Jamais la grève du vote n’a atteint de tels sommets. Le premier parti de France, les abstentionnistes, culmine à 58,4 % au soir du second tour des municipales, le 28 juin. Même aux européennes, traditionnellement boudées par les électeurs, la participation s’avère plus forte. Dans 488 communes de plus de 1000 habitants, le taux d’abstention est supérieur à 75%. Avec une abstention aussi forte, de nombreux maires ont été élus par une portion congrue des électeurs.
Deux maires élus par moins de 10% des électeurs
4 547 personnes ont glissé un bulletin pour Michèle Lutz à Mulhouse, soit moins d’un électeur de la ville sur dix. Elle l’a pourtant emporté dimanche 28 juin, à la suite d’une quadrangulaire, faisant d’elle la maire la moins bien élue de ces élections municipales.
Au sortir de ces élections municipales, dans les villes de plus de 1000 habitants, seuls 75 maires ont été élus par plus de 50% des électeurs. En moyenne, les listes victorieuses l’emportent avec 30% des inscrits. Après Mulhouse, Vénissieux et Vaulx-en-Velin, dans la métropole lyonnaise complètent le podium. Dans ces deux villes, quatre et cinq listes, respectivement, s’affrontaient.
18% des électeurs dans les plus grandes villes
En moyenne, c’est dans les grandes villes que les maires sont les moins bien élus. Outre Mulhouse, déjà mentionnée, les maires rassemblent moins de 15% des électeurs dans une dizaine de villes de plus de 100 000 habitants dont Lille, Nîmes, Amiens, Dijon, Marseille ou Clermont-Ferrand.
Les chiffres sont encore plus impressionnants si l’on rapporte le score à l’ensemble de la population de la ville, électeurs ou non. A Koungou, ville de Mayotte de 32 000 habitants, où se déroulait une quadrangulaire, le maire sortant l’emporte avec 38% des suffrages exprimés, qui représentent néanmoins moins de 5% de la population. 2000 voix seulement permettent au maire de Melun, Louis Vogel, de l’emporter à nouveau, dans une ville qui compte 40 000 habitants.
Des conditions de campagne inhabituelles
Cette grande dégringolade pour l’élection locale-reine doit beaucoup à la crise du Covid-19. Ce second tour des municipales est intervenu plus de 100 jours après le premier. La campagne n’a pu se dérouler dans des conditions habituelles. Les meetings ont été notamment interdits. De plus, le second tour a eu lieu, pour l’essentiel, dans des grosses communes où l’abstention est traditionnellement forte. Il n’empêche, pour le chef de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, «la masse du peuple français est en grève civique. C’est une forme d’insurrection froide contre toutes les institutions du pays».
«C’est un très mauvais coup qui a été fait à la démocratie. J’ai peur qu’il y ait un effet rétroactif et que lorsque ces maires devront prendre des décisions difficiles liées à la transition écologique par exemple, on pose la question de leur légitimité. Peut-être que les élus en prendront conscience et feront beaucoup plus de démocratie participative», commentait déjà lors l’entre-deux tours Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’Université de Lille.
Percée des verts, déroute des marcheurs
Le scrutin du 28 juin a été marqué aussi par la poussée d’EELV. Les têtes de liste écologistes raflent la mise à Lyon, Bordeaux, Strasbourg et Besançon. A Marseille, la tête de liste du Printemps Marseillais, Michèle Rubirola, ancienne élue EELV, est en pôle-position. Mais, du fait du découpage par mairie de secteur, elle ne dispose pas de la majorité absolue. EELV enlève, en revanche définitivement des bastions de la droite comme Annecy dirigée par le président de l’Assemblée des communautés de France, Jean-Luc Rigaut (UDI). Le parti écologiste dame aussi le pion au grand frère socialiste à Poitiers. Il échoue, en revanche sur le fil à Lille, où Martine Aubry conserve les clés du beffroi.
Le PS est l’autre grand vainqueur de ce second tour. Après une cascade de revers électoraux, le socialisme municipal reprend des couleurs à Montpellier. Le PS met fin aussi au règne de la droite depuis la Libération à Nancy. Enfin, il s’empare de Laval, Périgueux, Bourges, Quimper, Morlaix, Saint-Brieuc, Chambéry et Saint-Ouen. Le PS confirme son hégémonie sur la Seine-Saint-Denis avec sa victoire dans le bastion de la ceinture rouge, Saint-Denis. Pour le PCF, ce second tour se révèle globalement négatif. Si le Parti Communiste reprend Bobigny, Villejuif et Noisy-le-Sec, il perd ses fiefs d’Arles, Aubervilliers, Champigny, Choisy-le-Roi, Fontaine, Gardanne, Givors, Saint-Pierre des Corps, Seclin et Waziers. Pour la droite, qui détient toujours la majorité des communes de plus de 9 000 habitants, ce second tour s’avère contrasté.
Si Les Républicains sont défaits dans leurs deux plus gros bastions de Marseille et Bordeaux, ils conservent Toulouse qui était sous la menace d’un collectif écolo-citoyen. Ils l’emportent également à Biarritz, Auxerre, Montélimar, La Seyne-sur-Mer et Lorient. De son côté, le Rassemblement National connaît un second tour mi-figue, mi-raisin. Sa victoire à Perpignan, une première dans une grande ville depuis le mandat de Jean-Marie Le Chevallier entre 1995 et 2001 à Toulon, n’éclipse pas totalement la perte de la mairie phocéenne de secteur de Stéphane Ravier et de Mantes-la-Ville. Le RN, cependant, prend les commandes de Moissac, Bruay-la-Buissière et de trois petites communes du Vaucluse (Bedarrides, Mazan et Morières-Les-Avignon).
La déroute est, en revanche, quasi-complète pour LREM. Le Premier ministre Edouard Philippe gagne haut-la-main au Havre de même que l’allié du parti présidentiel. Mais LREM perd ses rares bastions, comme Lyon et Besançon qui étaient gouvernés par les marcheurs. A Lorient, fief du ministre des Affaires étrangères, la tête des liste des marcheurs n’arrive qu’en quatrième position avec un modeste 12 %. Dans la capitale qui avait jusque-là plébiscité Emmanuel Macron, Agnès Buzyn plafonne à 13 %.
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