Depuis plusieurs semaines, on ne parle plus que d’elles ! Les trottinettes agitent les esprits, tant du côté des élus qui cherchent comme Anne Hidalgo à recadrer drastiquement leur utilisation, que des nombreux piétons qui les maudissent. Il était temps que la loi d’orientation sur les mobilités (LOM) clarifie cette situation et définisse un cadre pour réguler leur présence dans les villes. Pour la seule Ville de Paris, particulièrement concernée par le phénomène, on dénombre « une quarantaine d’accidents par jour, avec une traumatologie lourde, ce qui entraîne une insécurité pour les utilisateurs et, de plus en plus, pour les piétons », a expliqué la député Brigitte Kuster (élue à Paris) lors des débats parlementaires.
Un nouveau cadre réglementaire
L’article 18 de la LOM qui a été discuté jeudi 6 juin à l’Assemblée nationale devrait remédier à ces problèmes. Profondément remanié lors de cette journée, il définit un nouveau cadre réglementaire, qui sera complété en septembre par un décret modifiant le code de la route. Au-delà du cas symbolique des trottinettes, ce sont tous les services en « free floating » (flottes d’engins de mobilité sans stations et partagés) qui sont concernés par cet article (les vélos, vélos électriques, et autre futurs engins).
Soulignons que la version finale de cet article a été nourrie par la concertation menée par le gouvernement avec les parlementaires (principalement ceux de la majorité) et les opérateurs privés ; sa formulation ne devrait maintenant plus évoluer (1).
Le sésame : un titre d’occupation du domaine public
Comment mettre à contribution les opérateurs privés et quel type d’autorité publique pourra le faire ? C’était l’enjeu principal de cet article. Finalement, il a été décidé que ces « engins de déplacement personnel motorisés » (EDPM) relevaient de l’occupation du domaine public (et non du stationnement). « Nous sommes juridiquement dans ce cas, et cette occupation est même, de manière flagrante, envahissante », a d’ailleurs souligné la ministre des Transports, Elisabeth Borne. Les opérateurs devront donc s’acquitter d’un titre de redevance, ce qui implique qu’ils n’auront pas à payer une redevance de stationnement. Les autorités publiques locales pourront donc « encadrer cette utilisation du domaine public, par exemple en délimitant les zones dans lesquelles ces engins doivent stationner, afin qu’ils n’envahissent plus les trottoirs comme c’est le cas à Paris et, je crois, également à Bordeaux et à Lyon », a expliqué la ministre.
Ce choix a une conséquence directe : c’est l’autorité en charge de l’espace public – et non de la mobilité – qui aura ce pouvoir de régulation. « Dès lors, l’autorité gestionnaire du domaine public, c’est-à-dire le plus souvent le maire ou le président de l’EPCI, sera compétente pour délivrer ces titres », a ajouté la député Bérangère Couillard (LREM), auteure de l’amendement qui a revisité l’article 18. « Oui, les maires pourront dire non au free-floating, parce qu’ils restent décisionnaires », a-t-elle confirmé.
Simple publicité ou appel d’offre
Concrètement, un opérateur devra faire une demande auprès de la collectivité concernée pour obtenir une autorisation préalable. Cette dernière délivrera alors un titre d’occupation, et l’opérateur s’acquittera d’une redevance d’occupation du domaine public. « La délivrance de cette autorisation pourra être soumise au respect d’un certain nombre de règles définies par la collectivité dans un cahier des charges : conditions spatiales de déploiement (zone de stationnement, …) ; information des usagers sur les règles applicables au code de la route ; modalités de retrait des engins hors d’usage ; caractéristiques environnementales (2) des engins (normes d’émissions, durabilité) et modalités d’entretien ; restriction d’apposition de publicité sur les engins ; encadrement des signaux sonores pour le respect de la tranquillité du voisinage », explique le ministère des Transports dans un communiqué. Ce cahier des charges pourra aussi spécifier la durabilité de ces équipements, ainsi que les enjeux sociaux et sociétaux liés à leur déploiement.
Pour choisir les opérateurs, la collectivité aura deux choix : faire une simple publicité préalable permettant la manifestation périodiquement de nouvelles demandes ; passer par une délégation de service public qui accorde des droits à un nombre limité d’opérateurs.
