L’humour est, paraît-il, la politesse du désespoir. Une illustration de la pertinence de l’aphorisme de Chris Marker a été donnée, le 1er janvier, par le maire de Breil-sur-Roya (Alpes-Maritimes).
Dans un arrêté, dont copie a été adressée à plusieurs ministres, ainsi qu’à la présidente de la Fédération française des assurances, le maire, Sébastien Olharan (LR), interdit les catastrophes naturelles sur le territoire communal. L’article 2 stipule, en outre, que « pour le ruissellement des eaux de pluie, à l’origine des crues torrentielles, un itinéraire de déviation est proposé à l’extérieur du territoire de la commune ».
Avec ce coup de com’ très médiatisé, le conseiller départemental veut alerter les pouvoirs publics et les compagnies d’assurance de la situation difficile que connait la commune maralpine.
Entre le 2 et le 3 octobre 2020, la tempête Alex dévaste les vallées de la Tinée, de la Vésubie et de la Roya. Enchâssé dans la vallée du fleuve, le village subit d’énormes dégâts, évalués à 25 millions d’euros par les services municipaux. « Jusqu’à présent, nous n’avons été indemnisés qu’à hauteur de 6 millions d’euros », indique Sébastien Olharan.
Le montant de la reconstruction est pharaonique pour un village dont le budget annuel flirte avec les 3 millions d’euros. Difficile, dans ces conditions, d’accélérer les travaux de reconstruction. « A fortiori quand la Chambre régionale des comptes nous demande de réduire nos investissements », commente l’édile.
Risque financier énorme
Autre difficulté : la résiliation, le 3 juin 2024, par SMACL Assurances (assureur de la commune depuis 2002) des contrats la liant à la commune. La municipalité a contesté cette décision en justice. Le tribunal administratif l’a déboutée le jour de la Saint-Sylvestre.
Si la compagnie a finalement renouvelé pour un an, le 27 décembre 2024, les assurances en matière de protection fonctionnelle, de dommages aux tiers et des véhicules de la commune, elle a finalement pu résilier celles couvrant les bâtiments publics. « Nous pourrons donc ouvrir les écoles et les crèches, mais les bâtiments ne sont plus assurés. Ce qui fait courir un risque financier énorme à un bourg de 2 000 habitants », estime Sébastien Olharan.
Guerre des prix
Pour dramatique qu’elle soit pour une commune située dans une zone à risques, cette situation n’a rien d’inhabituel, tant les relations entre les assureurs et les collectivités se sont dégradées ces dernières années. Une consultation organisée par le Sénat, en début d’année passée, montre que 24 % des communes répondantes n’avaient reçu aucune offre d’assurance à leurs appels d’offres. « Par ailleurs, en cas de réponses, les montants de primes et de franchises proposés étaient en forte hausse par rapport au contrat précédent », souligne le sénateur (LR) Jean-François Husson, auteur d’un rapport sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales.
En cause, une guerre des prix entre compagnies, qui a réduit de 18 % le montant des primes encaissées, entre 2017 et 2022, alors que la sinistralité augmentait fortement : émeutes de 2023 et accroissement des risques climatiques. Aujourd’hui, deux compagnies se partagent le marché de l’assurance aux collectivités : Groupama et SMACL Assurances.
Conséquences du réchauffement
Après avoir mené une politique commerciale agressive, cette dernière s’est retrouvée en grande difficulté financière, affichant des pertes de 140 millions d’euros, en 2022, et de 196 millions d’euros l’année suivante. Sous la pression de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, SMACL Assurances a dû s’adosser à la Maif. Son rétablissement passe aussi, sans doute, par la résiliation de contrats avec des communes jugées à hauts risques.
Cela n’améliorera pas la situation des collectivités. Car, s’il est impossible de prévoir l’évolution des dégâts causés par de grands mouvements sociaux, il est d’ores et déjà acquis que les coûts des dégâts imputables aux effets des changements climatiques ne cesseront de progresser. Selon une étude France Assureurs, le coût du réchauffement devrait doubler pour les assureurs d’ici à 2050 par rapport à la période de référence 1989-2019. « Si le système assurantiel privé ne fonctionne plus, il faudra inventer autre chose », conclut Sébastien Olharan.
La réflexion est d’ailleurs en cours. Au début du mois d’avril, le Sénat a publié un volumineux rapport. Coordonné par Jean-François Husson, il propose notamment de cartographier les risques encourus par les collectivités et d’adapter la législation à la nouvelle donne climatique et sécuritaire.
Toujours au début du printemps dernier, le gouvernement a réceptionné le rapport « Langreney-Le Cozannet-Merad ». Dans leur opus, l’ancien assureur, le climatologue et la spécialiste des risques proposent également de cartographier les zones à risques, de sensibiliser leurs habitants, de rehausser « rapidement » les taux de la surprime « CatNat » et de créer un fonds pouvant « contribuer au financement de la relocalisation des biens fortement exposés à l’érosion du trait de côte ».
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