Au commencement Ă©tait l’article 77 de la loi n° 2009-1673 du 30 dĂ©cembre 2009 de finances pour 2010. Il avait prĂ©vu le transfert du produit de la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) de l’Etat aux communes et aux EPCI, tout en instaurant un mĂ©canisme de compensation, valable pour la seule annĂ©e 2011, consistant Ă diminuer les dotations globales de fonctionnement du montant de la taxe perçue par l’Etat en 2010 sur leur territoire.
Mais le ministre de l’IntĂ©rieur avait cru bon de reconduire le dispositif de compensation pour les annĂ©es 2012, 2013 et 2014… par simple circulaire !
La fin  d’un long feuilleton contentieux entre l’Etat et les collectivitĂ©s
Deux premiers revers pour l’Etat
Par une décision du 16 juillet 2014, le Conseil d’Etat (1)  considérait que le dispositif législatif mis en place pour compenser le transfert du produit de la TASCOM de l’Etat aux EPCI n’était applicable qu’au titre de la seule année 2011. Dans ce contexte, la circulaire ne pouvait pas reconduire le dispositif de compensation pour les années suivantes !
Second revers : l’article 114 de la loi de finances n°2014-1654 du 29 décembre 2014 pour l’année 2015 a reconduit le mécanisme de compensation mais uniquement pour les années suivantes, confirmant en creux l’illégalité des prélèvements préfectoraux sans bases légales entre 2012 et 2014. Aussi, dans un contexte de baisse des dotations budgétaires et dès lors que la Loi et le Conseil d’Etat leur donnaient raison, de nombreuses collectivités ont introduit des recours pour obtenir le complément de leurs dotations illégalement prélevées.
Entre fin 2015 et fin 2016, les tribunaux administratifs ont fait droit aux collectivités (2).
 Les tribunaux administratifs  ont fait prévaloir le principe de séparation des pouvoirs et le respect de la hiérarchie des normes
C’était la victoire du principe de séparation des pouvoirs et du respect de la hiérarchie des normes.
Seconde manche remportée par l’Etat
La Cour administrative d’appel de Lyon, juridiction pilote dans l’affaire TASCOM, a dĂ©cidĂ©, dans trois arrĂŞts rendus fin 2016 (3) que le Ministre de l’IntĂ©rieur Ă©tait fondĂ© Ă demander l’annulation des jugements favorables aux collectivitĂ©s… dans un considĂ©rant pour le moins Ă©tonnant :
« En supposant que la loi de finances pour 2015 aurait validĂ© rĂ©troactivement les dĂ©cisions, alors qu’elle rĂ©introduisait un mĂ©canisme de compensation TASCOM que pour l’avenir, la Cour prĂŞtait Ă©tonnement au lĂ©gislateur une intention qui n’était pas la sienne. Les dispositions de l’article 114 de la loi de finances pour 2015, loin de « rectifier une erreur lĂ©gistique », comme voudrait le croire la Cour, avait seulement pour objet de tirer les consĂ©quences de la dĂ©cision du Conseil d’Etat du 16 juillet 2014. »
On notera que la Cour considérait toutefois que la faute de l’Etat était acquise, mais pour mieux juger ensuite qu’il n’y avait pas de préjudice financier pour les requérantes. Pourtant, ne pas donner l’argent que la loi prévoit de donner reste un préjudice !
InterprĂ©tation LĂ©gistique demandĂ©e au Conseil d’Etat
Aussitôt, le Conseil d’Etat fut saisi de pourvois pour apprécier « l’interprétation légistique » de la Cour administrative d’appel de Lyon et les conséquences de la faute de l’Etat. Et alors que le Conseil d’Etat s’était déjà prononcé sur la portée du dispositif législatif mis en place pour compenser le transfert du produit de la TASCOM de l’Etat aux EPCI circonscrit à la seule année 2011, un ultime et bien tardif moyen de défense fut opposé aux collectivités.
Face à la fragilité juridique manifeste de la position de l’Etat et de la Cour administrative d’appel de Lyon, l’article 133 de la loi de finances rectificative pour 2016 (n°2016-1918) du 29 décembre 2016, a validé tous les arrêtés préfectoraux constatant le prélèvement litigieux opérés sur les dotations globales de compensation des collectivités concernées. Cette validation législative est bien la confirmation de la justesse de la position des collectivités devant le juge administratif et par conséquent, de l’erreur de droit dont sont entachées les arrêts de la CAA de Lyon. Si le législateur, ou plutôt l’Administration qui l’a inspiré, vient de se donner la peine d’opérer cette validation rétroactive, c’est bien que l’article 114 de la loi de finances pour 2015 ne l’a pas fait, contrairement à la position de la CAA de Lyon.
Indispensable QPC
Les collectivités requérantes n’ont eu d’autre choix que de déposer une question prioritaire de constitutionnalité (QPC)  cherchant à démontrer l’inconstitutionnalité de la loi de validation.
« Les dispositions de l’article 133 de la loi n°2016-1918 de finances rectificative pour 2016 du 29 décembre 2016 sont-elles conformes aux droits et libertés constitutionnellement garantis et plus particulièrement au principe de séparation des pouvoirs et au droit au recours effectif (article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen), à l’article 34 de la Constitution ainsi qu’au principe de libre administration des collectivités territoriales (articles 72 et 72-2 de la Constitution) ? ».
Par une décision du 12 mai 2017, le Conseil d’Etat a estimé que la question posée présentait un caractère sérieux et a transmis la QPC au Conseil Constitutionnel.
