Tous les ingrédients étaient réunis pour que les médias s’entichent de ce nouveau jouet politico-médiatique : la « clause Molière ». La formule, très vendeuse il faut le reconnaître, désigne une « astuce » qui consiste à insérer dans le cahier des charges des appels d’offres des marchés publics de travaux l’exigence que les ouvriers parlent français. Une clause validée par plusieurs collectivités, dont des conseils régionaux, au nom de la sécurité sur les chantiers. Mais aussi dans le but, parfois affiché, de lutter contre le recours aux travailleurs détachés, voire au nom de la préférence locale. Un nouveau petit tsunami qui n’est pas sans rappeler l’emballement de l’été dernier autour du burkini…
Innovation et risque
La préférence locale ou nationale n’est pas légale. Le droit de la commande publique, d’essence communautaire, s’oppose à toute discrimination fondée sur la nationalité des candidats (européens) à un marché public. Les élus le savent pertinemment, et les services juridiques des régions Normandie, Hauts-de-France, Pays de la Loire, Auvergne – Rhône-Alpes ou plus récemment Ile-de-France, qui se sont lancées dans le recours à la « clause Molière », n’ont certainement pas manqué de les avertir qu’ils pénétraient ainsi dans une zone de risque juridique. La nouvelle réglementation des marchés publics, admettons-le, pousse à l’innovation. Sur la forme, elle appelle les acheteurs à s’emparer des outils qu’elle met à leur disposition, et surtout à faire preuve d’ingéniosité et de souplesse. Sur le fond, elle pousse à ne plus concevoir la commande publique comme un exercice seulement juridique, mais bien comme un levier pour soutenir les politiques économiques, sociales, environnementales et sociétales. Et il est vrai qu’utiliser en toute légalité le nouveau corpus juridique pour favoriser l’accès à la commande publique des entreprises locales est devenu un sport. On pense notamment à la restauration collective : indiquer dans un cahier des charges que le candidat sélectionné devra être en mesure d’assurer des visites scolaires à vertu éducative, c’est aussi s’assurer que les entreprises susceptibles d’être retenues seront établies dans un certain périmètre… favorisant l’économie locale.
Flou et souplesse
Les services juridiques de Bercy planchent sur la légalité de la « clause Molière ». La Commission européenne indique, elle, ne pas avoir été directement saisie. Mais le mal est fait : le président de la région Auvergne – Rhône-Alpes et la présidente de la région Ile-de-France ont annoncé ne pas vouloir revenir sur leurs clauses. Il est probable que le juge administratif sera saisi par voie de déféré préfectoral.
« Le mal est fait », car il est regrettable que la responsabilisation des acheteurs publics se concrétise par des recours contentieux. Quand le droit est flou, et qu’il est utilisé en fonction de considérations politico-médiatiques, c’est le juge qui intervient. Mais les « politiques » ne manqueront pas, lorsque la justice passera, de hurler, à nouveau, contre le gouvernement des juges…
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