Par souci de rapprocher la prise de décision des citoyens afin de rendre l’action publique plus efficace et adaptée aux réalités locales, l’État a progressivement transféré un grand nombre de compétences aux collectivités territoriales. De la loi Defferre en 1982 – acte fondateur du processus de décentralisation, à l’Acte II au tournant du millénaire, sans oublier la loi NOTRe en 2015, les compétences transférées ont pris une importante envergure. Éducation, transports, culture, développement économique, logement et politique de l’habitat, environnement, gestion des infrastructures, aménagement du territoire, politique sociale, urbanisme, gestion des déchets, etc. Que deviendront nos services publics si leurs plus fidèles garantes, les collectivités territoriales, succombent sous le poids d’un État défaillant ?
L’attrition des moyens humains et financiers nécessaires à la mise en œuvre des compétences transférées
L’exercice de ces responsabilités locales de plus en plus élargies a davantage révélé le problème persistant de l’insuffisance des ressources transférées par l’État. À de nombreuses reprises, les compensations promises par l’État n’ont pas été à la hauteur, créant un déséquilibre budgétaire pour les collectivités. Ce défaut de compensation va de la sous-évaluation des coûts réels liés aux compétences transférées, à l’absence totale de transfert de moyens. Le décalage comptable est frappant : la dette des collectivités est en diminution, passant de 9 % du PIB en 1995 à 8,9 % en 2023. Leurs dépenses représentent moins de 12 % du PIB contre 18 % pour la moyenne européenne, malgré l’augmentation des missions. L’adaptation dont font preuve les élus locaux est le fruit d’un dévouement admirable. Elle a toutefois un coût humain qui échappe aux calculs comptables. Ce coût se traduit par l’augmentation sans précédent de démissions d’élus locaux épuisés, « engagés mais empêchés »(1).
Libre administration et autonomie financière : les collectivités subissent pourtant les décisions unilatérales de l’État
Corollaire du principe de la libre administration, l’autonomie financière des collectivités territoriales est un principe inscrit à l’article 72-2 de la Constitution. Elle signifie que les collectivités doivent disposer de ressources propres pour financer leurs missions. Pourtant, les dernières décennies ont été marquées par une diminution progressive desdites ressources(2), ce qui a davantage fragilisé le principe constitutionnel de l’autonomie financière et exacerbé les difficultés budgétaires des collectivités, déjà bien affaiblies par les insuffisantes compensations financières de l’État.
Pour le budget 2025, c’est à nouveau « une ponction sans précédent » – une nouvelle saignée annoncée à hauteur de 5 milliards d’euros mais qui devrait doubler(3) – que le gouvernement Barnier souhaite leur imposer, sans tenir compte du vaste champ de compétences que l’État leur a progressivement transférées. Faut-il rappeler que les collectivités territoriales sont au cœur du financement de la transition écologique(4) en raison de leur rôle central dans la mise en œuvre des politiques publiques locales éminemment sociales(5) ? 60% de moins pour le fonds vert, c’est autant de moins en faveur des mobilités durables dans les zones rurales, de la prévention des inondations, des incendies, du recul du trait de côte, de la renaturation des villes et villages, de la protection des bâtiments des territoires d’Outre-mer contre les vents cycloniques, etc. Rien ne justifie cette « cure de rigueur » qu’elles s’appliquent déjà depuis des décennies en raison des règles budgétaires qui leur sont propres.
Donner de constantes marges de manœuvre aux collectivités territoriales afin d’en finir avec cette autonomie en trompe-l’œil
Le système financier local est étriqué et sous pression. À bout de souffle, son maintien en l’état affaiblit la capacité d’action autonome et restreint les marges de manœuvre pour une planification du développement local. Une réflexion collective sur le cadre institutionnel et financier s’impose pour redonner aux collectivités des leviers financiers et fiscaux d’une action autonome et pérenne. C’est pourquoi nous, élus nationaux et locaux, appelons à une Conférence nationale sur l’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales qui sont souvent en première ligne face à la demande d’un service public de qualité, aux attentes citoyennes de politiques écologiques et sociales adéquates. Sachant pouvoir compter sur nos territoires pour relever les défis démocratiques, sociaux et environnementaux, à nous de leur redonner force en vertu de nos principes républicains.
