« Le gouvernement juge prĂ©fĂ©rable de se donner du temps car il y a absence de consensus des Ă©lus sur le sujet », voilĂ comment en une seule phrase, Jean-Michel Baylet, ministre de l’AmĂ©nagement du territoire, de la RuralitĂ© et des CollectivitĂ©s territoriales, a « enterrĂ© » -en tout cas pour quelques annĂ©es – l’idĂ©e d’Ă©lire les conseillers des pĂ´les mĂ©tropolitains au suffrage universel direct. C’Ă©tait la semaine dernière, lors de la confĂ©rence des villes organisĂ©e par l’association France Urbaine.
Un pas en avant…deux en arrière ?
Il est vrai que ces derniers mois, plusieurs signaux laissaient présager cette issue.
En effet, si en 2014, l’Ă©lection au suffrage universel direct avec flĂ©chage des conseillers communautaires – en mĂŞme temps que les Ă©lections municipales – avait marquĂ© un pas en avant pour la dĂ©mocratisation des institutions locales, l’Ă©tape suivante, Ă savoir le suffrage universel direct tout court, apparaĂ®t pour le moment trop difficile Ă franchir.
IntĂ©grĂ©e au projet de loi Maptam, de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des mĂ©tropoles – pour une application dès 2020, l’initiative manquait pourtant cruellement de concret. Le gouvernement devait d’ailleurs plancher sur la question avant le 1er janvier 2017. Finalement, il s’en passera.
Autre indice, la volte-face opĂ©rĂ©e sur ce mĂŞme sujet dans le cadre de la loi NOTRe. En première lecture, les dĂ©putĂ©s avaient introduit l’idĂ©e d’Ă©lire l’ensemble des Ă©lus communautaires au suffrage universel direct, provoquant l’ire des associations d’Ă©lus, soutenues par le SĂ©nat. La disposition a disparu en commission mixte paritaire.
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Manque de soutien du Grand Paris
RĂ©my Le Saout, sociologue, auteur de l’ouvrage « Une invitĂ©e discrète : l’intercommunalitĂ© dans les Ă©lections municipales de 2014 » avec seize autres universitaires, n’est pas Ă©tonnĂ© par ce nouvel Ă©pisode.
Ce dernier fait d’ailleurs remarquer que c’est sans doute dans la frilositĂ© de la mĂ©tropole du Grand Paris qu’il faut chercher l’explication de ce revirement gouvernemental. En effet, en fĂ©vrier dernier, Les Echos relatait les questionnements des prĂ©sidents de mĂ©tropole sur cet Ă©pineux sujet. Paris la première.
Jean-Michel Baylet a donc annoncĂ© qu’un amendement gouvernemental Ă la loi Maptam, dans son article 54, serait dĂ©posĂ© « dans le cadre de la discussion du projet de loi relatif au statut de Paris et Ă l’amĂ©nagement mĂ©tropolitain« .
Un rapport de force constant… qui dure depuis 60 ans !
Pourtant quelques heures auparavant, la secrĂ©taire d’Etat aux CollectivitĂ©s territoriales, Estelle Grelier, semblait souffler dans le sens contraire.
Le suffrage universel est le sens de l’histoire
InvitĂ©e d’une table ronde, Estelle Grelier dĂ©clarait ainsi : « Le suffrage universel est le sens de l’histoire. La constitution des grandes intercommunalitĂ©s dotĂ©es de compĂ©tences très larges y compris de proximitĂ©, et de budgets importants nĂ©cessite de faire Ă©voluer les modalitĂ©s d’élection de leurs reprĂ©sentants. »
En son temps, Marylise Lebranchu, ministre de la DĂ©centralisation, tenait les mĂŞmes positions. Au congrès de l’ARF en octobre 2014, elle dĂ©clarait : « On abandonne la commune comme niveau de mise en musique des politiques publiques et on garde les maires. C’est difficile… »
Des positions inverses qui démontrent à quel point le sujet divise, tant au sein du gouvernement que des élus concernés.
Rémy Le Saout décrit les rapports de force qui se jouent sur cette question du suffrage universel :
« Pour faire simple, globalement, ceux qui sont favorables au changement sont ceux qui ont tout Ă gagner au niveau de l’interco, comme les Ă©lus puissants ; les maires des communes plus petites, eux, ont peur de perdre leur pouvoir ou leur souverainetĂ©. Enfin, les élus qui n’ont pas de poids dans les conseils municipaux, se prononcent Ă©galement en faveur du suffrage universel jouant sur le registre de la dĂ©mocratie et du manque de lisibilitĂ© de l’Ă©chelon de l’EPCI », dĂ©taille le chercheur.
Aussi, RĂ©my Le Saout estime que la bascule viendra plus tard : « Les Ă©lus nationaux – qui sont par ailleurs le plus souvent des Ă©lus locaux – vont attendre que le fruit soit mĂ»r. En clair, un gouvernement pourra se saisir de cette question lorsque la mentalitĂ© des Ă©lus, leur conception du mĂ©tier et la reprĂ©sentation du territoire sur lequel ils peuvent agir auront Ă©voluĂ© ».
Un dĂ©bat qui anime la vie politique française depuis les annĂ©es 60 et qui, d’après le sociologue, ressurgit Ă Â chaque rĂ©forme institutionnelle forte : « en 92, la loi ATR ; la loi Chevènement de 99, l’acte de la dĂ©centralisation 2004… et aussi dès qu’il s’agit du statut de l’Ă©lu local ».
Un flou qui arrange ?
Si le lien organique entre la commune et l’intercommunalitĂ© Ă©tait coupĂ©, RĂ©my Le Saout dĂ©crit une situation de « transfert de pouvoir avec une vraie lĂ©gitimitĂ© politique accordĂ©e aux intercos qui pourraient alors travailler sur de vrais projets intercommunaux sans nĂ©gociation avec les communes ».
Et le chercheur de dĂ©crire la situation actuelle comme beaucoup plus floue. Une ambivalence qui permet ainsi Ă certains Ă©lus locaux d’imputer les choses dĂ©sagrĂ©ables… aux intercommunalitĂ©s, Ă l’instar de ce que se permettent les ministres des diffĂ©rents gouvernements avec l’Union europĂ©enne.
Un pari qui pourrait nĂ©anmoins s’avĂ©rer risquĂ© et et conduire Ă ce que l’Ă©chelon intercommunal, dĂ©jĂ mal connu par les citoyens, devienne malgrĂ© lui mal-aimĂ©…
Références
Ouvrage de 320 pages, coordonné par Rémy Le Saout et Sébastien Vignon. Paru aux éditions Berger-Levrault en juin 2015
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