« On va donc réserver une certaine partie de l’espace et recourir à la publicité pour savoir s’il y a un ou deux opérateurs. Supposons qu’il y ait deux opérateurs, avec un nombre d’engins inférieur à l’espace que l’on est prêt à leur octroyer : on fixe le cahier des charges et les opérateurs le respectent. Supposons maintenant que dix opérateurs soient prêts à se lancer, avec trois fois plus d’engins que l’espace public ne peut raisonnablement en accueillir : on peut dans ce cas passer à une procédure de sélection ». Elisabeth Borne
Coordination avec l’EPCI et l’AOM
La question de ces nouvelles formes de mobilité impactant tout le bassin de vie, une coordination a été prévu au niveau intercommunal avec l’EPCI mais aussi avec l’autorité organisatrice de la mobilité (AOM), cette dernière devant être sollicité pour avis avant la délivrance d’une autorisation. Cet avis sera rendu dans un délai de deux mois. « Si ce délai n’était pas respecté, l’avis serait réputé favorable », a précisé le député Jean-Marc Zulesi (LREM), autour d’un sous-amendement sur ce point précis.
« L’autorité organisatrice pourra également mener une concertation avec les collectivités compétentes dans son ressort, afin d’assurer la bonne articulation des décisions. Lorsque les collectivités concernées souhaiteront aller encore plus loin, elles pourront signer une convention par laquelle la décision sera déléguée à l’autorité organisatrice de la mobilité », indique le ministère.
Possibilité de déléguer cette décision
Précisons également qu’une collectivité (en charge du domaine public) pourra déléguer cette décision à l’autorité organisatrice de la mobilité, en signant une convention. Elle pourra conserver certaines de ses prérogatives, « par exemple la définition précise des règles d’occupation du domaine ou la perception de la redevance ». Enfin, les collectivités pourront aussi lancer des appels d’offres et répartir l’offre sur l’ensemble de son territoire en choisissant le ou les opérateurs retenus.
Il a également été indiqué que des recommandations relatives à ces prescriptions seront élaborées avec les acteurs (collectivités, autorités organisatrice de la mobilité, opérateurs de free floating…) dans les 6 mois qui suivent la promulgation de la loi.
Le code de la route va évoluer à la rentrée
En complément de ce cadre fixé par la LOM, le gouvernement a présenté et mis en consultation en mai dernier un projet de décret modifiant le code de la route (lire notre article du 9 mai 2019 qui évoque notamment les amendes) et prenant en compte l’existence de ces nouveaux engins de déplacement personnel motorisés (trottinettes électriques, gyropodes, monoroues, …). Il définit des règles de sécurité à la fois pour les utilisateurs de ces engins et les autres usagers autour. Le ministère précise que « ce projet fait l’objet d’une notification à la Commission européenne et d’une présentation au Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), au Comité interministériel de la sécurité routière (CISR), puis au Conseil d’Etat. Il entrera en vigueur à la rentrée ».
Ce texte comporte une série de dispositions sur l’équipement des engins (éclairage, avertisseurs sonores) et des utilisateurs, mais aussi sur l’âge minimal, l’interdiction de circuler sur les trottoirs, ou encore la limitation de la vitesse maximale. Lors des débats parlementaires, Elisabeth Borne s’est engagée à faire évoluer ce projet de décret en relevant l’âge minimal de 8 à 12 ans, et en ramenant la vitesse maximale de 25 à 20 km/h. Il faut signaler que ce rabaissement de la vitesse autorisé a été préféré à l’obligation de porter un casque pour l’utilisation de ces engins, qui par effet domino se serait également imposée aux vélos (traditionnels et électriques).
Cet article fait partie du Dossier
Les collectivités vent debout face aux trottinettes
Sommaire du dossier
- Comment les collectivités peuvent accompagner le free-floating
- Trottinettes et « free-floating » : ce que prévoit la future réglementation
- Les trottinettes électriques bientôt assujetties au code de la route
- Free-floating : à Paris, les opérateurs devront payer
- Trottinettes électriques : comment les villes font face à ces nouvelles formes de mobilité
- La ville de Lyon met les trottinettes à l’amende
- Bientôt des licences à l’usage des collectivités territoriales pour réguler les véhicules en libre-service ?
- Trottinettes, skateboards et gyropodes… ces ovnis du trottoir
Domaines juridiques
Notes
Note 01 La LOM étant en procédure d’urgence, le texte ne passera qu’une fois devant chaque chambre, d’abord le Sénat puis maintenant l’Assemblée nationale, avant de finir en commission mixte paritaire (CMP) où il ne devrait pas évoluer. Si cette CMP est non conclusive, il pourra repasser devant chaque chambre Retour au texte
Note 02 Les conditions de recharge électriques de ces engins sont également abordées dans l’article 18, qui concerne « les caractéristiques des véhicules, cycles et engins mis à disposition au regard de leur plafond d’émissions de polluants atmosphériques et de gaz à effets de serre, de leurs conditions de durabilité ainsi que de leurs modalités d’entretien ». Retour au texte