« Je souhaite cette discussion très libre. Dites les choses de façon directe.» C’est ainsi que le PrĂ©sident de la RĂ©publique a lancĂ© le Grand dĂ©bat avec les Ă©lus de l’outre-mer, qui s’est tenu le vendredi 1er fĂ©vrier dernier, Ă l’ElysĂ©e. Pendant plus de sept heures, une soixantaine de maires, prĂ©sidents de dĂ©partement et de rĂ©gion de Martinique, Guadeloupe, Guyane, La RĂ©union, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon ont interpellĂ© le PrĂ©sident sur les problĂ©matiques de gouvernance territoriale mais aussi de vie chère et d’emploi. Après les Assises de l’Outre-mer et la rĂ©daction du Livre Bleu paru en juin dernier, l’heure serait donc Ă l’action gouvernementale pour ces territoires qui « subissent une crise profonde, qui vient de loin» a reconnu Emmanuel Macron.
Souffrance sociale
De nombreux maires ultramarins ont mis en avant les inĂ©galitĂ©s persistantes qu’ils subissent. « Il faut remettre Ă plat la structure de financement de nos collectivitĂ©s. Nous avons un handicap de sous-financement, qui empĂŞche d’investir et de dĂ©velopper l’activitĂ© Ă©conomique» a insistĂ© Didier Laguerre, maire (PPM) de Fort de France, en Martinique. Face Ă la situation socio- dĂ©mographique très tendue notamment en Guyane et Ă Mayotte, les Ă©lus ont mis en avant le besoin d’une dotation globale de fonctionnement (DGF) Ă©quitable. « Nous sommes au bord de la rupture avec une très grande souffrance sociale. Et nous avons le sentiment d’ĂŞtre mĂ©prisĂ©. » a dĂ©clarĂ© Said Omar Oili, maire (SE) de Dzaoudzi Labattoir Ă Mayotte.
Pour le PrĂ©sident de la RĂ©publique, la DGF est identique pour tous les territoires mais « ce sont les mĂ©canismes de pĂ©rĂ©quations qui posent problème. Dès 2020, il y aura un rattrapage de ceux-ci Ă hauteur de 85 millions d’€». Certains Ă©diles ont soulignĂ© la complexitĂ© et la lourdeur des procĂ©dures peu adaptĂ©es Ă leur territoire. Pour Marie-Luce Penchard, maire (LR) de Basse-Terre en Guadeloupe, « on ne peut plus fonctionner comme avant au nom de l’uniformitĂ© rĂ©publicaine. Osez, Monsieur le PrĂ©sident, aller vers une politique adaptĂ©e Ă chaque territoire. »
Contre les  filières monopolistiques
A cette interpellation, celui-ci s’est montrĂ© favorable Ă la diffĂ©renciation « qui doit ĂŞtre constitutionnalisĂ©e. » Il a aussi militĂ© pour plus de dĂ©concentration : « Il faut une rĂ©volution culturelle managĂ©riale, aller plus vite, ĂŞtre plus aidant et plus pragmatique. » a-t-il considĂ©rĂ©. Des maires ont soulignĂ© l’urgence d’ouvrir des confĂ©rences territoriales Ă©largies, initiative Ă laquelle s’est montrĂ© favorable Emmanuel Macron.
Sur la vie chère qui impacte tous les territoires, le PrĂ©sident a dĂ©noncĂ© « les filières monopolistiques » et a rappelĂ© « qu’un dĂ©lĂ©guĂ© interministĂ©riel Ă la concurrence venait d’ĂŞtre nommĂ© spĂ©cialement pour les Outre-mer» Mais il a aussi considĂ©rĂ© que la vie chère Ă©tait entretenue par la dualitĂ© des rĂ©munĂ©rations car les fonctionnaires bĂ©nĂ©ficient d’une majoration de leur traitement (+ 40% en Guadeloupe, Martinique Guyane, + 54% Ă la RĂ©union). « Il faut penser des solutions sur 10 ans, cela doit venir de vous » a-t-il interpellĂ© les Ă©lus ultramarins.
Crises sanitaires et écologiques
Les territoires d’outre-mer, fortement touchĂ©s par le dĂ©règlement climatique ont aussi Ă faire face Ă des crises sanitaires et Ă©cologiques majeures dues Ă la prolifĂ©ration des sargasses et aux maladies liĂ©es Ă la chlordĂ©cone (pesticide très toxique utilisĂ© dans les bananeraies) en Martinique et Guadeloupe. « Le petit mĂ©decin de campagne que je suis vous affirme que de nombreux GuadeloupĂ©ens et Martiniquais sont malades de la chlordĂ©cone et meurent quotidiennement. (…) Nos populations doutent aujourd’hui de la potabilitĂ© de l’eau» a affirmĂ© JoĂ«l Beaugendre, maire de Capesterre-Belle-Eau en Guadeloupe.
Le PrĂ©sident a rappelĂ© « que l’utilisation de ce pesticide a longtemps Ă©tĂ© faite sous pression de certains Ă©lus. Mais aujourd’hui nous avons pris des mesures pour aider les exploitants Ă aller vers le 0 chlordĂ©cone et dĂ©polluer les sols. Nous avons aussi ouvert cette pathologie Ă la mĂ©decine du travail». La ministre de la SantĂ©, Agnès Buzyn, prĂ©sente au dĂ©bat, a soulignĂ© que les Ă©tudes se poursuivent sur ce cancĂ©rogène « probable ».
Concernant les sargasses, un plan de 12 millions d’euros va ĂŞtre dĂ©ployĂ©, pour financer le matĂ©riel de ramassage dans les communes. « Nous sommes en train de perdre toute une population. Cela n’est pas suffisant» a rĂ©torquĂ© Serge Larcher, maire (PPM) du Diamant, en Martinique.
La Montagne d’or, gigantesque mine d’or Ă ciel ouvert en Guyane, a aussi Ă©té évoquĂ©e. Emmanuel Macron a jugĂ© qu’il n’y avait aujourd’hui aucun consensus et que ce projet n’Ă©tait pas au niveau des standards environnementaux. « Nous n’y sommes pas. Le projet doit encore ĂŞtre transformé» a- t-il considĂ©rĂ©.
Entre satisfaction et exaspération
Certains Ă©lus se sont dit satisfaits, après ces nombreuses heures d’Ă©coute et de dialogue. Pour Sophie Charles, Maire (SE) de Saint-Laurent-du-Maroni « c’est un exercice utile car nous sommes les premiers relais de la population. C’est la première fois qu’une rencontre dure aussi longtemps avec des problĂ©matiques diverses auxquelles a rĂ©pondu le PrĂ©sident de la RĂ©publique. Cela a une grande importance car souvent les dĂ©cisions prises Ă Paris ne prennent pas en compte nos spĂ©cificitĂ©s locales». D’autre Ă©lus avaient quittĂ© l’ElysĂ©e au milieu des dĂ©bats, dĂ©nonçant une mascarade. « Les personnes qui s’expriment sont dĂ©jĂ dĂ©signĂ©es Ă l’avance. C’est la ministre des Outre-mer, madame Girardin, qui annonce les personnes qui vont prendre la parole » s’est insurgĂ© Jean-Hugues Ratenon, dĂ©putĂ© (La France insoumise) de La RĂ©union.
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L'outre-mer : quelles politiques publiques face Ă des contextes hors normes ?
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