Après quatre mois de mise en délibéré, la cour d’appel de Poitiers a condamné René Marratier, l’ancien maire de La Faute-sur-Mer à deux ans de prison avec sursis et une interdiction d’exercer toute fonction publique suite à la mort de 29 personnes par noyade lors du passage sur la commune de la tempête Xynthia en 2010.
« Les victimes sont abasourdies par ce prononcé ; cette peine allégée à l’encontre de l’ex-maire les a beaucoup choquées » explique leur avocate, Corinne Lepage. Car la condamnation prononcée en appel est effectivement plus clémente que celle qu’avait requise l’avocat général (deux ans de prison ferme) et, surtout, celle qu’avait prononcée en première instance, en décembre 2014, le tribunal correctionnel des Sables-d’Olonne (quatre ans de prison ferme).
Du côté de la défense, c’est le soulagement qui s’exprime : « la Cour a rendu justice à M. Marratier en prononçant une décision de justice fondée en droit », expose Didier Seban, l’avocat de l’ex-maire. Selon ce dernier, « le caractère disproportionnel de la décision de première instance qui établissait une peine infamante est enfin du passé ».
« Jurisprudence emblématique »
Toutefois, il y aura bien un « avant » et un « après » Xynthia comme le pense l’avocat spécialiste des collectivités territoriales, Yvon Goutal. « Cette décision, même considérablement adoucie en appel, risque de devenir une jurisprudence emblématique sur laquelle d’autres plaignants vont s’appuyer », explique l’avocat, pour qui ce procès marque une étape dans le contentieux de la responsabilité pénale des élus. Car même si la sanction retenue en appel s’explique aussi par celle prononcée en première instance, jamais une telle sanction n’avait été prononcée à l’encontre d’un élu local pour un délit non intentionnel.
En effet, tout pénaliste se rappelle du procès de l’incendie de la discothèque du « 5-7 » à Saint-Laurent-du-Pont en 1970 qui provoqua la mort de 146 personnes : seuls dix mois de prison avec sursis pour « manquement à ses obligations de maire » avait été prononcé à l’encontre de Pierre Perrin, alors maire de Saint-Laurent-du-Pont du fait de son inaction et d’avoir toléré l’exploitation de la discothèque.
De plus, « l’interdiction prononcée en appel à l’encontre de René Marratier d’exercer toute fonction publique est très rare dans le chef d’accusation du délit non intentionnel » explique l’avocate Corinne Lepage pour qui cette originalité s’explique du fait du comportement anormal de M. Marratier en tant qu’élu local dans sa gestion des risques ». A l’opposé, Didier Seban qualifie cette peine de symbolique, « René Marratier n’avait pas, eu égard à son âge, le désir d’intégrer la fonction publique » ironise l’avocat de la défense.
Syndrome paralysant
Effet secondaire, cette condamnation à deux ans de prison avec sursis pour un maire risque d’accroître une inquiétude des élus locaux quant à l’exposition juridique de leurs fonctions. D’autant qu’elle illustre parfaitement les tendances mises en lumière par le rapport annuel 2015 de l’Observatoire Smacl des risques de la vie territoriale. Selon ce dernier, l’année 2014 aura été une « année record » avec 277 élus locaux mis en cause, alors qu’ils étaient 185 par an, toutes infractions confondues, au cours de la dernière mandature.
« Ce chiffre est toutefois expliqué par des éléments factuels – l’année 2014 est une année électorale – et structurels liés notamment à l’affaiblissement du contrôle de légalité par l’Etat, contrôle désormais exercé par les citoyens et les associations », explique le responsable de l’observatoire, Luc Brunet.
« Toutefois, malgré la hausse significative du nombre de poursuites, le risque pour un élu d’être poursuivi pénalement à l’occasion de son mandat reste proportionnellement très faible (2,2 pour mille) », note l’observatoire.
« L’objet du droit pénal est de faire peur et cela a bien fonctionné pour les élus locaux pendant ces 20 dernières années. Aujourd’hui, en revanche, le risque pénal va paralyser l’action publique locale », indique Yvon Goutal. Selon lui, l’accroissement de la marge de sécurité pour réduire le risque, notamment par la multiplication des normes, est incompatible avec la réduction des moyens financiers octroyés aux collectivités.
« Comment les élus locaux continueront-ils à agir pour l’intérêt général tout en répondant à cette montée en puissance de la sécurisation, qui a un coût élevé ? » s’interroge l’avocat. « Cela risque de se traduire de plus en plus par l’annulation pure et simple de certaines activités », déplore-t-il.
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