Le juge Yannick Le Goater, en charge de ce dossier hors norme dans lequel plus d’une centaine de personnes, proches des victimes, se sont portées parties civiles, a signé lundi 26 août 2013 l’ordonnance de renvoi qui confirme les principaux chefs de mise en examen qui avaient été retenus au cours de l’instruction de trois ans et demi : homicides involontaires et mise en danger de la vie d’autrui.
Le 28 février 2010, 29 habitants de la Faute-sur-Mer (Vendée), pour beaucoup des retraités, mais aussi certains de leurs petits-enfants venus passer quelques jours de vacances, avaient été piégés dans la nuit, dans leurs maisons construites récemment dans une zone submersible de la commune, les volets électriques de leurs demeures ayant été rendus inopérants par l’eau.
Parmi les cinq personnes renvoyées devant le tribunal correctionnel figurent, outre le maire René Marratier, deux de ses adjoints, ainsi qu’un promoteur immobilier local et un fonctionnaire de l’ancienne Direction départementale de l’Équipement.
« Nous ressentons du soulagement : il va y avoir un procès ; donc, il y aura des réponses aux questions qui se posent… On verra bien s’il y a des responsables désignés », a déclaré mardi 27 août 2013 Renaud Pinoit, président de l’Association des victimes des inondations de La Faute-sur-Mer et de ses environs (Avif). Car là est le point central de ce procès : qui va être déclaré responsable de ce drame humain ?
Responsabilité du fait de permis de construire illégaux ? – Concernant les permis de construire délivrés dans cette zone submersible, tout semble s’orienter vers une responsabilité partagée entre le maire et l’Etat.
Concernant la responsabilité du maire en matière d’urbanisme, la défense devra prouver que le maire ignorait que cette zone risquait des inondations. Délicat quand on sait qu’une étude de la direction départementale de l’Equipement précisait que cette commune était construite « sur de vastes espaces gagnés sur la mer, ne tenant pas compte de la mémoire du risque » et qu’un courrier du préfet de Vendée, Jean-Jacques Brot, aurait été remis au maire lui demandant d’interdire, dans l’attente de rapports conjoints des ministères de l’Equipement et de l’Intérieur, toute nouvelle construction sur la commune et de fermer le camping municipal « La Côte de Lumière », construit sur le domaine public maritime.
Or, la connaissance des risques de cette zone pourrait coûter cher au maire de la Faute-sur-Mer comme au maire de Chamonix, qui avait été condamné le 17 juillet 2003 par le Tribunal correctionnel de Bonneville à trois mois de prison avec sursis pour « homicides et blessures involontaires » après la mort de douze personnes dans l’avalanche de Montroc, en février 1999. Le juge avait estimé que le risque d’avalanche était connu de tous, et particulièrement du maire, qui n’avait pourtant pas pris de mesure d’évacuation.
Mais, si le maire a signé les permis de construire des lotissements litigieux en connaissance de cause, ces autorisations semblent avoir été préalablement validées par les services de l’Etat. Le préfet aura-t-il manqué à son contrôle de légalité ?
L’avocat du maire, Me Olivier Metzner allait même plus loin, en confiant en 2011 à l’AFP, que « Les permis de construire signés par M. Marratier ont tous été validés par les juridictions administratives ». La faute au juge administratif, alors ?
Le juge pénal a jusqu’à la mi-2014 pour en décider.
Les conditions de la mise en jeu de la responsabilité pénale du maire
L’homicide involontaire est défini à l’article 221-6 du Code pénal comme le fait de causer, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui. Une telle infraction est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, ces peines étant portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende en cas de violation « manifestement délibérée » d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.
« Précautions convenables » – Le maire est principalement concerné par ses dispositions pénales. Il est en effet investi d’un pouvoir de police administrative général par l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, afin « d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques » et notamment de prévenir les accidents et catastrophes par « des précautions convenables ».
En 1996, le législateur a introduit un nouvel alinéa à l’article 121-3 du Code pénal, afin que la condamnation ne soit possible, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, que « s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ».
A l’initiative du sénateur Fauchon, la loi du 10 juillet 2000 est venue ajouter un nouvel alinéa à l’article 121-3, qui concerne les auteurs indirects de l’infraction, c’est-à-dire « les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter ».
Auteur indirect et faute qualifiée – Les décideurs publics sont presque toujours poursuivis comme auteurs indirects de l’infraction : il leur est alors reproché de ne pas avoir pris les mesures de police ou de sécurité qui auraient permis que le dommage de la victime n’advienne pas.
Ces auteurs indirects ne sont pénalement responsables, selon les termes de la loi Fauchon, que s’ils ont commis une faute « qualifiée », c’est-à-dire s’ils ont « soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ».
La première hypothèse est protectrice des élus et agents locaux : le juge doit non seulement identifier le texte précis que le prévenu a violé, mais également acquérir la conviction que cette violation fut manifestement délibérée, ce qui réintroduit une notion d’intentionnalité dans le délit non intentionnel.
La seconde hypothèse prend des contours plus flous. Pour revêtir les traits d’une faute caractérisée, certains juges ont considéré que « la constance de la faute reprochée doit être bien établie, elle doit correspondre à un comportement présentant un caractère blâmable, inadmissible » (CA Poitiers, 2 février 2001, n° 2001-140967).
Le défaut d’alerte : le précédent du Pourtalès – Quelques heures avant le drame de la Faute sur mer, le maire a reçu une lettre circulaire préfectorale indiquant « un risque de submersion des rivages». Des faits qui rappellent le drame du Pourtalès.
A l’été 2001, la chute d’un arbre lors d’un concert dans le parc du Pourtalès avait entraîné la mort de 13 personnes et fait une centaine de blessés.
La ville de Strasbourg, poursuivie en tant que personne morale, avait été reconnue coupable, le 27 mars 2007, d’homicides et de blessures. Le tribunal correctionnel l’avait alors condamnée à 150 000 euros d’amende.
Selon les juges, « l’annonce de vents en rafales […] aurait dû conduire à l’annulation par la ville, en sa qualité d’exploitante du site et d’organisatrice des spectacles ».
Tout en établissant que les causes directes de l’accident ont été l’orage et les vents violents, le tribunal avait néanmoins pointé « des erreurs d’organisation, des défauts de surveillance et des défaillances de contrôle » de la ville, « de multiples négligences et le non-respect de la réglementation ».
Egalement saisi, le juge administratif avait relevé que la ville s’était abstenue d’exploiter le bulletin d’alerte météorologique et d’user de ses pouvoirs de police pour en interdire l’accès et annuler le spectacle.
Des dysfonctionnements avaient été relevés dans l’organisation de la collectivité, entre le service destinataire du bulletin météorologique et celui chargé du festival. Le tribunal avait en conséquence, retenu des négligences, des infractions, ainsi que des carences dans l’exercice du pouvoir de police engageant la responsabilité de la commune.
Références
TA Strasbourg, 6 avril 2010, req. n° 0601669,0601668 et suivantes
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