Chambre d’hĂ´tes, location de la rĂ©sidence principale, « couch surfing »… les hĂ©bergements touristiques entre particuliers reprĂ©senteraient aujourd’hui plus de 40 % des lits disponibles, selon le rapport parlementaire des dĂ©putĂ©s Jeanine DubiĂ© et Philippe Le Ray sur l’Ă©valuation de la politique d’accueil touristique, paru le 2 juillet. Une rĂ©volution liĂ©e notamment au succès des sites de petites annonces, comme Abritel et Homelidays (groupe HomeAway), Le bon coin, Bedycasa et, surtout, Airbnb, qui se veut l’Ă©tendard de l’Ă©conomie dite collaborative.
Si la location de rĂ©sidences saisonnières n’est pas une nouveautĂ©, son caractère diffus et sa massification posent problème, avec des loueurs qui ne connaissent pas leurs obligations ou passent outre, et la difficultĂ© Ă Ă©valuer pleinement le phĂ©nomène, d’autant que de nombreux sites sont domiciliĂ©s Ă l’Ă©tranger.
La collecte de la taxe de sĂ©jour est le premier point litigieux : la loi de finances pour 2015 l’a rĂ©formĂ©e, autorisant sa perception en direct par les plateformes de location. Problème, le dĂ©cret d’application est toujours attendu, après avoir Ă©tĂ© bloquĂ© au ComitĂ© des finances locales (il a enfin Ă©tĂ© publiĂ© le 31 juillet 2015, ndlr). Ce mode de collecte faciliterait grandement la tâche des collectivitĂ©s et leur Ă©viterait de vĂ©rifier site par site les annonces mises en ligne. Airbnb attend la sortie du dĂ©cret pour expĂ©rimenter cette collecte dans quelques villes, comme Chamonix (8 900 hab., Haute-Savoie).
« Nous le faisons dĂ©jĂ Ă l’Ă©tranger, dans certaines villes comme Portland ou Amsterdam. En France, l’enjeu sera de le gĂ©nĂ©raliser Ă l’ensemble du territoire, alors que chaque commune vote un taux diffĂ©rent de taxe », explique Sarah Roy, directrice de la communication d’Airbnb France. Une dĂ©marche intĂ©ressante, mais qui devra ĂŞtre renouvelĂ©e avec l’ensemble des plateformes.
Avis partagés
L’opacitĂ© autour de l’identitĂ© des loueurs et le poids sur le marchĂ© local du logement posent aussi question. La loi « Alur » du 24 mars 2014 a Ă©bauchĂ© un dĂ©but de rĂ©ponse, en prĂ©voyant aux articles L.631-7 et suivants du code de la construction et de l’habitation un rĂ©gime d’autorisation : dans les communes de plus de 200 000 habitants, le fait de louer un local meublĂ© destinĂ© Ă l’habitation de manière rĂ©pĂ©tĂ©e pour de courtes durĂ©es Ă une clientèle de passage qui n’y Ă©lit pas domicile nĂ©cessite une autorisation de changement d’usage de la commune.
Paris (2,24 millions d’hab.) tente d’utiliser cette rĂ©glementation pour limiter l’essor des locations, notamment par le biais d’Airbnb. A Nice (343 600 hab.), au contraire, le conseil municipal a dĂ©libĂ©rĂ© en juin pour accorder un rĂ©gime d’autorisation aux propriĂ©taires de trois logements au plus.
« C’est une offre d’hĂ©bergement qui s’adresse Ă une clientèle nouvelle. Par ailleurs, en Ă©tĂ©, le parc hĂ´telier est quasiment complet. Enfin, les logements en question sont des rĂ©sidences secondaires vides la plupart du temps dans l’annĂ©e, cela n’a pas d’impact sur le marchĂ© classique du logement », argumente Rudy Salles, adjoint au maire chargĂ© du tourisme.
La majoritĂ© des communes attendent le dĂ©cret d’application pour dĂ©cider de la ligne Ă adopter.
Airbnb face au réseau hôtelier
L’offre de la plateforme est inĂ©gale. DĂ©risoire Ă Lourdes ou au Mont Saint Michel, elle se rapproche de l’offre hĂ´telière classique dans d’autres communes. Toutefois, une partie relève en fait de professionnels du tourisme.
Les chiffres reprĂ©sentent le nombre d’annonces publiĂ©es sur internet pour chaque ville, y compris celles limitrophes, car les voyageurs utilisant Airbnb ne sĂ©journent pas en hypercentre mais sont rĂ©partis dans plusieurs quartiers et les villes les plus proches. En revanche, les chambres d’hĂ´tels sont situĂ©es sur la commune.Lire aussi : [Data] Airbnb squatte les villes touristiques
 Travailler en complémentarité
Autres acteurs bousculĂ©s, les offices de tourisme (OT), concurrencĂ©s sur la composante « centrale de rĂ©servation » de leur activitĂ©. Les avis sont partagĂ©s quant Ă la posture Ă adopter. « Travailler avec ces centrales permettra de mieux maĂ®triser les offres fantĂ´mes, mais attention au lobby hĂ´telier. La rĂ©ponse ne peut ĂŞtre que collective, prĂ©vient Nicolas Durochat, directeur de l’office de tourisme intercommunal de la vallĂ©e de Chamonix. Il faut veiller Ă ne pas reproduire la mĂŞme erreur que les hĂ´teliers avec les centrales de rĂ©servation, comme Booking : ils subissent Ă prĂ©sent des hausses de commissions très importantes. Il s’agit de prendre garde Ă ne pas se retrouver face Ă un lobbying monopolistique. »
« Il est impossible d’aller contre ce mouvement et quelle utilitĂ© cela aurait-il, modère Romain Le Pemp, chargĂ© de la qualitĂ© Ă la FĂ©dĂ©ration nationale des offices de tourisme de France. Ces sites contribuent Ă amener de nouveaux touristes sur les territoires. Mieux vaut se rapprocher et travailler en complĂ©mentaritĂ©. » La fĂ©dĂ©ration s’est rapprochĂ©e des principaux acteurs et envisage diffĂ©rentes collaborations en fonction du modèle Ă©conomique de chacun.
