Le décret n° 2016-1485 du 2 novembre 2016 « relatif aux subventions accordées aux collectivités territoriales en compensation des travaux engagés pour les opérations de diagnostic d’archéologie préventive » s’inscrit dans le sillage de la budgétisation de la redevance d’archéologie préventive (RAP), actée par la loi de finances 2016. Le texte précise les nouvelles modalités de reversement de la redevance.
Subvention versée en une fois
Le nouveau dispositif rompt avec le système de taxe affectée, qui s’est avéré improductif, notamment en raison des défaillances d’un logiciel de l’Etat et des lourdeurs des rouages administratifs. Le tout générant un rendement de la taxe inférieur aux sommes escomptées et un reversement tardif aux collectivités concernées, au risque de mettre certains services archéologique territoriaux dans une situation comptable calamiteuse.
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Prélevée sur tous les projets d’aménagement, la RAP finance les diagnostics archéologiques, réalisés par les opérateurs publics (Contrairement aux fouilles, les diagnostics ne sont pas ouverts au marché) : Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) et services des collectivités territoriales détenteurs d’une habilitation. La RAP abonde aussi le Fonds national pour l’archéologie préventive (FNAP), destiné au financement des projets d’aménagement d’intérêt général (notamment les logements sociaux). Jusqu’à présent, le montant de RAP disponible variait en fonction de sa collecte. Désormais, ce montant est inscrit dans la loi de finances. Pour 2017, la RAP est budgétée à hauteur de 118 millions d’euros, dont 81 millions fléchés pour le financement des diagnostics.
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Dans l’ancien système, les collectivités dotées de services habilités à réaliser des opérations archéologiques se revoyaient reverser une partie de la RAP au prorata de leur activité. Désormais, le reversement prend la forme d’une subvention, versée en une fois et déterminée par arrêté ministériel.
Fouilles à la Chapelle Saint Mesmin (Loiret), Candrivet CC BY 4.0
Risques
Aux yeux du législateur et du ministère de la Culture, le nouveau système fluidifie et sécurise donc le financement des diagnostics. « Cela va, certes, faciliter le reversement des crédits aux collectivités, convient Antide Viand, président de l’Association nationale pour l’archéologie de collectivité territoriale (Anact), et de nombreux services percevront ainsi des sommes plus importantes que celles qu’ils parvenaient à encaisser jusqu’à présent. » Cependant, du point de vue des archéologues territoriaux, «rien ne garantit que l’Etat, dans un contexte budgétaire contraint, maintiendra cette enveloppe » avance Antide Viand.
Inégalité de traitement des opérateurs archéologiques
De surcroît, pour les archéologues territoriaux, le compte n’y est pas. Parce que les opérateurs publics ne sont pas traités sur le même pied. Sur les 81 millions d’euros prévus pour les opérateurs publics, l’Etat prévoit 71 millions pour l’INRAP, et 10 millions pour les quelques 70 collectivités concernées (c’est-à-dire dotées d’un service d’archéologie préventive titulaires de l’habilitation délivrée par le ministère de la Culture). « C’est très insuffisant, s’insurge Antide Viand. « Le ministère de la Culture oublie que les services territoriaux effectuent environ 20% des diagnostics chaque année. Ils devraient donc toucher 20% du produit de la RAP, soit 16 millions d’euros. »
Pour l’Anact, le fléchage financier est donc à la fois « sous-évalué et inéquitable » pour les collectivités. « Nous demandons le même système de compensation pour tous les opérateurs publics, martèle Antide Viand. C’est le seul moyen d’assurer l’équité de traitement entre l’INRAP et les collectivités territoriales assurant conjointement la mission de service public de diagnostic. Une telle disposition contribuerait au développement de l’archéologie territoriale avec l’assurance de voir ses ressources progresser en même temps que son activité de diagnostic. » Par ailleurs, l’Anact demande une révision des coefficients pour que soient pris en compte le contexte et la complexité des opérations (milieu urbain ou rural, avec ou sans archéologie du bâti etc.)
Et si le système se grippait ?
A cela s’ajoutent des risques potentiels de dérapage, susceptibles de bloquer le système de l’archéologie préventive. « Qu’adviendra-t-il si les collectivités réalisent plus de diagnostics que ne le permet l’enveloppe de 10 millions d’euros ? Devront-elles travailler à perte ? Devront-elles limiter leur activité ? », s’interroge Antide Viand. Nul doute que la première hypothèse ne durerait pas longtemps. Quant à la seconde, elle risquerait de déboucher sur une asphyxie de l’INRAP, qui devrait, alors, prendre le relais et assurer les diagnostics en lieu et place des collectivités (1) et sur un allongement des délais. « Finalement, c’est l’archéologie qui serait perdante » conclut le président de l’Anact.
Manque à gagner
Enfin, l’Anact pointe un manque à gagner, indirectement généré par le nouveau système. En effet, jusqu’à présent les collectivités avaient le choix entre réaliser les diagnostics au cas par cas, ou assurer l’ensemble des diagnostics sur leurs territoires, auquel cas elles se voyaient reverser l’ensemble du produit la RAP collectée sur leur territoire, y compris la taxe prélevée sur les projets ne donnant pas lieu à une opération archéologique. Avec le nouveau système, cette contrepartie disparaît de facto.
2016, année transitoire pour la RAP
Entre 2015, année où le système de la taxe affectée, et 2017, année où s’applique pleinement le nouveau dispositif de reversement de la redevance d’archéologie préventive aux collectivités concernées, l’Etat a prévu un dispositif de transition, précisé dans le décret n° 2016-1485 du 2 novembre 2016 (article 3) : la subvention due aux collectivités au titre des diagnostics réalisées par leurs services d’archéologie est calculée sur la moyenne des surfaces traitées au cours des années 2013 à 2015 par chaque opérateur agréé (Depuis la promulgation de la loi CAP, on parle d’opérateur « habilité »). « Ce qui correspond à peu près aux sommes attendues évalue l’Anact. Sauf pour les collectivités qui avaient fait le choix de réaliser l’ensemble des diagnostics sur leur territoire [auquel cas la collectivité concernée touchait l’ensemble de la RAP collectée sur son territoire, y compris pour les projets d’aménagement ne donnant pas lieu à des opérations archéologiques, ndlr], possibilité qui n’existe plus avec le système de RAP budgétée. Le manque à gagner se fait donc sentir dès 2016. »
Références
décret n° 2016-1485 du 2 novembre 2016 « relatif aux subventions accordées aux collectivités territoriales en compensation des travaux engagés pour les opérations de diagnostic d'archéologie préventive
Cet article fait partie du Dossier
Comment donner un avenir à l’archéologie préventive
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