Grand spécialiste des collectivités, le politologue Romain Pasquier est titulaire de la chaire « Territoires et mutations de l’action publique » à l’IEP de Rennes. Il vient de diriger avec Tudi Kernalegenn un essai collectif sur « 30 ans de démocratie régionale » (Editions Berger-Levrault).
Les équilibres entre les anciennes régions ont-ils pesé dans la constitution des listes et des exécutifs des nouveaux grands ensembles ?
Oui, ils ont mĂŞme primĂ© sur les considĂ©rations purement politiques. Cela n’a pas aplani les tensions entre les anciennes entitĂ©s pour autant. Je songe en particulier au Grand Est. L’Alsace, qui se situe Ă la pĂ©riphĂ©rie, capte systĂ©matiquement la prĂ©sidence. Elle est un facteur de dĂ©sĂ©quilibre important au sein de la nouvelle rĂ©gion, car elle possède une identitĂ© forte et qu’elle est plus peuplĂ©e et plus riche que la Lorraine et Champagne-Ardenne.
Si la fusion entre les conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin arrivait à son terme, ce phénomène serait encore amplifié. En attendant, les autres composantes cherchent à donner la main à l’Alsace pour éviter la scission. C’est tout le sens du choix d’un Alsacien, Jean Rottner (LR) pour succéder à l’automne dernier à un autre Alsacien, Philippe Richert (LR). Le patron du Grand Est est d’ailleurs lui-même un peu mal à l’aise face à ce projet de fusion. Je ne suis pas sûr que sa présence à la tête de cet ensemble garantisse à elle seule l’unité de la nouvelle région.
Qu’en est-il dans des rĂ©gions XXL comme l’Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine ?
Le caractère composite de l’Occitanie fait que sa présidente Caroline Delga (PS) ne dispose pas de l’autorité politique suffisante pour construire et mettre en œuvre des politiques vraiment régionales. Elle doit composer avec le kaléidoscope territorial au risque de l’immobilisme et du saupoudrage.
En Nouvelle-Aquitaine, le succès d’Alain Rousset (PS) aux dernières régionales a été vécu à Poitiers ou à Limoges comme une victoire de l’Aquitaine, et plus précisément de l’agglomération de Bordeaux dont le président est originaire. Le sentiment qu’il y a des gagnants et des perdants est très présent. Alain Rouset est un développeur, très implanté, très centré sur l’écosystème industrialo-économique de l’Aquitaine, sur les start-up et l’innovation. On a des déséquilibres très forts en termes d’activité économique et de représentation. La Nouvelle-Aquitaine, c’est Bordeaux et le reste du monde. Il y a un risque centripète très important.
Cet écueil a-t-il été écarté dans les Hauts-de-France ?
La rĂ©gion Picardie, qui a Ă©tĂ© fusionnĂ©e dans cet ensemble, a Ă©tĂ© Ă l’origine baladĂ©e. Dans une première version de la carte, elle ne faisait pas partie des Hauts-de-France. C’était la variable d’ajustement… La Picardie est le territoire le plus Ă©loignĂ© de la mĂ©tropole rĂ©gionale lilloise, c’est-Ă -dire de la zone la plus dynamique. Mais le fait que l’un de ses reprĂ©sentants, Xavier Bertrand (Ex-LR) prĂ©side les Hauts-de-France constitue un message en faveur de l’amĂ©nagement du territoire.
Les prĂ©sidents de rĂ©gions ont-il davantage d’influence que par le passĂ© sur la scène politique ?
On est montĂ© en gamme avec l’élection de tĂ©nors politiques comme ValĂ©rie PĂ©cresse (LR) en Ile-de-France, Laurent Wauquiez (LR) en Auvergne-RhĂ´ne-Alpes et Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France. Comme leurs collègues des mĂ©tropoles, les prĂ©sidents de rĂ©gion ont progressĂ© dans la hiĂ©rarchie des mandats. Ce mouvement s’est fait au dĂ©triment des dĂ©triments de leurs collègues de dĂ©partement.A la faveur des fusions, les prĂ©sidents de rĂ©gion sont Ă la tĂŞte de territoires plus grands, avec davantage de population et de budget. Ils exercent aussi des compĂ©tences assez appĂ©tissantes, du dĂ©veloppement aux transports, en passant par la formation professionnelle, les ports et les aĂ©roports.
Les vice-présidents de région se sont-ils aussi affirmés ?
La plupart d’entre eux sont maires d’une ville petite ou moyenne. Ils prĂ©sident Ă©galement souvent leur intercommunalitĂ©s. Ces vice-prĂ©sidents possèdent donc un Ă©ventail de compĂ©tences assez large pour les projeter dans le grand bain rĂ©gional. Ils sont de vrais professionnels de la vie locale, qui vivent très bien de la politique grâce Ă une sĂ©rie de  rĂ©gimes indemnitaires. Avec la possibilitĂ© de cumuler dans les collectivitĂ©s, se construit une filière politique locale.
Les simples conseillers régionaux, eux, peinent toujours à exister…
C’est l’effet du scrutin proportionnel. Une partie des listes est toujours issue des rangs des formations politiques. Grâce Ă cela, les partis peuvent rĂ©tribuer de bons militants qui ne possèdent pas d’ancrage local. Mais cela fragilise aussi la rĂ©gion. Pour avoir un ancrage plus marquĂ©, il faudrait un peu comme en Allemagne, ou alors dans une certaine mesure aller vers ce que prĂ©voyait le conseiller territorial, Ă savoir élire une partie des conseillers rĂ©gionaux au scrutin majoritaire.
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Qui tire les ficelles dans les collectivités territoriales ?
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