De la révélation sauvage des vidéos intimes de Benjamin Griveaux aux états d’âme de l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn en passant par la résurrection des guerrières Anne Hidalgo et Rachida Dati… Le storytelling de la bataille de Paris a vampirisé les municipales sur les télés et les radios nationales. Les campagnes dans les autres villes se sont résumées à peau de chagrin.
Selon notre décompte les candidats parisiens ont occupé 61,6% du temps de parole des chaînes nationales, 75,8% des radios nationales et 86% des quatre chaînes «tout-info» pendant la campagne officielle du premier tour (1).
«Ça ne donne pas une image réelle et respectueuse de le France d’aujourd’hui. Il faut une nouvelle décentralisation dans les têtes», fulmine la tête de liste socialiste à Strasbourg, Catherine Trautmann. L’ancienne ministre voit même dans ce nombrilisme parisien le reflet «d’une politique qui s’est étatisée» et éloignée «des territoires».
Michèle Léridon, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel, explique prêter attention à ces problématiques : «On apprécie dans nos remarques envoyées aux chaînes la diversité dans le traitement, en notant notamment le nombre de communes différentes abordées par les médias. C’est une thématique très intéressante, surtout que la question des territoires fait partie des questions posées par les Gilets jaunes.»
En revanche, note-elle, «le critère de la pluralité géographique n’entre pas en ligne de compte dans le cahier des charges imposé aux chaînes pendant les campagnes électorales, les autres critères sont déjà assez lourds et demandent un contrôle précis de leur part».
35 000 élections
Sur le plan strictement territorial, le cru 2020 ne diffère en rien de ses devanciers. « L’enjeu de Paris est toujours très médiatisé car il révèle des rapports de force qui dépassent le cadre strictement local et peuvent avoir des conséquences nationales », jauge le politologue et directeur des études de l’Institut Rousseau Benjamin Morel.
L’éditorialiste politique de LCI Jean-Michel Apathie l’assume parfaitement. «On ne va pas inviter la maire de Nantes parce qu’elle n’intervient jamais dans les débats nationaux. On va faire appel à Anne Hidalgo pour parler d’Emmanuel Macron», glisse-t-il. Sur LCI, les candidats parisiens représentaient 85,2% du temps de parole, suivis par les candidats du Havre, avec 4,4% du temps de parole. Pour les premiers jours de la campagne du second tour, entre les 8 et 12 juin, les micros de LCI n’ont été tendus qu’aux candidates parisiennes et à leurs colistiers.
Pour le reste, « on n’a pas l’habitude en France des débats locaux, en dehors de certains sujets sur la police municipale ou la place de la voiture en ville. Ce qui va se passer à Lille intéresse Lille », ajoute Jean-Michel Apathie. Un diagnostic que le rédacteur en chef de la Voix du Nord Patrick Jankielewicz confirme à sa façon : « Avant le premier tour, les médias nationaux ne se sont pas intéressés à ce qui se passait à Lille car Martine Aubry n’est plus un personnage-clé. »
Il en a été différemment, relève-t-il à Tourcoing où le ministre de l’Action et des Comptes publics Gérald Darmanin a raflé la mise dès le premier tour. Un constat cependant relativisé par les chiffres du CSA : une minute trente de temps de parole a été accordée aux candidats de Tourcoing au premier tour, sur LCI et France Inter, quand les différents candidats à Lille ont bénéficié d’une heure trente, toutes chaînes confondues. Les chiffres du CSA ne se concentre cependant que sur le temps de parole, et ne comptabilisent pas les sujets sur Tourcoing où aucun candidat n’aurait été interrogé.
La campagne du Premier ministre, Edouard Philippe, au Havre a aussi bénéficié d’un (petit) écho médiatique. Mais, ailleurs, cela a souvent été morne plaine. Faut-il y voir la marque d’un réflexe jacobin ? « Dans une certaine mesure, le scrutin à Paris est déterritorialisé, beaucoup plus facile à analyser que les élections dans les 35 000 autres communes de France », observe Benjamin Morel. Pour le premier tour, 175 campagnes électorales ont vu leurs candidats interrogés par les médias audiovisuels nationaux (2).
