Alors qu’une nouvelle phase de libéralisation des échanges s’engage, les collectivités territoriales refusent d’être de nouveau exclues des négociations commerciales internationales. Elles souhaitent faire entendre leurs voix dans la négociation de plusieurs traités, aux visées semblables mais aux acronymes plus complexes les uns que leurs autres (Tafta, Ceta, TPP, Tisa, etc).
Pour les y aider, le Conseil des communes et Régions d’Europe (CCRE) – réseau qui regroupe une soixante associations d’élus locaux – a diffusé début juin une note assez radicale aux 150 000 collectivités territoriales qu’il représente. Une note sans concessions vis-à-vis des négociateurs de la Commission européenne et du ministère du Commerce américain, qui fait état de leurs principales doléances.
« Le CCRE n’est pas une association partisane ! Si notre position a un caractère politique affirmé, elle n’est en aucun cas politicienne » se défend son secrétaire général, Frédéric Vallier. « Nous ne demandons pas aux élus de voter des délibérations ‘hors-TAFTA’ relevant parfois plus de l’idéologie qu’autre chose, nous les appelons simplement à être plus que vigilants alors que les négociateurs semblent disposés à rouvrir certaines boîtes de Pandore – comme le droit de remunicipaliser la gestion de l’eau – pour lesquelles les batailles au niveau européen avaient été vives ! »
Institutionnalisation du libre-échange
Ces accords économiques d’un nouveau genre revêt une dimension commerciale certaine, mais comporterait également selon lui d’importants enjeux démocratiques. A l’instar du Tafta, les négociateurs et promoteurs tenteraient d’institutionnaliser le libre-échange. Inquiètes pour les droits des collectivités si ce régime politico-juridique international venait effectivement à voir le jour, le CCRE réclame donc la pleine attention de ses membres.
Anticipant l’impact du traité transatlantique sur le fonctionnement quotidien des collectivités, leur document de six pages doit servir de base aux prochaines actions de lobbying des élus locaux et des conseillers du CCRE. L’association française du CCRE, dont le président délégué est Philippe Laurent, s’en est ainsi servi pour éditer sa propre analyse qu’il a partagé depuis aux associations d’élus (AMF, AMGVF, ARF, etc).
La Commission européenne, officiellement chargée de négocier cet accord de libre-échange de nouvelle génération, en recevra copie dans les tous prochains jours. Aux yeux des représentants des collectivités, un tel accord ne doit en aucun cas empêcher les autorités publiques de réglementer et d’agir dans l’intérêt général, ni de définir des politiques publiques ou de mettre en place des services publics répondant aux besoins et attentes des citoyens.
Reconnaissant l’opportunité sur le plan économique de créer un marché commun et ouvert entre les deux premières puissances économiques mondiales, ils appellent donc les négociateurs à « prendre dûment en considération les modèles respectifs de services publics de l’UE et des Etats-Unis. L’ouverture des marchés publics et la levée des barrières commerciales ne sont pas des fins en soi : elles ne doivent pas être dommageables pour les autorités locales et régionales, les PME et les citoyens. »
Exclusion des services publics du champ d’application du TTIP
Car, et c’est toute la force du message du CCRE adressé à la Commission européenne, la négociation d’un bon accord implique de faire valoir ses points forts mais aussi de se protéger : « il ne faut pas perdre de vue les conséquences d’un marché libre, déréglementé et irréversible pourrait avoir sur l’autonomie des autorités locales et régionales, menaçant leur aptitude à remplir leurs obligations de prestations de services publics. »
Alors que la baisse des dépenses publiques affecte déjà les marges de manœuvre de certaines collectivités, ces dernières ne doivent pas voir leurs compétences et donc « leurs capacités à protéger les intérêts supérieurs des citoyens » remises en question par le biais de telles négociations.
