Dernière manifestation de cette cacophonie : la semaine dernière, la Mairie de Paris insistait sur une « nouvelle baisse de trafic sur les axes de report », tandis que le conseil rĂ©gional d’ĂŽle-de-France critiquait Ă la fois l’augmentation des bouchons, la dĂ©gradation de la qualitĂ© de l’air et l’aggravation de la pollution sonore.
Un comitĂ© d’Ă©valuation qui aurait Ă©tĂ© trop vite dans ses rĂ©sultats
La prĂ©sidente (LR) de la RĂ©gion, ValĂ©rie PĂ©cresse, hostile au projet, fonde sa critique sur les travaux du « comitĂ© d’experts indĂ©pendants » qu’elle a mis sur pied pour Ă©valuer l’impact de cette piĂ©tonnisation rive droite. C’est lui qui, depuis septembre, alimente la polĂ©mique au fil de la publication de ses rapports d’Ă©tape, dont le troisième a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© le 19 janvier. PrĂ©sidĂ© par Pierre Carli, mĂ©decin-chef du samu de Paris, le comitĂ© rĂ©gional rĂ©unit le Syndicat des transports d’ĂŽle-de-France (Stif), l’Institut d’amĂ©nagement et d’urbanisme (IAU), Airparif, Bruitparif et France Nature Environnement (FNE).
Or, ce comitĂ© aurait tendance Ă aller un peu vite en besogne. La Mairie de Paris lui reprochait en novembre d’utiliser « des donnĂ©es dont l’origine n’est pas prĂ©cisĂ©e ». Airparif, l’association francilienne chargĂ©e de la surveillance de la qualitĂ© de l’air, s’interroge aujourd’hui la mĂ©thode de l’IAU, en charge de la rĂ©daction des rapports Ă partir des contributions des diffĂ©rents organismes : « Ils reprennent nos donnĂ©es et cherchent Ă mettre en Ă©vidence des impacts. Mais le temps de l’expertise n’est pas forcĂ©ment celui de la communication. »
Une qualitĂ© de l’air Ă Paris difficile Ă mesurer entre l’avant et l’après fermeture des berges
Cette pratique des « experts » de l’IAU, on la retrouve dans le dernier rapport d’Ă©tape au chapitre sur la qualitĂ© de l’air. Les auteurs attirent l’attention sur une augmentation de 53% des Ă©missions d’oxyde d’azote sur les quais hauts (Concorde-Arsenal) pour septembre, octobre et novembre 2016 par rapport aux mĂŞme mois de 2015 – d’après leurs propres calculs – et de + 49% pour les particules. Ces chiffres ont Ă©tĂ© repris par la RĂ©gion dans son communiquĂ©.
Pourtant, le mĂŞme rapport prĂ©cise « l’importance des paramètres mĂ©tĂ©orologiques, plus ou moins favorables Ă la dispersion des polluants, dans les variations interannuelles. » En effet, d’après Airparif, le lien entre Ă©missions et qualitĂ© de l’air respirĂ© dĂ©pend grandement des conditions mĂ©tĂ©o. D’autre part, « les conclusions issues de comparaisons entre plusieurs mois ou annĂ©es n’ont pas de sens sans information sur l’Ă©tat initial et sans un dispositif de mesure dĂ©dié », insiste-t-on au sein de l’association.
Ce dispositif a Ă©tĂ© dĂ©ployĂ© Ă l’automne dernier. Les enseignements issues de la première campagnes de mesure ne seront dĂ©voilĂ©es qu’en mars. Dans tous les cas, ils n’autoriseront pas une comparaison de l’Ă©tat de l’air parisien avant et après la fermeture de la voie – car les donnĂ©es « avant » manquent. Ce que la rĂ©gion n’a pas pris la peine de prĂ©ciser la semaine dernière.
DĂ©saccord sur le bruit et l’allongement de la durĂ©e du temps de trajet
La Mairie et la Région sont aussi en désaccord sur les nouvelles conditions de circulation autour de la voie fermée. Pour étayer son propos, chacune a recours aux données du trafic parisien délivrées par la Préfecture de police. Problème, les deux ne considèrent pas les mêmes périodes.
La RĂ©gion s’appuie sur une comparaison des donnĂ©es de novembre 2015 et 2016 pour dĂ©montrer que le temps de parcours s’est allongĂ© sur les quais hauts de trois minutes le matin et de onze le soir en un an, une durĂ©e qu’on pourrait qualifier de raisonnable.