« Pourquoi ne pas coorganiser des rencontres entre les utilisateurs, sur le modèle des meetup d’Airbnb ? Avec Abritel, on peut imaginer des tarifs prĂ©fĂ©rentiels pour les adhĂ©rents de l’office de tourisme », dĂ©taille Romain Le Pemp. En Aquitaine, un tel partenariat a Ă©tĂ© nouĂ© entre la mission des offices de tourisme et pays touristiques d’Aquitaine (Mopa) et le groupe HomeAway pour le site Abritel.
« Soit on se replie sur nos fondamentaux, soit on s’adapte pour survivre. Grâce aux plateformes, le contrĂ´le est facilitĂ©. On peut imaginer de nouveaux services proposĂ©s par les offices, par exemple, de conciergerie pour l’accueil des locataires, juge Jean-Luc Boullin, directeur de la Mopa. Mais le lĂ©gislateur doit faire son travail pour donner un cadre plus prĂ©cis Ă cette activitĂ©. »
A La Rochelle (74 100 hab., Charente-Maritime), personne ne s’est encore attaquĂ© au phĂ©nomène, mais cela ne saurait tarder. Claire Couderchon, chargĂ©e du tourisme depuis seulement quelques mois, dĂ©couvre son importance et Ă©bauche des hypothèses : « Les touristes passent en moyenne 1,74 nuit dans la ville, j’ai discutĂ© avec une personne qui loue sur Airbnb depuis le mois d’octobre, cela ne dĂ©semplit pas, sur 2 ou 3 nuits. Il y a donc une rĂ©flexion Ă entamer sur des forfaits. Il faut aussi rĂ©flĂ©chir avec les hĂ´teliers Ă la mise Ă niveau des Ă©quipements. Et Ă©galement avec les restaurateurs : les personnes louent un logement avec cuisine, si l’offre de restauration n’est pas adaptĂ©e, ils prennent leurs repas en intĂ©rieur. »
L’enjeu des donnĂ©es
Aux communes de prendre pleinement la mesure d’un mouvement qu’elles ignorent encore trop souvent. La maĂ®trise de la donnĂ©e constitue un enjeu central pour Ă©quilibrer le dialogue. « Les offres disponibles sont facilement accessibles, mais Airbnb protège les donnĂ©es sur la rĂ©alitĂ© des transactions, indique Simon Chignard, coauteur de Datanomics – Les nouveaux business models des donnĂ©es(1). Pour l’entreprise, les donnĂ©es possèdent une valeur d’actif stratĂ©gique. On pourrait imaginer qu’elles servent de monnaie d’Ă©change. Ainsi, Uber, l’entreprise de voitures de tourisme avec chauffeur, a transmis ses donnĂ©es dans certaines villes en Ă©change de l’autorisation d’exercer. Airbnb pourrait troquer les siennes contre une lĂ©gislation plus souple. » Une approche nouvelle pour les collectivitĂ©s, qui rejoint la question des donnĂ©es des dĂ©lĂ©gations de service public.
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Le pari de l'économie collaborative
Sommaire du dossier
- Ubérisation : ce far west où les collectivités commencent à répliquer
- L’économie collaborative, une mine d’opportunitĂ©s
- Quand les collectivitĂ©s s’emparent de l’Ă©conomie collaborative
- Startups de territoire : quand les collectivitĂ©s s’inspirent des acteurs de l’Ă©conomie collaborative
- Domaines skiables : tout schuss vers l’ubérisation ?
- Numérique : « Il ne faut pas être naïf face aux discours des grandes plateformes »
- Economie collaborative : le « partage », une carte à jouer pour les territoires ?
- Collaboratif made in France : le futur de la délégation de service public ?
- Ces collectivités qui essaient le covoiturage de bambins ou le partage dans un village
- Economie collaborative : les collectivités demandent des clarifications à Bruxelles
- « Si les acteurs publics n’investissent pas dans l’Ă©conomie collaborative, les modèles capitalistiques classiques le feront »
- « Le collaboratif, c’est aussi une posture d’action publique » – ClĂ©ment Mabi
- Airbnb : un modèle qui bouscule les communes
- DĂ©bat Pascal Terrasse – Akim Oural : L’Etat, prescripteur ou observateur de l’économie collaborative ?
- Economie collaborative : « Nous ne partageons que ce qui fonctionne » – Lee Hoiseung
- « L’économie collaborative interroge les collectivitĂ©s » – Antonin LĂ©onard
- RĂ©gulation de l’Ă©conomie collaborative et rĂ´le de l’Etat : aux armes, territoires !
- Economie collaborative : guide des bonnes pratiques Ă l’usage des collectivitĂ©s
- [Data] Airbnb squatte les villes touristiques
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