Le président de l’Assemblée des départements de France Dominique Bussereau (LR) ne masque pas son inquiétude. Pour lui, l’arrivée du FN à la tête de certains exécutifs régionaux « créerait un bouleversement effroyable » : « Les conférences territoriales de l’action publique, sans lesquelles les régions ne peuvent pas fonctionner, risquent d’être bloquées. Depuis la réforme territoriale, tout projet important suppose en effet un accord entre collectivités. Or, je vois mal Martine Aubry aller demander de l’argent à Marine Le Pen. »
Un constat qui vaudrait aussi, à coup sûr, pour le patron de la métropole Nice-Côte d’Azur, Christian Estrosi (LR) et Marion Maréchal Le Pen, tête de liste (FN) en Provence-Alpes-Côte d’Azur
Si le FN l’emportait en Nord-Pas-de-Calais / Picardie et en PACA, voire en Alsace / Champagne-Ardenne / Lorraine ou en Bourgogne / Franche-Comté, la philosophie de la réforme territoriale serait mise à mal. Sous l’égide de la ministre de la Décentralisation Marylise Lebranchu, le gouvernement a, en effet, tenté le pari de l’intelligence locale et du consensus. Ce dispositif a fait ses preuves en Bretagne, au moment le PS y détenait la grande majorité des collectivités. Résisterait-t-il, ailleurs, à l’arrivée du FN ?
Budgets de 2 à 3,5 milliards
L’enjeu est de taille. Les budgets des régions « Grand Est », PACA et « Grand Nord» se situent entre 2 et 3,5 milliards d’euros. Difficile pour les collectivités des territoires concernés de faire sans elles. Particulièrement à l’heure de la baisse drastique des dotations de l’Etat…
Le président (Divers gauche) du Grand Dunkerque, Patrice Vergriete est pourtant catégorique : « Il est hors de question que je travaille avec Marine Le Pen ! ». « Les techniciens de ma collectivité parleront alors avec ceux du conseil régional. On verra si nos projets seront financés », ajoute-t-il.
La région apporte une part importante des financements des projets du Grand Dunkerque. Pour le projet DKplus, qui vise notamment à développer l’usage des transports en commun sur ce territoire de près de 200 000 habitants et représente un investissement total de 60 millions d’euros, sa part s’élève à 14 millions d’euros. Soit 23%.
Déjà, la modification de l’assiette du versement transport avait entrainé une première tension sur le financement de ce projet. Le Grand Dunkerque a dû compenser ce manque à gagner. Que pourrait décider un exécutif régional FN ? Difficile de savoir, tant ce parti s’est peu prononcé sur le thème des transports. Domaine qui représente pourtant le premier poste du budget régional…
Fusion à haut risque
L’inquiétude est présente. Philippe Eymery, élu FN au Grand Dunkerque et numéro deux sur la liste régionale FN conduite par Marine Le Pen, a voté contre le projet DKplus en conseil communautaire. Chercherait-il, en cas de victoire le 13 décembre, à bloquer ce financement ? Difficile à dire.
S’il l’emportait, le FN devrait ainsi se frotter à des problématiques nouvelles pour lui. En Alsace / Champagne-Ardenne / Lorraine, le chef de file du Front National, Florian Philippot, devrait mener la fusion entre les trois anciennes régions. Une opération qu’il a toujours combattue.
Mutualisation des services, fusion des budgets, harmonisation des politiques publiques : ce chantier est titanesque. « Des cadres de ces régions vont partir et le FN ne parviendra pas à les remplacer. Les bourdes s’enchaîneront. Les autres collectivités se feront un plaisir de trainer ces régions devant les tribunaux administratifs », prédit un haut-fonctionnaire d’Etat.
Un point de vue qu’infirme un proche de la tête de liste Marion Maréchal Le Pen (FN), cité dans Le Monde : « On reçoit des paquets de CV de gens qui ont un très bon niveau d’études, travaillent dans l’administration territoriale, dans d’autres départements ou dans des grandes villes ».
Les pleins pouvoirs en matière de développement économique
Si le FN l’emporte le 13 décembre, sa crédibilité sera particulièrement jugée à l’aune du développement économique. Dans ce domaine, la loi NOTRe du 7 août 2015 élève les régions au rang de véritables chefs de file.
Ces collectivités bénéficieront aussi, à compter de 2017, d’environ 4 milliards d’euros supplémentaires, issus de la part départementale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Elles verront en conséquence leur budget consacré au développement économique tripler par rapport à 2013 (2 milliards d’euros, soit 7 % du budget total).
« La région est seule compétente pour définir les régimes d’aides et pour décider de l’octroi des aides aux entreprises », rappelle Thomas Collin, administrateur territorial, enseignant à l’IEP de Lille et spécialiste des questions régionales. De plus, les régions peuvent également participer au capital de sociétés commerciales, de capital-investissement ou ayant pour objet l’accélération du transfert de technologies.
Surtout, les autres collectivités ne peuvent plus faire ce qu’elles veulent en matière de développement économique. Selon la loi NOTRe, leurs actes doivent être désormais compatibles avec le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation défini par leur région. Autrement dit, les orientations stratégiques d’une région revêtent désormais un caractère opposable.
« Le renforcement de la portée juridique des schémas régionaux joue un rôle significatif dans la montée en puissance de la région », insiste Thomas Collin. Ce nouveau pouvoir oblige aussi.
En Nord-Pas-de-Calais-Picardie, où les attentes en matière d’emploi et de développement économique sont énormes, le Front National n’aurait pas le droit à l’erreur.