Liste des signataires
- Syamak Agha Babaei, Premier adjoint à la Maire de Strasbourg et Vice-président de l’Eurométropole de Strasbourg
- Christine Arrighi, Députée de Haute-Garonne, Commissaire aux finances
- Bertrand Artigny, Vice-Président délégué aux Finances à la Métropole de Lyon
- Clémentine Autain, Députée de Seine-Saint-Denis, Commissaire aux affaires étrangères
- Léa Balage El Mariky, Députée de Paris, Commissaire aux lois
- Lisa Belluco, Députée de Vienne, Commissaire au développement durable et à l’aménagement du territoire
- Claudine Bichet, Première Adjointe au Maire de Bordeaux en charge des finances, du défi climatique et de l’égalité entre les femmes et les hommes
- Benoît Biteau, Député de Charente-Maritime, Commissaire au développement durable et à l’aménagement du territoire
- Nicolas Bonnet, Député du Puy-de-Dôme, Commissaire au développement durable et à l’aménagement du territoire
- Cyrielle Chatelain, Députée, Présidente du groupe Ecologiste et Social
- Hendrik Davi, Député des Bouches-du-Rhône, Commissaire aux affaires sociales
- Emmanuel Duplessy, Député du Loiret, Commissaire aux lois
- Charles Fournier, Député d’Indre-et-Loire, Commissaire aux affaires économiques
- Marie-Charlotte Garin, Députée du Rhône, Commissaire aux affaires sociales
- Steevy Gustave, Député de l’Essonne, Commissaire aux affaires culturelles
- Audrey Henocque, Première adjointe au maire de Lyon en charge des finances
- Sébastien Peytavie, Député de Dordogne, Commissaire aux affaires sociales
- Marie Pochon, Députée de la Drôme, Commissaire au développement durable et à l’aménagement du territoire
- Anthony Poulin, Adjoint à la Maire de Besançon en charge des finances
- Jean-Claude Raux, Député de Loire-Atlantique, Commissaire aux affaires culturelles et à l’éducation
- Rochaud Robert, Vice-Président Budget et Finances de Grand Poitiers Communauté Urbaine
- Sandra Regol, Députée du Bas-Rhin, Commissaire aux lois
- François Ruffin, Député de la Somme, Commissaire à la défense nationale et aux forces armées
- Eva Sas, Députée de Paris, Commissaire aux finances
- Sabrina Sebahi, Députée des Hauts de Seine, Commissaire aux affaires étrangères
- Danielle Simonnet, Députée de Paris, Commissaire aux affaires culturelles et à l’éducation
- Sophie Taillé-Polian, Députée du Val-de-Marne, Commissaire aux affaires culturelles et à l’éducation
- Marie-Michelle Vialleton, Conseillère départementale de la Loire
- Dominique Voynet, Députée du Doubs, Commissaire aux affaires étrangères
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Enquête du Cevipof - AMF, novembre 2023. Retour au texte
Note 02 Suppression de la taxe professionnelle, projet gouvernemental de suppression de la CVAE, suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, insuffisante compensation des dégrèvements de fiscalité locale, destruction de l’autonomie fiscale des régions, des départements et forte contraction de celle des intercommunalités, etc. Retour au texte
Note 03 10, 9 milliards d’euros si l’on prend en compte le désengagement de l’État, la baisse des crédits en faveur de la transition écologique, et l’évolution des cotisations de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. Retour au texte
Note 04 Le financement de la transition écologique nécessite un investissement supplémentaire de 11 milliards d'euros par an et en moyenne d’ici à 2030 d’après Institut de l’économie pour le climat et la Banque postale, dans leur étude « Panorama des financements climat des collectivités locales », septembre 2024, p 4. Retour au texte
Note 05 Les transports, le logement, l’énergie, l’aménagement du territoire, la gestion des déchets, etc. Retour au texte