La suite bureautique Microsoft 365, la plateforme collaborative Slack ou encore l’outil de visioconférence Google Meet… Autant de solutions informatiques proposées par des géants américains du numérique, qui sont regardées d’un autre œil en France depuis l’entrée en fonction de Donald Trump, le nouveau président des Etats-Unis.
« Aujourd’hui, c’est la douche froide », pointe Cyril Bras, l’ancien responsable de la sécurité des systèmes d’information de Grenoble Alpes métropole. « Une trop large dépendance aux outils et hébergeurs américains peut être un risque dans le cas d’une dégradation des relations avec les Etats-Unis », poursuit celui qui est désormais directeur « cybersécurité » de Whaller, une entreprise française qui prône des solutions basées sur un « web souverain et sécurisé ».
Solutions libres
Ces craintes reposent d’abord sur le stockage des données, embarquées la plupart du temps dans l’informatique en nuage. Or, que se passerait-il si Donald Trump « annonçait demain un décret présidentiel mettant à disposition de l’administration américaine les données des Européens hébergées » chez ses grands opérateurs ? s’interroge le vice-amiral d’escadre (2S) Arnaud Coustillière, le président du Pôle d’expérience cyber. Cette association, parrainée par le ministère des Armées, œuvre depuis Rennes pour le développement de la cybersécurité.
Autant de « questionnements qui confirment la justesse de nos choix », estime Stéphane Vangheluwe, le directeur général de Sitiv (syndicat intercommunal des technologies de l’information pour les villes, 7 communes, 210 000 hab., métropole de Lyon, Loire). Financé dans le cadre du Plan de relance, l’opérateur public de services numériques lyonnais finalise « Territoire numérique ouvert », son projet de mutualisation d’outils numériques basés sur des solutions libres, de la messagerie à la visio. « Ces outils vont nous permettre plus d’interopérabilité et de maîtrise des données. Ces dernières ne seront ainsi pas confiées à des grandes entreprises étrangères, utilisées alors par exemple pour alimenter des modèles d’intelligence artificielle », poursuit Stéphane Vangheluwe. Une démarche également initiée en Occitanie. Sur fond de renchérissement du coût des licences, la région espère, d’ici à 2029, s’affranchir des logiciels des grands du numérique, une façon de reprendre la main.
Ces initiatives restent cependant relativement isolées. Exemple avec les solutions bureautiques de Microsoft, une entreprise qui rappelle avoir pris l’engagement de conserver les données de ses clients européens au sein de l’UE.
Pas de volonté
Malgré la présence d’alternatives, le géant américain reste le leader incontesté du marché. « On nous annonce des alternatives formidables. Mais elles sont au même prix, voire plus chères si l’on prend en compte l’investissement en temps et en formation, sans compter le problème de leur interconnexion avec les logiciels métiers », remarque Damien Alexandre, responsable de la sécurité des systèmes d’information dans un opérateur public de services numériques.
Il y a également la facilité à adopter le standard mondial, sans risque pour le décideur, alors qu’il y a d’autres chantiers jugés prioritaires. Le danger est enfin relativisé. « La bureautique, ce ne sont pas forcément des données très sensibles, ce sont d’abord des données de travail », signale ainsi un directeur des systèmes d’information d’une ville francilienne.
Il manque surtout « une volonté des collectivités », relève Emmanuel Vivé, le président de Déclic, le réseau des opérateurs publics de services numériques. « En dix ans, je n’ai jamais eu un appel d’une collectivité me demandant un accompagnement pour passer sur un logiciel libre de traitement de texte », signale-t-il, déplorant également une « problématique mal comprise » des élus, faute d’engagement clair sur ce sujet de l’Etat.
Pas exemplaire
« Regardez ce qu’il s’est passé avec le Health Data Hub, ce projet français de plateforme de données de santé qui seront hébergées par Microsoft : même l’administration n’est pas exemplaire », rappelle d’ailleurs Fatima Chaoui-El Ouasdi. « C’est paradoxal, car ce qui est clé dans l’informatique, ce sont les données. Nous ne pourrons pas avancer sans une réorganisation de la commande publique », conclut l’adjointe au maire de Rueil-Malmaison (78 200 hab., Hauts-de-Seine), également secrétaire nationale chargée du numérique pour Horizons, le parti d’Edouard Philippe.
Les alternatives françaises
Grâce à l’argument du « souverain », plusieurs entreprises espèrent gagner des parts de marché dans le secteur des suites logicielles. Exemple avec ces trois solutions sélectionnées, en avril2023, par la Banque publique d’investissement (BPI) dans le cadre de son appel à projets « Développement de suites bureautiques cloud de travail collaboratif ». Lancée en 2024, la suite collaborative Hexagone, conduite par l’éditeur Interstis, estime peser environ 2 % du marché des collectivités. « Nous avons désormais 1 400 clients, soit 750 000 utilisateurs », signale l’entreprise basée au Creusot à « La Gazette ». Concrètement, Hexagone rassemble les solutions de six autres entreprises, comme BlueMind et sa messagerie libre d’entreprise ou Outscale, un fournisseur de cloud sécurisé, pour proposer les outils bureautiques de base, de l’agenda à la gestion sécurisée des comptes. Des solutions qui s’appuient donc sur le logiciel libre, le tout pour un résultat comparable à la suite bureautique de Microsoft et un prix de 20 à 30 % moins cher, assure l’entreprise. « Le principal frein au changement, c’est la perspective de devoir arrêter d’utiliser un outil employé depuis toujours », pointe Loris Maurin, le directeur « marketing et communication ».
Interstis assure, pour rassurer ses futurs clients, que le périmètre fonctionnel est identique sur 80 points de comparaison. A charge également pour la société de convaincre les collectivités de passer par un prestataire bien moins établi que la firme cofondée par Bill Gates en 1975. Seconde solution repérée par la BPI, le projet « Collabnext », porté par l’éditeur de solutions collaboratives Jamespot. Lancé en fin d’année 2024, il rassemble en tout dix entreprises françaises, dont certaines également présentes dans l’Hexagone. Enfin, l’éditeur Wimi, à la tête d’un troisième consortium, propose également une suite du même nom. Elle vise, à la fois, à offrir une alternative aux géants du numérique tout en proposant de nouveaux services autour de l’écologie ou encore de la sécurité.
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