Fin des maires fondateurs
Le rédacteur en chef de la Voix du Nord Patrick Jankielewicz y voit aussi le reflet d’un paysage politique atomisé où les maires emblématiques, comme Pierre Mauroy au beffroi de Lille, ont depuis longtemps disparu de la circulation. Pour les premiers jours de la campagne du second tour, Arles – où l’ancien présentateur Patrick de Carolis est en bonne position attire autant les micros que les candidats de Nantes ou Marseille.
De plus, il existe bien peu de véritables scènes politiques locales. «A Marseille, comme à Lyon, Jean-Claude Gaudin et Gérard Collomb, ont longtemps stérilisé le débat», relève Jean-Michel Apathie. A cela s’ajoute un autre phénomène qui ne plaide pas en faveur de la transparence démocratique : «Avec la montée en puissance des intercommunalités, on a l’impression que le pouvoir quitte les mairies et est moins proche des gens. Ça peut créer un certain désintérêt pour les municipales », explique Patrick Jankielewicz.
L’effet Covid
Une indifférence qui grimpe en flèche cette année avec la grande crise du Covid-19 qui, sur toutes les télés et les radios nationales, réduit les municipales à la portion congrue. « Selon un sondage récent, 62% des gens avaient peur de mourir du Covid. Ce n’est pas rien. Quand votre préoccupation c’est votre survie, les élections passent au second plan», rappelle Patrick Jankielewicz.
« Le coronavirus a tué les élections du premier tour, abonde Jean-Michel Apathie. On n’a pas regardé le résultat et on a peu commenté. Le second tour arrivant très tard on a du mal à s’y remettre. C’est dommage. La tension et la dramaturgie entre les deux tours ont totalement disparu. »
Mais pour Catherine Trautmann, le mal est plus profond. « Vos chiffres confirment que dans cette dernière période (NDLR: la crise du Covid-19), la France s’arrête aux frontières de l’Ile-de-France », juge-t-elle. Pour le second tour, les premiers chiffres montrent que la prépondérance des candidats parisiens se confirme, même si certaines chaînes font plus d’efforts que d’autres.
Les chiffres ne tiennent cependant pas compte des décrochages régionaux de France 3, de la 1ère qui a beaucoup suivi les élections dans les outremers ou des nombreuses chaînes locales (aux audiences néanmoins confidentielles) dont le cœur de cible est de traiter de ces campagnes locales.
Les pertes abyssales des grands journaux nationaux et régionaux risquent de creuser encore davantage à l’avenir ce fossé entre les élus locaux et les médias. Cette semaine encore, Le Parisien a annoncé la fin de ses éditions départementales pour un cahier « Grand Paris » unique. Un épisode qui intervient après un plan de licenciement massif à Paris-Normandie mis en liquidation. Difficile dans ces conditions d’espérer une meilleure représentation des territoires.
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Pour mesurer la part prise par la campagne parisienne dans l'ensemble de la campagne pour les élections municipales, nous avons utilisé les temps de parole accordés aux candidats sur les télévisions et radio nationales publiés par le CSA. Ceux-ci sont relevés par les chaînes et envoyés au CSA chaque semaine. Cela permet ainsi de voir le temps d'antenne accordé aux candidats dans chaque ville, et de mesurer la prépondérance, ou non, des candidats parisiens. Mais cela comporte quelques biais : ne sont ainsi pas pris en compte les médias en ligne et les journaux papiers, ni les reportages où aucun candidat n'est interrogé. Et ne sont pris en compte que les prises de parole concernant la campagne électorale. Ces décomptes ne sont pas disponibles pour les décrochages locaux de France 3 et les télévisions régionales, où la couverture des élections municipales est, par définition, plus locale. Retour au texte
Note 02 Nous n'avons retenu que TF1, France 2, France 3 – hors décrochages régionaux, M6, BFM TV, Cnews, LCI, franceinfo et les radios France Inter, France Info, Europe 1, RMC et RTL. Retour au texte