveau de pouvoir, celui de la proximité. Concrètement, notre souhait de devenir une ville « Zéro pesticides » pourrait être anéanti si le TTIP venait à être ratifié », s’inquiète Didier Wauters, conseiller municipal d’opposition.
Politiques de proximité
Au cours de l’après-midi, plusieurs participants non-élus ou ne disposant pas d’un pouvoir du maire ont également pris la parole afin de poser les conditions d’un éventuel ralliement futur.
« Nous avons une longue tradition de décentralisation en Allemagne et directement accès à la Commission européenne, alors nous n’avons pas jugé utile, pour l’heure, de déclarer Cologne hors-TTIP. Nous n’en sommes pas moins vigilants et aujourd’hui pleinement préoccupés », contextualise un fonctionnaire territorial au bureau des relations internationales : « c’est pourquoi je propose d’insérer l’idée que le mandat doive être réexaminé afin que toutes les parties prenantes – dont les autorités locales – puissent être entendues. Expliquer comment le processus de négociations pourrait redevenir légitime aux yeux des collectivités facilitera le recrutement d’autres collectivités. »
« Il est de notre rôle de contrer la stratégie de la Commission européenne visant à nous empêcher de bâtir des politiques de proximité, d’inclure des clauses sociales et environnementales dans les marchés publics, par exemple. Mais cette démarche doit rester positive. Nous aimons le libre-échange, la libre-circulation des personnes, l’ouverture à l’autre, nous recevons beaucoup de touristes ainsi que de nombreux Erasmus, et nous continuerons à le faire », nuance, à son tour, le maire de Vinaros, commune située près de Valence (Espagne).
Solutions alternatives
A leurs yeux, la déclaration de Barcelone doit insister sur le fait que les collectivités hors-TAFTA sont porteuses de solutions et sont prêtes à réinventer les politiques commerciales.
« Il ne faudrait pas seulement se battre contre la libéralisation du commerce international, mais aussi introduire la nécessité de devoir encourager le commerce juste. Il faut bien faire comprendre que nous ne sommes pas contre le développement économique, mais simplement pas à n’importe quel prix » exhorte le maire de Birmingham (Angleterre).
« Nous devons nous donner les moyens de dépasser la simple opposition au TTIP et de bâtir un contre-discours séduisant. C’est à nous de poser les bases de ce que doit être l’Europe des élus locaux, une coopérative de villes solidaires plutôt que des territoires en compétition », harangue Pablo Munoz, représentant de la commune de Saragosse qui envisage, elle aussi, de voter une motion hors-TAFTA.
Afin de rendre opérationnels ces premiers échanges, il appelle à multiplier sans attendre, tant qu’il est encore temps « les initiatives concrètes, les politiques publiques alternatives qui pourraient être, demain, interdites. »
De quoi redonner espoir à la directrice de l’AITEC et co-animatrice de la campagne française « Stop Tafta », Amélie Canonne : « cette déclaration – bien qu’elle n’engage pas toutes les collectivités – aidera à populariser notre campagne auprès des citoyens peu sensibilisés. Ce sera également un outil précieux pour élargir la mobilisation à d’autres pays moins décentralisés, notamment ceux d’Europe de l’Est. »
Un second sommet pan-européen à Grenoble ?
Contraintes géographiques oblige, peu de collectivités françaises étaient présentes aux rencontres barcelonaises. La plupart des territoires représentés les 21 et 22 avril étaient des autorités locales espagnoles. Mais c’était sans compter sur la ville de Grenoble, qui avait envoyé son conseiller municipal et communautaire ayant porté le vœu hors-TAFTA, Alan Confesson, lui-même accompagné de Laure Broni, responsable du Centre d’information Europe Direct (CIED) à la Maison de l’international grenobloise.
Si ces derniers sont principalement venus pour rencontrer d’autres collectivités sensibilisées aux problématiques que poserait le TTIP, ils ont également pu revenir sur l’engagement de leur ville.
« Au-delà du vote en conseil municipal, nous avons notamment organisé un grand débat public pour sensibiliser les citoyens, surtout les plus jeunes au sein de toute l’agglomération grenobloise », énonce Laure Broni.
Pragmatisme – Un engagement de la ville contre le TTIP expliqué par l’élu de la majorité comme une volonté de vouloir changer « un système qui ne fonctionne pas. Depuis des années, la Commission européenne dérèglemente et complique toute forme d’appropriation publique. Il est temps de réfléchir sur les alternatives possibles, comme l’autorisation du soutien à l’agriculture locale, la traçabilité des repas dans les cantines scolaires ou encore la remunicipalisation de services publics ».
Car pour Alan Confesson, c’est le pragmatisme qui doit primer et ce, au-delà des opinions politiques. Une envie de rassemblement qui pourrait bien être concrétisée par l’organisation, avant l’été 2016, d’une 2ème rencontre internationale à Grenoble à l’occasion de la présentation du CETA au Conseil européen pour ratification.
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Traité transatlantique : les collectivités locales en alerte
Sommaire du dossier
- Etats-Unis et Europe s’attaquent au secteur public local pour conclure le « Tafta »
- Traité transatlantique : « il est impératif de respecter l’autonomie des collectivités » rappelle Philippe Laurent
- A Barcelone, des collectivités européennes s’allient contre le TAFTA
- Tafta : les acteurs locaux s’emparent d’un dossier brûlant
- Le front de contestation contre le traité transatlantique s’élargit
- Le tissu économique local est-il menacé par le Tafta ?
- « Les élus locaux ont les moyens de limiter les effets du libre-marché » – Pierre Bauby
- Traité transatlantique : ce qui pourrait changer (ou pas)
- Tafta : un réel danger pour nos marchés publics
- « Rien ne forcera les élus locaux à privatiser leurs services publics » – Cecilia Malmström, commissaire chargée du Commerce et du TTIP
- « Nos choix démocratiques ne doivent pas être remis en cause » – Matthias Fekl, secrétaire d’Etat chargé du Commerce extérieur
- Les collectivités européennes souhaitent protéger les services publics du TTIP
- Traité transatlantique : la Commission européenne cherche à rassurer les élus locaux