Pour se prémunir de tout risques, le CCRE préconise d’exclure l’ensemble des services publics, régaliens ou non, du champ d’application du TTIP. Ne se contentant pas des promesses orales de Cécilia Malmström ni de la « liste parcellaire » réalisée par la Commission européenne comportant quelques exemptions ici et là, Frédéric Vallier et son équipe ont déjà mobilisé leurs réseaux à Strasbourg pour obtenir gain de cause.
Première once d’espoir : si elle n’a aucune valeur contraignante vis-à-vis de la Commission européenne, la résolution du député européen Bernd Lange, adoptée le 28 mai par la commission du Commerce international, reprend mot pour mot cette « ligne rouge » soufflée par les représentants des collectivités.
Alors que les critiques ne cessent de grandir au sein du Parlement européen au point aujourd’hui de menacer la coalition entre conservateurs, libéraux et sociaux-démocrates, l’examen en session plénière – initialement prévu le 10 juin – a finalement été repoussé au 29 juin par le président Martin Schulz.
Autres revendications des collectivités visant à protéger la chose publique : inscrire dans le cadre légal européen le droit de « déroger aux règles du marché intérieur et de la concurrence pour des raisons d’intérêt général. » Par-delà ce souhait peut-on lire la volonté des collectivités territoriales passant des marchés publics de pouvoir « conserver la possibilité de définir des critères qualitatifs dans les appels d’offres et les cahiers des charges. »
Préserver la notion d’intérêt général
« La dérèglementation ne doit pas empêcher les élus locaux de choisir la manière de délivrer des services publics. Le cas échéant, nous craignons qu’une entreprise puisse remettre en cause une politique de développement local mise en oeuvre par une collectivité n’ayant pas joué le « jeu » du libre-échange et la contraigne à retenir ensuite le prestataire le moins-disant » illustre Frédéric Vallier, par ailleurs ancien directeur du service Europe de la ville de Nantes.
Dans la même logique, le CCRE alerte sur les « soi-disants mécanismes de protection des investisseurs » (RDIE, ou ISDS en anglais), estimant que ces outils juridiques pourraient se révéler « fortement préjudiciables » pour les collectivités accusées de faire obstacle à la libéralisation du commerce. Contrairement aux ONG et à une partie de la société civile, ils ne réclament toutefois pas l’exclusion d’un tel principe dans le TTIP.
Après avoir pris note des projets de la Commission européenne ainsi que du secrétaire d’Etat français Matthias Fekl de réformer ces tribunaux d’arbitrage appelés à statuer sur les différends entre investisseurs et Etats, les représentants des collectivités attendent désormais des annonces concrètes. Pour eux, les investisseurs mécontents ne doivent pas avoir le droit de dénoncer des décisions publiques pour un motif fallacieux, ni d’empêcher les collectivités d’accomplir leurs missions de service public.
Sur le volet de l’avenir des barrières non-tarifaires et de la coopération règlementaire, le CCRE se montre moins ferme. Objectif : l’encadrer correctement pour ne pas offrir la possibilité aux investisseurs de « contourner les assemblées législatives et règlementaires légitimes » et ainsi de porter atteinte à la souveraineté des autorités publiques.
Pour cela, le traité transatlantique auquel adhérerait le CCRE devra « réaffirmer le droit des collectivités de décider d’établir des standards plus stricts quand cela est nécessaire pour des considérations d’intérêt général. »
Références
- "Les engagements du TTIP doivent respecter l’autonomie locale et régionale" - Prise de position du CCRE
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Traité transatlantique : les collectivités locales en alerte
Sommaire du dossier
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- Le front de contestation contre le traité transatlantique s’élargit
- Le tissu économique local est-il menacé par le Tafta ?
- « Les élus locaux ont les moyens de limiter les effets du libre-marché » – Pierre Bauby
- Traité transatlantique : ce qui pourrait changer (ou pas)
- Tafta : un réel danger pour nos marchés publics
- « Rien ne forcera les élus locaux à privatiser leurs services publics » – Cecilia Malmström, commissaire chargée du Commerce et du TTIP
- « Nos choix démocratiques ne doivent pas être remis en cause » – Matthias Fekl, secrétaire d’Etat chargé du Commerce extérieur
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