« C’est un enjeu majeur pour une collectivitĂ©. Les dĂ©lĂ©gations de service public sont les plus gros dossiers, estime le contrĂ´leur de gestion d’une grande collectivitĂ©. Les montants se chiffrent en millions d’euros, les risques sont colossaux. » Risques financiers quand la rĂ©munĂ©ration du dĂ©lĂ©gataire, ou celle de la collectivitĂ©, n’a pas Ă©tĂ© suffisamment bordĂ©e ; d’opacitĂ© du dĂ©lĂ©gataire vis-Ă -vis de l’autoritĂ© dĂ©lĂ©gante ; d’impact sur les tarifs facturĂ©s Ă l’usager. Les dĂ©rives pointĂ©es rĂ©gulièrement par les chambres rĂ©gionales des comptes concernent essentiellement les aspects financiers des contrats. RĂ©sultat : la dĂ©lĂ©gation, pour la gestion d’un service public ou la construction d’une infrastructure, peut s’avĂ©rer très coĂ»teuse Ă long terme.
Des dérapages
Le Syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif, 151 communes, 4,6 millions d’hab.) a ainsi fait baisser au 1 er janvier 2017 le tarif facturĂ© Ă l’usager de 0,10 centime d’euros le mètre cube, après des nĂ©gociations avec Veolia concernant notamment les « frais de siège ». Des charges correspondant aux moyens mis Ă disposition par la maison mère du groupe, que la CRC d’Ile-de-France estimait « non justifiĂ©es », Ă hauteur de 7 millions d’euros par an. Elle prĂ©cisait, en 2017 : « Les coĂ»ts liĂ©s Ă la dĂ©lĂ©gation ont eu tendance Ă dĂ©raper. [Et la rĂ©munĂ©ration du dĂ©lĂ©gataire] s’est avĂ©rĂ©e bien supĂ©rieure aux prĂ©visions, dĂ©passant les 20 millions d’euros par an. » Au sujet des frais de siège, Marie-ThĂ©rèse Sur-Le Liboux, avocate spĂ©cialiste des DSP, abonde : « Sur certains contrats, j’ai parfois dĂ» [les] renĂ©gocier, pour passer de 32 % du chiffre d’affaires Ă 16 % ! »
Les mĂ©canismes d’optimisation financière peuvent ĂŞtre lĂ©gaux. Comme lorsque la CRC de Bretagne Ă©voque, en 2018, au sujet de l’exploitation de l’aĂ©roport de Rennes, dont la rĂ©gion est propriĂ©taire, des montages financiers « très favorables aux actionnaires » (Vinci Airports et la chambre de commerce et d’industrie) qui « inflĂ©chissent nĂ©gativement le rĂ©sultat financier de la sociĂ©tĂ© » et donc la part que rĂ©cupĂ©rera la collectivitĂ© sur les bĂ©nĂ©fices. « Il y a une marge officielle et une marge officieuse, assure l’un de nos interlocuteurs. Il faut faire très attention aux facturations Ă©mises par le dĂ©lĂ©gataire. »
A BĂ©thune (25 200 hab., Pas-de-Calais), c’est la ville qui compense le manque Ă gagner sur l’exploitation du stationnement payant de la ville par Q-Park. En cause : le contrat signĂ© en 2005, qui surestimait les recettes (sur le parking et la voirie) et prĂ©voyait une clause de compensation. « La ville n’encaisse pas les recettes du stationnement, mais compense le manque Ă gagner, explique Pierre-Emmanuel Gibson, premier adjoint [LR] au maire depuis 2014, qui a hĂ©ritĂ© du dossier. Aujourd’hui, on est au plafond : on verse 400 000 euros chaque annĂ©e. » La commune tente de faire pression sur son dĂ©lĂ©gataire, sans succès, avant d’envisager une rĂ©siliation du contrat, quitte Ă payer des indemnitĂ©s.
Des données bien cachées
« J’ai vu des dĂ©lĂ©gataires facturer 1 kilomètre de tuyau, alors qu’ils n’ont besoin que de 900 mètres : 10 % de marge sur le rĂ©seau, cela devient intĂ©ressant, tĂ©moigne le contrĂ´leur de gestion. La seule solution est d’aller vĂ©rifier sur place, avant que les tranchĂ©es ne soient rebouchĂ©es ! » Car, souvent, toutes les donnĂ©es ne sont pas accessibles Ă l’autoritĂ© publique, ou sont insuffisantes, ne permettant pas de connaĂ®tre les coĂ»ts d’exploitation rĂ©els. « Certains contrats n’ont pas de plan de financement ni de calendrier d’investissements ! Il faut les annexer Ă la DSP pour contrĂ´ler », insiste Elodie Parier, directrice associĂ©e d’Adexel, spĂ©cialiste de l’ingĂ©nierie financière des DSP. Le manque de transparence est d’ailleurs un argument souvent citĂ© par les collectivitĂ©s qui passent de la DSP Ă la rĂ©gie ou Ă une sociĂ©tĂ© publique locale.
