Missionnée par Matignon en février 2015, en vue d’un « nouveau dispositif du service public de l’archéologie préventive », la parlementaire Martine Faure a remis son rapport à la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, le 26 mai. Le document pointe une situation alarmante, qui conjugue défaillances de l’Etat dans la gouvernance du secteur, « concurrence débridée » entre opérateurs, système de financement grippé et crispation des professionnels.
67 services archéologiques territoriaux agréés
Reconnus comme opérateurs à part entière par la loi du 1er août 2003 relative à l’archéologie préventive, les services des collectivités territoriales étaient, au 30 avril 2015, 67 à détenir l’agrément de l’Etat les autorisant à conduire des opérations.
Selon les chiffres fournis par le ministère de la Culture et repris par le rapport, ces services réalisent 19% des diagnostics et 19% des fouilles. « Ces pourcentages sont en augmentation constante, note la rapporteure, même si la situation en termes de diagnostics tend à se stabiliser quand la présence des collectivités en matière de fouilles s’accroît. »
Pour l’élue, la force de ces services tient à des« choix politiques forts » qui président à leur création, notamment l’engagement des collectivités pour se doter d’outils « aptes à mieux gérer les exigences de conservation et d’étude du patrimoine dans les dynamiques d’aménagement propres à son territoire. » De ce fait, Martine Faure pense que « le développement des services archéologiques territoriaux n’est pas achevé. »
Cependant, la députée pointe plusieurs failles dans le dispositif actuel régissant l’archéologie préventive, dont trois menacent directement les services territoriaux.
La précarité du financement
Les services archéologiques territoriaux n’échappent pas aux contraintes budgétaires qui pèsent sur les collectivités. De surcroît, la redevance d’archéologie préventive (RAP), destinée au financement des diagnostics, reste très peu productive (notamment en raison de la complexité de son calcul et du fléchage financier de son produit entre les différents bénéficiaires : opérateurs, Fonds national pour l’archéologie préventive, et frais de gestion). Or, les collectivités dotées d’un service agréé sont censées toucher la RAP (1). Conséquence : faute de rendement de la RAP, nombre de collectivités financent entièrement les activités de leur service archéologique sur leur budget. Un « effet dissuasif », selon Martine Faure.
Il semblerait qu’aujourd’hui, certains services de collectivités territoriales s’interrogent sérieusement sur le maintien de leur activité de fouilles.
Une « guerre des prix » acharnée
Pour gagner des parts de marché dans le secteur des fouilles, ouvert à la concurrence depuis la loi du 1er août 2003 (2), les opérateurs privés (trois associations et une quinzaine d’entreprises) ont tendance à « recourir à une tarification anormalement basse (-30% à -40% sur certaines fouilles) et qui met en péril la science archéologique », du fait d’un cahier des charge scientifique non respecté. Pour l’auteure du rapport, l’absence de contrôle de l’agrément, en cours de validité, constitue une faille dans laquelle s’engouffrent certaines structures privées peu regardantes sur la qualité technique et scientifique des fouilles. Une situation qui, par ailleurs, accentue les difficultés de l’opérateur national, l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), confronté des concurrents privés moins chers. Ce contexte général engendre aussi « un sentiment de concurrence débridée et d’injustice profonde », les opérateurs privés étant considérés comme « les premiers responsables de la dégradation généralisée du dispositif de l’archéologie préventive et comme les grands bénéficiaires de la loi de 2003 », selon la rapporteure, qui évoque des effets dévastateurs sur les opérateurs publics.
Certains services de collectivités territoriales sont contraints de se restructurer, par licenciement d’une partie de leurs personnels, à l’image des plus importants d’entre eux, le service du Douaisis et le Pôle archéologique inter-rhénan (PAIR).
L’absence de reconnaissance de l’activité scientifique des territoriaux
En dépit de leur implication dans l’étude et la promotion du patrimoine archéologique, les collectivités ne sont guère identifiées comme acteurs de la recherche. Pourtant leurs archéologues sont souvent impliqués dans des publications, des participations à des colloques scientifiques, des comités de lecture, séminaires et autres manifestations. En outre, certains enseignent ou encadrent des fouilles programmées.
La reconnaissance, dans la loi, de cette activités scientifique fait partie des revendications portées par l’Association nationale pour l’archéologie de collectivité territoriale (Anact), qui réclame que tous les opérateurs archéologiques soient mis sur un pied d’égalité, y compris sur le plan de la recherche.
« Pour une politique publique équilibrée de l’archéologie préventive »
Pour sortir l’archéologie préventive de la crise, de façon durable, la députée Martine Faure livre dans son rapport, une série de propositions détaillées, concernant le financement du secteur, sa gouvernance, la recherche, les ressources humaines et l’archéologie sous-marine.
Parmi les préconisations-phares, figurent :
- la modification des critères d’agrément, qui devraient être plus exigeants (et élargis notamment aux informations administratives et financières des opérateurs), et contrôlés de façon plus serrée par les services de l’Etat ;
- un conseil interministériel de l’archéologie préventive (ministères de la Culture, des Finances, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, de l’Urbanisme, des Affaires étrangères, avec des représentants des collectivités, de l’Inrap, des archéologues territoriaux, des aménageurs, du CNRS, de l’université, des organisations syndicales) et présidé par le ministre de la Culture. Objectif : anticiper les blocages ;
- une « véritable maîtrise d’ouvrage scientifique » assurée par l’Etat, pour un meilleur contrôle des opérations.
La rapporteure avance aussi quatre suggestions spécifiques pour les services territoriaux :
- un financement public proportionnel à leur engagement dans le service public des diagnostics ;
- l’inscription dans le Code du patrimoine de leur rôle dans la recherche, en contrepartie d’une limitation de leur champ d’étude à leur territoire ;
- l’encouragement au rapprochement avec l’INRAP dans une logique de complémentarité, notamment pour répondre conjointement aux appels d’offres de fouilles.
Pour ce qui est des propositions financières avancées par les personnes auditionnées, la députée indique privilégier une « budgétisation » de la RAP. Avantages à ses yeux : une « simplification » et une « fluidification » du circuit de financement, ainsi qu’une « lisibilité » et une « transparence » du système, avec un contrôle parlementaire. La RAP serait maintenue, mais affectée au budget général de l’Etat, ce qui maintiendrait le lien aménageur-payeur.
Cet article fait partie du Dossier
Comment donner un avenir à l’archéologie préventive
Sommaire du dossier
- Redevance d’archéologie préventive : le compte n’y est pas
- Ce qui menace les services archéologiques territoriaux
- L’INRAP plaide pour un pôle public de l’archéologie préventive incluant les collectivités
- Pourquoi les services territoriaux d’archéologie craignent de passer sous la tutelle de l’Inrap
- Faut-il territorialiser les services d’archéologie ?
- L’aménagement du territoire vu à travers le prisme de l’archéologie
- Nantes comble peu à peu son retard archéologique
- Comment se construit le futur « pôle public de l’archéologie préventive » à Orléans
- « Il faut rendre possible une archéologie des territoires »
- La nouvelle géographie de la recherche archéologique
- Comment faire de l’archéologie un ciment pour fédérer les habitants
Thèmes abordés
Notes
Note 01 soit au prorata des diagnostics effectués, soit pour l’ensemble de leur territoire lorsque le service dispose d’une compétence générale Retour au texte
Note 02 et qui font l’objet d’un marché conclu entre l’aménageur et l’opérateur archéologique Retour au texte