La Ville, elle, a prĂ©fĂ©rĂ© comparer le mois de dĂ©cembre aux trois prĂ©cĂ©dents de la mĂŞme annĂ©e pour faire apparaĂ®tre une baisse du trafic (en nombre de vĂ©hicules) sur ces mĂŞmes quais. Or, cette analyse est biaisĂ©e par la mise en place de la circulation alternĂ©e durant cinq jours en dĂ©cembre qui, comme le reconnaĂ®t la mairie, « a entraĂ®nĂ© sur cette pĂ©riode une baisse moyenne du volume de circulation intramuros de 12 %. » ForcĂ©ment.
La RĂ©gion insiste enfin sur le bruit, qui a « plus que doublĂ© la nuit sur les quais hauts » depuis la piĂ©tonnisation de la voie Pompidou. Bruitparif parle en effet d’une augmentation « significative » (de plus de 2 dĂ©cibels) pour les immeubles d’habitation situĂ©s entre le Louvre et Châtelet, entre le Pont Louis-Philippe et le Pont Marie, et entre les boulevards Henri IV et Bourdon. Mais l’association observe aussi « une diminution de l’ordre de 2 Ă 4 dĂ©cibels en façade des premiers bâtiments situĂ©s de l’autre cĂ´tĂ© de la Seine au niveau des Ă®les Saint-Louis et de la CitĂ©. » Sur la question du bruit, ils y a donc des perdants et des gagnants.
 L’indĂ©pendance toute relative du comitĂ© d’Ă©valuation
Le comitĂ© rĂ©gional d’Ă©valuation a profitĂ© de ce troisième rapport pour prĂ©senter trois scĂ©narios alternatifs Ă la piĂ©tonnisation des voies sur berge. Tous prescrivent d’y ramener les voitures. Une sacrĂ© aubaine pour ValĂ©rie PĂ©cresse, prompte Ă dĂ©fendre les automobilistes.
On peut dès lors lĂ©gitimement se questionner sur l’indĂ©pendance des « experts » de l’Institut d’amĂ©nagement et d’urbanisme, chargĂ©s du rapport et des scĂ©narios, vis-Ă -vis de la majoritĂ© Les RĂ©publicains Ă la tĂŞte du Conseil rĂ©gional. Cette fondation d’utilitĂ© publique bĂ©nĂ©ficie du financement de la RĂ©gion ĂŽle-de-France, et la prĂ©sidente de son conseil d’administration n’est autre que ValĂ©rie PĂ©cresse.
Mais davantage que la mĂ©canique institutionnelle, c’est le profil du directeur gĂ©nĂ©ral par intĂ©rim de l’IAU, Fouad Awada, qui interroge. De 1993 Ă 1998, l’homme fut directeur de cabinet du prĂ©sident de la RĂ©gion ĂŽle-de-France, Michel Giraud, Ă©tiquetĂ© RPR – l’ancĂŞtre du principal parti de droite actuel. En 2014, on retrouve Fouad Awada parmi les colistiers de Florence Berthout, la future maire du Ve arrondissement de Paris (lui ne fut pas Ă©lu). La mĂŞme Berthout Ă©lue un an plus tard Ă la RĂ©gion sur la liste de… ValĂ©rie PĂ©cresse. Question : est-il possible que le DG soit restĂ© fidèle Ă sa famille politique au dĂ©triment de l’indĂ©pendance de son institut ?
Il faudra du temps pour délivrer un verdict sérieux
Une chose reste en tout cas certaine : quatre mois ne suffisent pas pour Ă©valuer les vĂ©ritables consĂ©quences du bouclage de la voie Pompidou. « Nous rejoignons la position d’Airparif et de Bruitparif : attendre fin mars, avec le recul d’un hiver entier, pour tirer des conclusions bien Ă©tayĂ©es », confie Dominique Duval, prĂ©sidente de France nature environnement ĂŽle-de-France.
Et encore, fin mars, n’est-ce pas trop tĂ´t ? La Chambre rĂ©gionale des comptes d’ĂŽle-de-France, qui s’est intĂ©ressĂ©e Ă l’amĂ©nagement des berges rive gauche (de 2013 Ă 2015), soulignait en dĂ©cembre que « les consĂ©quences Ă long terme de cette première phase du projet d’amĂ©nagement rest[aient] Ă Ă©valuer, notamment en ce qui concerne les reports de circulation automobile mais aussi les consĂ©quences en termes de pollution sonore et atmosphĂ©rique, au-delĂ du seul pĂ©rimètre de cette opĂ©ration. » Patience, donc.