Illustration avec Pascale Garcia, directrice gĂ©nĂ©rale des services de la communautĂ© de communes MĂ©dullienne (10 communes, 20 600 hab., Gironde), Ă propos de l’association qui gĂ©rait l’accueil pĂ©riscolaire jusqu’en 2016 : « Nous n’Ă©tions pas d’accord sur le montant demandĂ© et n’avions aucune visibilitĂ© sur les actions ni sur l’aspect financier ! » « C’est toujours un combat pour obtenir toutes les informations, abonde le contrĂ´leur de gestion. L’entreprise vous dit j’ai dĂ©jĂ tout donnĂ©. Et va se plaindre Ă l’Ă©lu : Nous sommes harcelĂ©s, nous n’arrivons plus Ă travailler. LĂ , le rĂ´le de l’Ă©lu est fondamental. S’il ne veut pas se battre, la collectivitĂ© peut faire une croix sur des dizaines de millions d’euros. »
Car la DSP est un choix politique, avant d’ĂŞtre un acte technique, juridique et financier. Et il peut avoir des consĂ©quences dĂ©sastreuses, si le politique est prĂŞt Ă toutes les concessions. Pour mettre en place un service innovant comme Autolib’, par exemple. Le syndicat mixte Autolib’ et VĂ©lib’ mĂ©tropole (46 communes en 2011) a signĂ© en mars 2011 un contrat de DSP comprenant une clause qui l’oblige Ă prendre en charge le dĂ©ficit au-delĂ de 60 millions d’euros. Une anomalie dans une concession, oĂą le risque doit ĂŞtre portĂ© par le dĂ©lĂ©gataire. Fin 2017, la filiale de BollorĂ© rĂ©clamait 233 millions d’euros aux communes pour compenser ses pertes. Une aberration, selon Jean-Charles Vignot, avocat en droit public : « Sur ce dossier, on marche sur la tĂŞte ! Soit les collectivitĂ©s sont naĂŻves, soit elles ne sont pas bonnes ! »
Les parkings en rĂ©gie, une façon d’avoir la main sur la politique de stationnement
En juillet, 2018 le maire (LR) de Cannes, David Lisnard, a proposĂ© Ă son conseil municipal de rĂ©silier, pour « motif d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral », le contrat de dĂ©lĂ©gation de service public signĂ© en 1995 avec Uniparc, filiale d’Interparking, pour l’exploitation de huit parcs en ouvrage. La dĂ©cision, votĂ©e Ă l’unanimitĂ©, a pris effet le 1er  mars 2019. Depuis cette date, les parkings sont gĂ©rĂ©s en rĂ©gie par la ville – sauf un, qui reste en DSP avec Effia. « Nous avions lancĂ© un audit sur la gestion des parkings, explique Thierry Migoule, directeur gĂ©nĂ©ral des services. Avec un objectif : que la politique tarifaire du stationnement soit le fer de lance de la vie du centre-ville, pour soutenir les commerces. » Or, coincĂ©e par sa DSP, la ville a peu de marges de manĹ“uvre sur les tarifs.Finalement, l’audit a conclu que la durĂ©e de la DSP – trente ans – Ă©tait trop longue et ne permettait pas Ă la mairie de mener Ă bien sa politique de stationnement. « Les parkings avaient Ă©tĂ© construits avant, par une sociĂ©tĂ© d’Ă©conomie mixte, c’est un point important pour estimer que la durĂ©e du contrat est trop longue », prĂ©cise le DGS.
Depuis la rĂ©siliation, la commune a gagnĂ© devant le tribunal administratif de Nice et devant le Conseil d’Etat, alors que le dĂ©lĂ©gataire demandait Ă ce que la relation contractuelle reprenne. Cependant, un contentieux est toujours en cours, pour estimer si Cannes devrait verser des indemnitĂ©s pour rĂ©siliation anticipĂ©e, et combien. « La rentabilitĂ© du contrat et sa durĂ©e sont conformes aux engagements contractuels de 1995, affirme Marc Grasset, directeur gĂ©nĂ©ral d’Interparking France. Maintenant, il faut estimer notre manque Ă gagner. »
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Délégations de service public : comment éviter les dérives
Sommaire du dossier
- DSP : les collectivités doivent garder le contrôle
- DSP : OpacitĂ©, surcoĂ»ts, manque Ă gagner… autant de risques Ă anticiper
- Le suivi des DSP, un travail de longue haleine
- « Piloter, c’est avoir une feuille de route prĂ©cise et des Ă©lĂ©ments d’Ă©valuation »
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