Tous bancs politiques confondus, les élus d’Avignon ont rejeté un schéma de coopération intercommunale « sans ambition ni perspective » pour le Vaucluse. En Bretagne, Saint-Nicolas-du-Pélem (1725 hab.) et Locarn (459 hab.) refusent la fusion de leur communauté de communes Kreiz-Breizh avec un voisin costarmoricain, préférant un autre voisin finistérien. A Caraman (2366 hab.) dans la CC Cœur Lauragais (Haute-Garonne), aux Portes de la Creuse en Marche (Creuse), en Savoie, dans le Lot, l’Allier ou en Corse, les refus se succèdent telles des sonnettes d’alarme. Ces refus peuvent-ils bloquer le processus d’élargissement des intercos prévus en 2016 ? Peut-être, si les élus locaux ne sont pas entendus.
Pas de concertation
Début novembre, dans un communiqué de presse, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, la ministre de la Décentralisation, Marylise Lebranchu, et le secrétaire d’Etat à la Réforme territoriale, André Vallini, donnaient la version gouvernementale :
Dans les territoires, les nouveaux projets de schémas ont été conçus grâce à une concertation de qualité, assurée à la fois par les réunions qu’ont tenues les commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI) – chargées de débattre des projets – et les rencontres informelles que les représentants de l’Etat ont organisées avec les élus. Grâce à ces réunions, les présentations officielles des projets se sont déroulées sereinement, et ce malgré les contraintes d’un calendrier très serré.
Concertation de qualité ? Ce n’est pas ce qu’entendent les associations d’élus, notamment dans les territoires ruraux.
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Fatalité et résignation
« L’état d’esprit est à la fatalité. Dans plusieurs territoires, les préfets ont proposé des objectifs très ambitieux, de réduction à 3 ou 5 EPCI par exemple. La réaction est passive ou résignée. On avance dans une logique où par défaut un schéma va être mis en place, mais qui ne fonctionnera pas car il n’aura pas un assentiment de la majorité des élus », souligne le directeur de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), Cédric Szabo.
« Nous n’avons jamais été autant sollicités depuis le début du travail législatif sur la loi Notre, notamment sur les fusions forcées et les difficultés face aux attitudes des préfets, qui ne sont pas à l’écoute. Ce qui remonte du terrain, c’est que vous pouvez toujours forcer les gens à faire ce qu’il ne veulent pas faire, cela ne fonctionnera pas », ajoute-t-il.
Le délégué général de l’Association des élus de la montagne (ANEM), Pierre Bretel, va même plus loin :
Il y a un double langage permanent. Quand les ministres disent ‘on pourra adapter’, il faut entendre ensuite ‘si les préfets le veulent’. La loi Notre a prévu des adaptations, mais les préfets considèrent qu’ils peuvent déroger du seuil s’ils le souhaitent, c’est une question d’interprétation. En tout cas l’exception des territoires de montagne est mise à mal. C’est une machine infernale, tout est fait pour qu’on ne puisse pas suivre.
Pas de plan B
Où ça peut bloquer ? Dans ces territoires où les centres urbains et les territoires ruraux les avoisinant ne sont pas d’accord. Cela paraît-il une lapalissade ? Justement !
La communauté de communes de Lapalisse (8586 hab.) a voté à l’unanimité jeudi dernier le schéma du préfet de l’Allier, qui propose à cette commune de fusionner avec un autre EPCI similaire, celui de Varennes-Forterre. Les élus de Lapalisse ont demandé, à l’unanimité, à rejoindre la communauté d’agglomération Vichy-val d’Allier (VVA). « Notre bassin de vie, c’est Vichy. Mais le sénateur-maire de Vichy, Claude Malhuret (LR), président de VVA, n’en veut pas. Il y aurait trop de communes rurales autour de Vichy. Consciemment ou inconsciemment, il doit craindre de perdre la présidence. Mais, moi, je n’ai pas de plan B. Si ce n’est pas Vichy, je demande qu’on nous laisse rester comme on est », martèle le maire de Lapalisse, Jacques de Chabannes (PRG), descendant du maréchal qui a donné le nom à l’expression tautologique.
En Savoie, c’est tout le contraire, mais ça revient au même. La maire de Chanaz, Yves Husson, explique : « le préfet nous demande d’aller avec la communauté d’agglomération du Lac du Bourget, d’Aix-les-Bains, pour former un ensemble de 70.000 hab. alors que notre communauté de communes est en zone de montagne et la loi Notre prévoit qu’elles ne sont pas obligées de fusionner. Comme dans beaucoup de territoires, il n’en tient pas compte. » Avec l’accord du député-maire d’Aix-les-Bains, Dominique Dord (LR).
Schéma « ruralicide »
En Corse aussi, le SDCI risque de bloquer, à entendre le président de la communauté de communes d’Alta Rocca (5770 hab., 16 communes), Pierre Marcellesi, qui qualifie le schéma préfectoral de « ruralicide » :
Nous avons un bloc communal très intégré. Le projet du préfet ne nous propose que deux possibilités, soit nous rattacher à un EPCI plus grand, soit couper en deux le territoire, alors que nous formons un bassin de vie à part entière. C’est complètement coupé des réalités. Nous avons demandé à l’unanimité l’adaptation. Le défaut de concertation choque beaucoup de personnes. Outre tuer le rural, on casse un outil.
Dans le Lot, la com’com du Haut-Ségala (2231 hab., 11 communes), située également en zone de montagne, est contrainte, par la loi, de bouger. « La préfète nous propose de rejoindre le Grand Figeac (40.782 hab. 80 communes) ou l’éclatement. Nous avons pris le contrepied, et nous proposons un EPCI avec toutes les communes de montagne », explique le maire de Saint-Cirgues (372 hab.), Christian Venries, président de l’association des maires ruraux du Lot.
« Qu’est-ce que la ruralité ? Que sont les campagnes ? Ils sont en train de nous changer tout. Cela nous pousse à calquer des modèles urbains, or nous souhaitons garder notre identité rurale. Dans une grosse interco, nous n’aurons qu’un seul élu », martèle Christian Venries, qui se bat avec les élus de son territoire pour le maintien des écoles de village et qui a subi la fermeture de la gendarmerie cet été.
« Les maires de petites communes qui sont dans les grosses interco nous disent de ne pas venir, ça va nous étouffer. Qui vivra chez nous quand il n’y aura plus de services publics ? Nous ne sommes pas prêts à lâcher là-dessus », insiste Christian Venries.
Contre-propositions en CDCI
Pour l’Assemblée des communautés de France (ADCF), la pluie de rejets « est normale, cela avait déjà été le cas en 2010 ». « L’enjeu sera surtout de formuler des amendements et des contre-propositions, au sein des CDCI, qui prennent en compte les critères prévus par la loi Notre, bassin de vie, unité urbaine, Scot, solidarité financière, territoriale, et pas seulement le seuil démographique. Tous les critères sont de même valeur », explique Floriane Boulay, responsable des affaires juridiques à l’ADCF.
Les communes et communautés sont appelées à donner leurs avis sur ces premiers schémas d’ici fin décembre, et les CDCI devront se prononcer. Ensuite, s’ouvrira une nouvelle période de consultations, puis de négociations autour des arrêtés de projet de périmètre, jusqu’à la mi-août.
« Là, les élus vont pouvoir agir sur les schémas. Ils peuvent faire adopter leurs contre-propositions, à la majorité de deux-tiers des CDCI. S’ils n’y arrivent pas, dans ce cas c’est le projet du préfet qui s’applique », souligne l’experte. La bataille s’annonce courte et tenace.
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