C’est dans ce cadre qu’intervient la décision 2017-644 QPC du 21 juillet 2017.
Le Conseil constitutionnel favorise les finances de l’Etat au détriment de celles des collectivités
Par décision 2017-644 QPC, le juge constitutionnel s’abrite derrière l’équilibre budgétaire de l’Etat et le bon fonctionnement de la justice administrative compte tenu du  risque de développement d’un contentieux de masse. Le Conseil constitutionnel juge ainsi :
« 5. Or, l’intention du lĂ©gislateur, lors de l’adoption de l’article 77 de la loi du 30 dĂ©cembre 2009, Ă©tait d’assurer de manière pĂ©renne la neutralitĂ© financière du transfert du produit de la taxe sur les surfaces commerciales. Les dispositions contestĂ©es visent donc Ă remĂ©dier, pour les annĂ©es 2012 Ă 2014, au dĂ©faut de base lĂ©gale de la compensation de ce transfert rĂ©vĂ©lĂ© par la dĂ©cision du Conseil d’État.
- En premier lieu, en adoptant les dispositions contestĂ©es, le lĂ©gislateur a entendu mettre un terme Ă l’important contentieux fondĂ© sur la malfaçon lĂ©gislative rĂ©vĂ©lĂ©e par la dĂ©cision prĂ©citĂ©e du Conseil d’État. Il a Ă©galement entendu prĂ©venir les importantes consĂ©quences financières qui en auraient rĂ©sultĂ© pour l’État. Dans ces conditions, l’atteinte portĂ©e par les dispositions contestĂ©es aux droits des communes et des Ă©tablissements publics de coopĂ©ration intercommunale Ă fiscalitĂ© propre ayant fait l’objet de ce mĂ©canisme de compensation au titre des annĂ©es 2012 Ă 2014 est justifiĂ©e par un motif impĂ©rieux d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral.
- En deuxième lieu, les arrĂŞtĂ©s prĂ©fectoraux ne sont validĂ©s qu’en tant que leur lĂ©galitĂ© serait contestĂ©e par le moyen tirĂ© de ce qu’il aurait Ă©tĂ© fait application au-delĂ de 2011 des dispositions du paragraphe 1.2.4.2 de l’article 77 de la loi du 30 dĂ©cembre 2009 et de l’article L. 2334-7 du code gĂ©nĂ©ral des collectivitĂ©s territoriales, dans leur rĂ©daction antĂ©rieure Ă la loi du 29 dĂ©cembre 2014 de finances. Par consĂ©quent, le lĂ©gislateur a prĂ©cisĂ©ment dĂ©fini et limitĂ© la portĂ©e de la validation.
- En troisième lieu, le législateur a expressément réservé les décisions de justice passées en force de chose jugée.
- En dernier lieu, les arrĂŞtĂ©s prĂ©fectoraux validĂ©s, qui avaient pour objet d’appliquer la règle de compensation financière du transfert de la taxe sur les surfaces commerciales aux communes et Ă©tablissements publics de coopĂ©ration intercommunale Ă fiscalitĂ© propre ne mĂ©connaissent ni les principes constitutionnels de la libre administration et de l’autonomie financière des collectivitĂ©s territoriales, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle.
- L’article 133 de la loi du 29 dĂ©cembre 2016, qui ne mĂ©connaĂ®t ni l’article 16 de la DĂ©claration de 1789, ni aucun autre droit ou libertĂ© que la Constitution garantit, doit ĂŞtre dĂ©clarĂ© conforme Ă la Constitution. »
Cette décision rejette ainsi la question prioritaire de constitutionnalité en reprenant en premier lieu l’argumentation selon laquelle l’intention du législateur lors de l’adoption de la loi de finances pour 2010 était bien d’assurer de manière pérenne la neutralité financière du transfert du produit de la TASCOM.
En second lieu, le Conseil constitutionnel vise expressément que l’objectif de la loi de validation était de mettre un terme à l’important contentieux fondé sur une « malfaçon législative » et de prévenir ainsi d’importantes conséquences financières qui en auraient résulté pour l’Etat.
Le Conseil constitutionnel vise expressément que l’objectif de la loi de validation était de mettre un terme à l’important contentieux fondé sur une « malfaçon législative »
Cette décision a donc pour effet direct de valider les arrêtés préfectoraux prélevant le montant de la TASCOM sur la DGF pour les années 2012, 2013 et 2014 . Elle permet ainsi aux juridictions administratives de rejeter les nombreux recours intentés par les collectivités territoriales.
Au final, c’est au Conseil constitutionnel qu’il revient de clôturer un débat juridique qui oppose les collectivités locales à l’Etat depuis maintenant trois ans… Alors que le 17 juillet 2017, le Président de la République annonce la baisse des dépenses de fonctionnement à hauteur de 13 milliards et l’exonération de la taxe d’habitation, force est de constater que les finances des collectivités se sont pas épargnées.
Domaines juridiques
Notes
Note 01 CE 16 juillet 2017, req. n° 369736 Retour au texte
Note 02 TA Grenoble, 29 octobre 2015, n°1407725 ; TA Pau, 9 février 2016, n° 1402532 - TA Dijon, 17 mai 2016, n° 1404038 Retour au texte
Note 03 CAA Lyon  27 septembre 2016, req. n° 15LY04084, Min. Intérieur c/ CC  Pays Roussillonnais - 20 décembre 2016, req. n° 16LY02396, Min. Intérieur c/ CA Chalon Val de Bourgogne - 20 décembre 2016, req. n° 16LY02397, Min. Intérieur c/ CA Mâconnais Val de Saône Retour au texte